LITTÉRATURE

« Le Chant des fleurs » – Langue nahuatl

Le Chant des Fleurs
© JBE Books

Œuvre éditoriale, Le Chant des fleurs – Ni Xochitl, Ni Kuikatl est un recueil poétique en langue nahuatl autour duquel gravitent textes et images. Un hommage à la nature, à la poésie et à la transmission.

Ni Xochitl, Ni Kuikatl (littéralement « la fleur, le chant ») est la double métaphore qui désigne l’art poétique en langue nahuatl. Le Chant des fleurs est une édition bilingue. Elle regroupe une cinquantaine de poèmes nahuatl de l’écrivain et activiste mexicain Mardonio Carballo. Traduits en français par l’écrivain et chercheur Patrick Saurin, ils sont accompagnés d’images du designer mexicain Fernando Laposse. Alberto Manguel (écrivain et critique littéraire) signe une préface sur la nécessité de traduire, au moyen de métaphores, l’expérience et le monde. 

Parlée depuis le VIIème siècle au Mexique, le nahuatl est une langue agglutinante qui était, à l’origine, pictographique. Un mot y est formé « au moyen d’un assemblage d’éléments basiques, les morphèmes lexicaux (…) un seul et même mot pouvant constituer à lui tout seul l’équivalent d’une phrase » décrit Patrick Saurin. Le nahuatl permet ainsi un agencement du sens, du son et du rythme particulièrement propice à la poétique. 

© JBE Books

Un art du chant

Militant pour la sauvegarde des cultures indigènes, Mardonio Carballo défend la non séparation des langues, de leurs cultures et de la lutte pour la dignité des peuples qui la parlent. Polysémique et métaphorique, sa poétique est une ode aux choses élémentaires. Prenant le temps du détail, il questionne le sens de tout ce qui est, de la floraison à la fanaison. 

La fleur n’est pas prétentieuse,

elle le sait bien, hier elle était une graine,

aujourd’hui elle est un souffle parfumé,

et demain elle sera un souvenir de poussière. (…)

On raconte qu’après avoir créé le monde,

Dieu a éprouvé beaucoup de lassitude,

il a conçu une fleur périssable

Mardonio Carballo – Le Chant des fleurs – Ni Xochitl, Ni Kuikatl 

Le corps contemple et lie le minuscule avec l’immensité : « Une grande araignée est / en train de tisser / elle veut faire un ciel ». Le cœur convoque le vent, la rosée, l’« ombre qui grelotte », les plantes et les animaux. Parfois, les larmes. Il lit les lignes des mains, écrit l’ivresse, chante la sensualité (« deux grands arbres s’embrassent / (…) Maintenant, ils remercient la vie / qui fait grandir leur amour / lorsqu’ils ne font qu’un toutes les nuits »).

Art du chant, dans la poétique nahuatl, l’artiste se fait réverbération des mouvements de la terre. Il les accueille puis, les traduit sous forme de poèmes qu’il restitue enfin, à voix haute, au monde  : « Ta parole / Qu’elle s’en aille, / laisse-la / qu’elle se répande ». Grâce aux effets de répétition et de rythme, la musicalité de ces chants s’entend lors de sa transmission orale. 

© Fernando Laposse / JBE Books

Vertical, ce livre intercale des illustrations de fleurs et d’animaux dans la trame du texte. Cette alternance est soulignée par l’usage de différentes épaisseurs de papier en fibres naturelles à la douce odeur de maïs. Les pages où logent les animaux sont d’un grammage plus léger. En les tournant, surprise par la finesse et la transparence, la main, tactile, éprouve les différences de pesanteur. Le Chant des fleurs – Ni Xochitl, Ni Kuikatl, livre de l’entre-deux langues, compose avec l’exercice de la traduction, le fini des mots et de la matière pour évoquer l’infini du cosmos.

Le Chant des fleurs – Ni Xochitl, Ni Kuikatl, poèmes Mardonio Carballo, traduction Patrick Saurin, JBE Books (Jean Boîte Éditions), 40euros. 

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