Alors que son premier EP est prévu pour février 2024, nous avions rencontré Brique Argent en octobre dernier pendant le MaMa où il se produisait avec un live inscrit dans les corps et les cœurs.
Dans son monde nocturne, Brique Argent (Corentin Brisebras) livre des flots de paroles intimes au volant d’un bolide chromé. L’ artiste roule à toute allure dans la douceur d’une ballade en prenant des virages de techno furieuse. En moins de dix chansons, il a créé un univers singulier et poétique où le sound design et l’esthétique visuelle sortis de son imaginaire nous amènent ailleurs. Si l’envie de danser agite nos corps, Brique Argent préférait qu’on reçoive son histoire logés dans les sièges d’un théâtre à l’italienne. En attendant son premier EP, nous avons échangé autour de la dualité de son projet, de l’importance du live et de son amour du spectacle vivant.
Il y a un vrai contraste à la fois dans ton nom, Brique Argent, mais également dans chacune de tes chansons. Ton projet musical affirme en permanence des allers-retours entre le brut et le doux. Comment as-tu pensé cet aspect-là ?
J’aime bien dire le très chaud et le très froid. En fait, j’aime confronter les énergies. J’adore les choses très sombres, presque abyssales, mais j’aime aussi la musique plus mélancolique, la lumière, le lever du soleil, ces choses plus douces. Ce sont des montagnes heureuses, comme monter très haut et redescendre dans les profondeurs.
Ces montagnes, on les ressent directement dans tes compositions, entre la douceur d’une ballade et l’envie de danser furieusement…
Oui, c’est vraiment le cœur du projet même dans le live : passer de la techno au piano-voix très calme.
Comment travailles-tu cette dualité quand tu composes ? Sais-tu instinctivement quel chemin tu vas prendre ?
Déjà, on compose à plusieurs, à quatre précisément. J’essaie de m’entourer de personnes qui sont meilleures que moi dans tous les domaines. J’ai un super pianiste, un réalisateur-producteur et un autre producteur. Ensuite, j’arrive souvent en session avec une vidéo de 20-25 minutes, comme un court-métrage. Ça raconte le disque que je veux faire, autant avec de la vidéo, une voix off qui raconte ce que j’ai envie, qu’une B-O que j’ai déjà composé de mon côté. Et c’est un peu le film qu’il faut retranscrire en musique pour en faire un disque. On commence la session et ils sont déjà dans mon cerveau.
C’est-à-dire que tu vas d’abord aller filmer des choses qui t’inspirent avant de faire de la musique ?
Non, je vais plutôt aller chercher des vidéos un peu deep sur YouTube et après je fais des montages qui racontent l’histoire que je veux raconter. C’est comme ça que je fonctionne. Je galère toujours un peu à m’exprimer et à dire ce que je veux vraiment dire. Là, j’ai juste à mettre play et ils sont déjà dans l’univers par la projection de ces images, de codes couleurs, de mots importants.
Finalement, Brique argent c’est partir de toi pour aller vers le collectif ? Que ce soit la composition ou tes textes comme des confessions que tu partages à celles et ceux qui t’écoutent ou viennent te voir en live…
Oui, déjà je partage en composant comme on le disait. Mais tout part de moi, enfin de Brique Argent. Ce personnage, c’est le fantasme que j’avais quand j’étais adolescent. J’étais passionné par le tuning, le bling-bling, et je m’étais dit, dès que j’ai 18 ans, je passe le permis, Golf GTI, néons, grosse chaîne en or, je vais directement aux États-Unis pour vivre avec mes rappeurs préférés. Brique Argent, c’est un peu ce personnage que je n’ai jamais été. J’aime bien revivre tout ça à travers lui.
Quand tu as commencé la musique, as-tu immédiatement voulu y injecter ces influences tuning ?
