Dans son dernier long-métrage, Alexander Payne (Nebraska, Downsizing) met en scène une autre facette des fêtes de fin d’année. Entre féerie fantasmée et solitude réelle, Winter Break repense l’imaginaire collectif.
1970, début des vacances d’hiver. À Barton, un lycée de renom isolé au cœur d’une forêt de Nouvelle-Angleterre, l’heure est à la joie. Par une fin d’après-midi de décembre, les pensionnaires retrouvent leurs familles pour deux semaines s’annonçant festives et dépaysantes. Salles de classes et dortoirs se vident peu à peu. Un concours de circonstances plus ou moins hasardeuses amènent alors un professeur revêche, une mère endeuillée et un adolescent esseulé à passer Noël et le nouvel an ensemble. Le trio se retrouve loin des rires, des grandes tablées et des multiples cadeaux qu’il avait imaginé. Durant cette pause hivernale, leurs relations évoluent entre l’être et le paraître. Retour cinquante ans en arrière dans un Noël qui ne brille pas partout.
Un trio improbable
Au cœur de cette atmosphère connotée, trois personnages se détachent et se font face. Moqué par ses collègues, peu apprécié de ses élèves, le professeur Hunham (Paul Giamatti) est loin de faire l’unanimité. S’il semble en être pleinement conscient, ce n’est pas pour autant qu’il se remet en question. Il préfère de loin se plonger dans ses manuels d’histoire ancienne et se complaire entre déni et chimères. Un flegme qui n’intimide guère Mary (Da’vine Joy Randolph), la cuisinière attitrée de l’établissement et l’une des deux figures féminines majeures du long-métrage. Sans jamais hésiter à placer Hunham face à son attitude problématique, ses remarques honnêtes mais justifiées expriment par ailleurs sa propre souffrance. C’est le premier Noël qu’elle passe sans son fils, mort au Vietnam dans l’année.
Dernier membre de ce triptyque disparate, Angus Tully (Dominic Sessa) est, lui, profondément irrité par son professeur. Qui plus est, il est loin de sa famille dont il se sent exclu. Il tente de composer avec ces deux adultes dont il se sent éloigné et qui le renvoient à son isolement.
Ambiance rétro
Pour Alexander Payne, retranscrire l’atmosphère visuelle et sonore des années 1970 d’un côté, et celle de la vie d’un internat de l’autre, était un objectif majeur. Entre la photographie (Egil Bryld), les costumes (Wendy Chuck) et les décors (Ryan Warren Smith), le défi était de taille. L’on note les costumes patinés, les arrangements grésillant de la bande-son, la précision du menu de Noël et une séquence dans un bowling estampillé seventies. Pari réussi. Le réalisme des décors est amplifié par leur naturel. Sans aucune scène tournée en studio, Winter Break frappe par sa retranscription sans artifices d’une époque parfois exagérée.
Avec un réalisme accru, Payne met en scène l’envers du décor de l’imaginaire collectif et des coutumes traditionnelles. La peine et les diverses remises en question des personnages sont d’autant plus mises en exergue qu’elles s’expriment sur fond d’enjoués Jingle Bells, Carol of the Drum et Most Wonderful Time of the Year. L’ironie est de mise et les contrastes, saisissants.
Quêtes multiples
Barton se vide de ses professeurs et de ses élèves. Le froid mordant de l’hiver exacerbe les émotions. Au départ, il faut faire bonne figure. Jusqu’au point de bascule : arrive un moment où le choix est nécessaire. Deux portes de sorties : encaisser et s’enliser dans ses propres retranchements ou défier le sort et tenter le tout pour le tout. Mary, Angus et Hunham se tiennent tête tout en s’apprivoisant. Sans se l’avouer, ils s’attachent les uns aux autres. Alors que les jours passent et que grandit cette solitude non choisie, certaines carapaces se fissurent. Aspirations cachées et insécurités se révèlent les unes après les autres. Pour rendre ces moments un peu meilleurs, le trio comprend qu’il est temps de se libérer de ces douloureux carcans. La recette n’a rien de magique : il s’agit d’abord de savoir les exprimer.
Tout devient alors permis. Le professeur a ainsi le droit d’accepter l’invitation de l’accueillante Lydia à la joyeuse soirée qu’elle donne pour le réveillon. Il peut même rouler d’une traite jusqu’à Boston. Illuminée et pleine de vie, la ville se dévoile sous les yeux émerveillés d’Angus qui en rêvait. Quant à Mary, elle s’autorise à retrouver des proches pour qui elle compte. Le scénario s’étoffe et se précise dans ce changement de décor. Si cela peut d’ailleurs déséquilibrer l’énergie insufflée dans la première heure du film, ce n’est pas sans donner une touche positive à l’ensemble. Payne défie ses personnages. Peu à peu, ils réalisent que la mélancolie environnante n’est pas gravée dans le marbre. Il est des choses qui peuvent se provoquer.
À travers ses nombreux arcs narratifs, Winter Break rebat les cartes de la tradition. Dans ce flashback incarné avec justesse, Alexander Payne montre qu’il est possible de sortir des codes et de vivre cette période autrement. Avant tout, le cinéaste cherche à souligner la légitimité des émotions tantôt heureuses, tantôt douloureuses. Tout ne scintille pas, certes. Malgré tout, le message final délivre une forme de positivité qui, sous couvert de réalisme, tire davantage vers l’utopisme. Jusqu’où « la joie et la bonne humeur » sont-elles réalistes et accessibles ?