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Rencontre avec TRENTE : « Mon rêve c’est que TRENTE devienne un groupe »

TRENTE
© Ian Caulfield

Après plusieurs EP, TRENTE nous dévoilait début juin un premier album fascinant comme une plongée intime dans ses notes personnelles, rythmée par le bruit des pages que l’on tourne. Nous l’avons rencontré pour discuter singularité, collectif et indépendance.

Réalisateur de clips, chanteur et homme-orchestre connu sous le nom TRENTE, Hugo Pillard a plusieurs cordes à son arc. S’il nous surprenait toujours déjà en live – que ce soit en format intime guitare/voix ou armé de ses machines, batterie et visuels – pour nous faire danser et nous émouvoir, son premier album #1 CARNETS ne fait que prouver sa singularité dans l’immense océan de la nouvelle scène francophone. Sorti en toute indépendance, en provenance de sa chambre, ce disque de TRENTE nous ouvre les pages de ses carnets où souvenirs et introspection se mêlent dans un joyeux et parfois triste – mais toujours sublime désordre. Cachés dans cet album, les voix et participations de ses ami·es artistes lui font avouer, un rêve : celui de voir son projet devenir un immense groupe ! Rencontre avec l’un des artistes les plus talentueux et les plus singuliers d’aujourd’hui.

Ton premier album #1 CARNETS se présente comme une convocation de souvenirs plutôt immersive. Comment tu l’as construit ?  

Je l’ai construit sur plusieurs années. Au début, je l’ai pensé morceau par morceau sans me dire que ça allait être un disque. Je crois que le morceau le plus vieux de l’album c’est «  OCYTOS  ». Il date de 2017. Je faisais beaucoup d’EP en parallèle et je gardais des chansons de côté pour un album. En fait, j’ai toujours su que l’album allait être un patchwork de plein de trucs différents.

Et, au bout d’un moment, en 2021 je crois, je me suis arrêté. J’ai pris tous les trucs que j’avais de côté et je les ai rafistolés ensemble. J’ai changé des textures de sons. J’ai refait des prises de voix mais tout en assumant des styles différents. Puis, j’ai fini par tout réunir ensemble en essayant de créer une cohérence. J’avais un petit complexe, une petite trouille – que ça parte dans tous les sens – et puis, finalement, je me rends compte que l’album est comme ça et je trouve ça plutôt joli.

Comme ce sont des morceaux très différents, quelle était cette cohérence que tu as trouvé pour les rassembler ceux-là et pas d’autres ?  

Le carnet ! Mais aussi le sound design, présent tout du long, avec le bruit des pages qui, parfois, viennent scinder le morceau en deux et t’emmène d’un morceau à l’autre. C’ est comme un carnet qu’on prend : on l’ouvre et on le lit dans le désordre. Et là, c’est cohérent ! C’est le chaos mais avec quand même un minimum d’organisation. C’est compliqué de faire plusieurs styles différents. Il ne faut pas que ce soit choquant ou trop brutal. Il y a des morceaux qui sont là aussi pour amener le morceau d’après. Ce fut beaucoup de réflexions. Mais quand l’album est sorti, je l’ai écouté une dernière fois, d’une traite, et ça tenait la route.

Il y a des thématiques assez dures dans tes textes autour des sentiments, de la dépression…

Oui, mais comme c’est un carnet de notes ça peut être un peu violent. Mais, par exemple, « Du lundi au dimanche » est un peu ironique et désespérée. C’est un chant de marin. « Tous malades » c’est deux personnes qui sautent dans la merde et qui sont contentes de sauter dans la merde. J’espère qu’il y a un truc un peu marrant aussi dedans. Mais oui, parfois, j’ai conscience que ce n’est pas très drôle. Je voulais quand même que ce soit lumineux. Ne pas faire un album plombant. C’est pour ça que je finis sur « Après la pluie » qui est un joli morceau, tout doux, comme un beau souvenir. Quand j’ai accepté que c’était ok d’être un peu fébrile, après, ça allait mieux. 

Comment tu écris et composes ?

J’ai longtemps complexé sur les textes. Les premiers textes de mon projet sont horribles. J’essayais d’écrire des trucs jolis avec des jolis mots. Et, au bout d’un moment, j’ai compris qu’il fallait être le plus simple possible. Il y a des tournures de phrases un peu maladroites, je crois, sur l’album, un peu enfantines mais au moins c’est direct. Mais j’ai jamais écrit un texte avant d’enregistrer une chanson. Jamais. C’est assez classique. Je chante du  « la la la la la » en mode « oh elle est jolie cette ligne de voix » et puis je remplis les trous par des mots.