Non, parce que j’ai eu des petits projets avant, plutôt des groupes de rock. Brique Argent, ça a pris du temps. Ça fait cinq ans que j’ai la tête dedans et avant de sortir mes premiers sons, j’avais déjà fait quatre EP que je faisais juste écouter à mes potes pour trouver mon identité visuelle, mes couleurs et mes images fortes. J’ai eu besoin de beaucoup composer, faire plein de disques qui ne sont jamais sortis, mais qui m’ont permis, aujourd’hui, d’avoir des fantasmes assez précis en tête, et des objectifs. Je sais là où je vais musicalement et visuellement. Je voulais créer un univers que j’essaie de retranscrire autant dans les disques que sur la scène.
Je veux qu’on entende la vie dans ma musique.
Brique Argent
Cet aspect tuning/chromé de ton univers musical est très présent dans l’utilisation de sons extérieurs dans tes morceaux, comme des bruits de voitures, des crépitements de feux… Comment s’inscrit ce sound design dans tes compositions ?
J’aime beaucoup le sound design et les bruits de la vie. Je veux qu’on entende la vie dans ma musique. Dans le disque que je vais sortir, il y a beaucoup de moments où ce sont seulement des sensations. Je suis passionné par l’ASMR, je m’endors tous les soirs avec, ça me fait du bien. J’avais envie que les gens aussi ressentent ça, donc ça impliquait un vrai sound design avec ces petits bruits de feu ou de voitures, même si c’est un bruit plus énervé. Le but, c’est de remettre la musique dans un environnement et un contexte, de visualiser l’endroit de la chanson. Ça peut être un rond-point, on entend les voitures qui passent, puis les gens à côté de moi, mais en même temps, il y a la musique, le couplet et le refrain. Ça raconte une histoire.
Est-ce que c’est une manière de nous faire visualiser les vidéos qui t’ont inspiré pour composer et nous les faire ressentir ?
J’aime les disques qui racontent une histoire avec un début et une fin. C’est ce que j’essaie de faire sur le disque que je vais sortir. J’espère que les gens arriveront à suivre dès la première chanson. On traverse plein d’environnements, plein de phases. Si on ferme les yeux, on peut avoir des images en tête et très vite se projeter. J’aimerais que les gens écoutent le disque comme ils regardent un film.
Dans tes textes, tu es beaucoup hanté par le cauchemar et l’insomnie… La nuit t’inspire ?
Oui, la nuit et aussi la rêverie et le fantasme. Souvent, on a une image des fantasmes et une fois qu’on les réalise, ou qu’on essaie de les réaliser, ce n’est jamais comme on les avait imaginés. Il y a ce côté un peu sombre de déceptions, d’essayer de vivre à travers des fantasmes qui sont finalement des trucs qui ne nous plaisent pas forcément. La nuit, je suis souvent sous ma couette avec mon téléphone à essayer d’accélérer ma respiration pour m’imaginer dans une situation où une course va commencer. C’est l’idée de tout construire dans sa tête. J’aime bien cette image-là, de vivre une deuxième vie dans les draps.
Tu évoques d’ailleurs la déception. Dans la chanson « Dans mes rêves » tu confies : « J’ai peur de décevoir ». C’est un sentiment qui persiste chez toi ?
Ce sont des peurs de la vie : décevoir, faire de la peine, prendre des mauvaises décisions ou des décisions bonnes pour moi mais mauvaises pour les autres. J’ai vraiment peur de blesser. Dans cette chanson, je parle de deux amis que j’ai perdus dont j’ai été extrêmement déçu. Depuis, j’ai peur d’être cette personne qui peut décevoir. Je pense beaucoup au fait de découvrir une toxicité chez les gens.
Tu fais de la musique qui fait danser. C’est important pour toi de faire danser les gens ?
En vérité, pas vraiment non. Pendant mes concerts, même si, parfois, il y a de la grosse techno, les gens ne dansent pas forcément. Par ailleurs, ça ne me dérange pas de faire des concerts assis. Ça me plaît de proposer des moments musicaux un peu trash, que les gens soient posés dans leur siège et reçoivent. Je suis passionné par le collectif de danse La Horde. Ils ont un spectacle que je n’ai jamais vu et que j’aimerais trop voir. Mais j’ai pu regarder plusieurs vidéos.
