LITTÉRATURE

« Du même bois » – Esprit-animaux

Du même bois
© Marion Fayolle

Après avoir nourri de ses dessins notre imaginaire, Marion Fayolle signe un premier roman remarquable. Du même bois revisite la saga familiale nous replongeant au cœur de l’animation d’un corps de ferme. 

«  Ici, on fait toute sa vie sous la même toiture, on naît dans le lit de gauche, on meurt dans celui de droite et entre-temps, on s’occupe des bêtes à l’étable. » Dépeignant une famille d’agriculteurs dont la vie s’organise selon une logique ancestrale, cette histoire est celle des ressemblances, de l’ambivalence du poids de la tradition et de notre maladresse à aimer. 

Autrice et dessinatrice, Marion Fayolle a publié plusieurs bandes dessinées aux éditions Magnani telles que La Tendresse des pierres (2013), Les Amours suspendues (2017) ou Les Petits (2020). Son premier roman, Du même bois, se penche sur les strates affectives que condense pour elle le paysage du plateau ardéchois. Que restera-t-il de cette ferme où elle a passé une partie de son enfance une fois que son activité arrêtée ?

L’image d’un monde

Marion Fayolle plante le décor dès l’ouverture du livre : un microcosme rural dans lequel domine une bâtisse où se distribuent jeunes et vieux dans ses deux ailes. Page après page, elle fait sourdre une fresque picturale où tanguent rudesse et poésie. Le personnage de la gamine se remémore ce qu’était le quotidien de cette ferme où des générations de femmes et d’hommes se sont succédées : « Ils parlent des soucis qu’ils ont eus avec les naissances, du temps qu’il va faire, de leur tracteur qui est en panne et des ruines qu’ils ont commencé à reconstruire. Ils ne sont pas nombreux à avoir leur force de caractère, il en faut pour résister à la solitude et au climat ». 

Elle se souvient que si la plupart s’adaptaient au rythme, travaillaient, assuraient une descendance ; restait les bizarres qu’on regardait d’un œil inquiet et distant. Moins pragmatiques que les autres, ces êtres de bordure s’attardaient sur les formes et les couleurs d’un réel poétique. La gamine soupçonne d’être un peu de la même trempe. Comme le beau-frère qui, toujours, dessinait la même image et parlait à sa poule faisane ; elle, la nuit, pressait son corps auprès des garçons dont les boucles fleurissent au sommet des crânes et devinait, dans le pelage des vaches, d’étranges continents.

Ça lui fait penser au globe qu’elle a dans sa chambre, à des terres nouvelles, à des océans. Faire le tour de cette vache, c’est partir en voyage. Il y a, vers ses hanches, des petites îles, un archipel de tache de rousseur. On dirait le même artiste que celui qui a moucheté les épaules de son père. Du pointillisme. Personne ne voit que c’est beau, cette vache, ce n’est pas un vieux torchon sale mais un tableau, une percée sur le monde, une promesse d’évasion.

Du même bois – Marion Fayolle

Le passé en miniature

Avec une étonnante ligne narrative claire qui s’amuse des jeux d’échelles, Marion Fayolle croque successivement des profils familiers et des souvenirs saisissants. Elle cherche à préserver encore un peu l’image de ce temps désormais révolu. Pourtant, cet héritage ne la quitte pas, au contraire, il la hante sous une autre forme. 

© Marion Fayolle

Partie et devenue adulte, la gamine a rencontré l’amour – un homme qui sait « caresser de la voix » – avec qui elle a eu un « petitou ». Depuis tout ce temps, les bêtes habitent sa tête. Ces esprits-animaux sont ses démons intérieurs. Les bêtes, à la ferme, on en prenait soin. Ses failles béantes elle préfèrerait pouvoir les chasser. Comment alors ne pas transférer ces embrouillaminis psychiques sur son enfant  ? Comment apprendre à l’aimer sans l’enfermer  ? Elle a des mots qui disent la douceur et la peur, l’amour et le gluant. S’il faut déployer toute l’attention nécessaire pour que croisse un être, il faut aussi lui fournir l’outil tranchant qui lui permettra plus tard de se défaire un peu de ce lien.

Ne se départissant jamais de la conscience de notre finitude, Du même bois ne prend pas pour autant un air grave. Marion Fayolle écrit – avec la justesse pour diapason – la porosité des émotions et la résonance du passé jusque dans le présent.

Du même bois de Marion Fayolle, Gallimard, 16,50euros.

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