En tant que spectateur, tu es assis dans un théâtre à regarder de la danse et à écouter des sons plutôt violents. J’aime ce contraste-là. Donc, faire danser les gens, si ça arrive c’est bien, mais je cherche plutôt à leur faire vivre des choses dans leur corps. Que le public n’ait pas vraiment l’espace ou la faculté de pouvoir danser, parce qu’il est dans l’ambiance, dans l’histoire, dans le show.
Est-ce que dans tes influences musicales, tu as le sentiment de t’inscrire dans la lignée de Flavien Berger ?
J’ai beaucoup écouté ses albums et j’adore ses sonorités et sa singularité. Mais ce qui va le plus m’inspirer, dans le live, ce serait plutôt Tyler, The Creator. Il a des scénographies furieuses et un véritable show. Je suis aussi beaucoup inspiré par le théâtre ou l’opéra, les grands espaces sur scène avec, comme je le disais, le fait d’être assis, de regarder un spectacle, d’applaudir à la fin. Dans mon concert, il n’y a pas trop la place pour applaudir, tout s’enchaîne très vite. Mais oui, ma principale inspiration c’est le spectacle vivant, l’idée de la performance et de sortir de soi.
Est-ce que tu travailles ta scénographie pour donner à voir ton univers singulier ?
Pour le moment, quand on part en concert, on est trois. Il y a Maxence qui m’accompagne sur scène et Cécile à la lumière. On n’a pas encore le son car il fallait faire un choix entre son et lumière. Cécile est une artiste qui crée des shows de lumière. Elle est vraiment très douée. Elle m’aide sur la scéno, c’est un show qui est très précis, comme des tableaux qui racontent une histoire. J’essaie d’occuper l’espace au maximum, comme un spectacle.
Ce qui te définirait le plus, finalement, c’est cette envie de raconter une histoire, non ?
Oui, raconter des histoires, la performance artistique, faire des choses bizarroïdes et réussir à surprendre.
Est-ce que tu penses que tu parviendras à te renouveler et à expérimenter dans cette voie-là ?
Oui, plus encore ! Là, on me propose des salles de spectacle, donc c’est super déjà pour mon show. Mais j’aimerais aller dans des endroits un peu alternatifs, un peu moins classiques. J’aimerais bien faire des concerts avec des comédiens et des comédiennes, avec moi, qu’il y ait des gens dans le public, et qu’on s’aperçoit qu’ils font partie du show. Mélanger et créer des moments de surprise, autant musicalement que dans l’espace et que le son puisse venir de partout.
Tu as déjà réfléchi à des lieux dans lesquels créer ça ?
Plus tard, j’aimerais bien créer une pièce de théâtre ou une comédie musicale dans un théâtre à l’italienne. C’est un objectif, mêler musique, spectacle vivant, comédie…
Avant ça, il y a la sortie de ton premier EP. Est-ce que tu peux en parler ?
Il sort en février avec que des nouvelles chansons. C’est un disque qui s’écoute, si les gens en ont envie, d’une traite du début à la fin. J’essaie de raconter l’histoire de Brique Argent et son développement dans son univers. Ce n’est pas non plus un album-concept bizarre où les gens ne comprennent rien. Et c’est un disque qui sera accompagné d’un court-métrage. J’ai hâte !
On peut parler aujourd’hui d’une scène musicale actuelle stéphanoise avec Zed Yun Pavarotti, Fils Cara, Terre Noire. Est-ce que ça porte d’être plusieurs artistes du même âge en début de carrière à venir de Saint-Étienne ? Est-ce que ça crée un vivier artistique ?
Oui, ce sont des amis et on collabore quasiment tous ensemble. Je bosse avec Francis, le frère de Marc (Fils Cara, ndlr).Terrenoire, ce sont comme des grands frères. Ils m’ont donné des conseils. On se fait écouter ce qu’on fait, donc ça porte et ça résonne un peu, parce qu’on en parle tout le temps de cette scène-là. Ça fait plaisir pour Saint-Étienne. On essaie de tous s’élever un peu, tout en étant à des stades différents de nos carrières. Chacun avance à sa manière mais on s’élève ensemble, alors qu’on vient d’un milieu plutôt rural et pas évident. C’est très beau.