Je ne suis pas parolier avant de faire des chansons. Je ne sais pas comment certains arrivent à faire ça. C’ est intéressant parce que je dois faire rentrer les mots et, en termes de rythmique, il se passe un truc différent. Ce n’est pas mécanique. Je pense que les lignes de voix un peu étranges des artistes comme Franck Ocean, viennent du fait que les textes sont écrits avant, donc il faut les faire rentrer dedans. Peut-être que je le ferai pour la suite. 

Et en live – mais ça se ressent aussi sur l’album – tu as ce côté homme-orchestre, entre les machines, la guitare, la batterie. Tu oses mélanger les genres et les sonorités… Comment tu travailles ça ? 

Je ne sais pas trop, ça a toujours été évident. Quand j’ai commencé, j’avais envie de faire plein de choses sur scène. J’ai commencé par la batterie quand j’étais petit, puis j’ai appris la guitare sur internet, comme plein de gens au début du lycée. Mais pour chaque instrument j’ai seulement quelques connaissances. J’aime bien les mélanger ensemble. Quand je vais voir un concert, j’aime bien que ce soit vivant et qu’il se passe  plein de trucs. Il y a de plus en plus de groupes un peu karaoké qui envoient des pistes. Je suis incapable de faire ça. J’ai besoin d’avoir un truc dans les mains, parce que déjà ça permet de se cacher un peu derrière. Je n’arriverais pas à appuyer sur play et à me balader. Il faut avoir un sacré lâcher-prise, que je n’ai pas encore  sur scène.

Au niveau des compositions et de la création de l’album tu es très entouré, et finalement tu assumes d’être complètement en solo une fois sur scène…  

Mon rêve c’est que TRENTE devienne un groupe. Ce serait génial qu’on soit vingt sur scène. Mais bon, il faut de l’argent et des salles où on peut être aussi nombreux. J’aimerais pouvoir m’effacer derrière des gens. Sur mes EP, il y a toujours eu des samples de voix de personnes importantes pour moi à ce moment là. Dans l’album, parfois, il y a une note de piano qui est jouée par quelqu’un et je m’en souviens. C’ est un objet collectif. Les gens sont venus se greffer à des choses très solitaires. Et je ne sais pas si ça s’entend tant que ça, mais je le sais.

J’étais trop content aussi de me dire que, ce piano là, que je n’arriverai jamais à le jouer car je n’ai pas du tout les compétences pour ça, je pouvais appeler Tim (Tim Dup, ndlr) qui sait jouer du piano. J’aurais toujours de l’amour pour cet album. Je vais peut-être l’écouter dans quelques années et trouver ça horrible et me dire que je n’ aurais pas fait ça aujourd’hui. Mais, au moins, j’ai ce beau souvenir collectif.

Finalement c’est aussi un carnet musical ? Comme si d’autres artistes avaient rajouté de petites notes dans ton journal intime…

Sur mes albums préférés, on sent qu’ils ont fait venir du monde. J’écoutais le dernier album de Grand Blanc qui est un des disques les plus beaux que j’ai jamais entendu. A un moment, il y a un solo de saxophone mais je ne pense pas qu’un des membres du groupe joue du saxophone. C’est trop beau. Ils l’ont fait passer dans des machines mais ils ont appelé quelqu’un qui est intervenu dessus.

Sur l’album, dans «  OCYTOS  », il y a aussi une prise live où on était quatre à jouer. C’ est un des plus beaux moments de nos vies. Quand tu enregistres dans ta chambre, tu enregistres piste par piste. Il n’y a pas de lâcher-prise. Tout est très carré. Quand j’avais composé ce morceau, je voulais l’enregistrer en live sinon je ne le sortais pas. Et là, c’est vivant, on l’entend pas forcément mais, dans la prise, on se foire plusieurs fois. Greg (Tomasi, ndlr) fait des notes à côté. Moi, parfois je veux taper sur une cymbale mais je tape sur autre chose. Et puis on gueule. On nous entend crier. C’est important.

Justement avec cette bande là : Tomasi, Fils Cara, Ian Caulfield… Vous avez l’impression d’appartenir à une forme de collectif ? Vous avez chacun vos projets mais vous vous accompagnez les uns les autres avec beaucoup de bienveillance …

Oui, complètement ! Je ne sais plus trop d’où c’est parti. J’ai rencontré Ian (Caulfield, ndlr) en 2019. On nous a arrangé une sorte de date d’amis. C’était étrange. Un ami commun m’a écrit en me disant :”« Ian déménage à Paris, vous vous entendriez très bien ». À ce moment-là, j’ai aussi  rencontré Florian de Thx4Crying et Pauline de PI JA MA. Puis, j’ai présenté ces gens-là à Tomasi, et voilà ça s’est créé tout seul.

Il s’avère qu’on faisait tous de la musique et qu’on a commencé à se faire écouter nos sons, à se faire confiance. Il y a tout de suite eu cette bienveillance dans le fait de se filer des coups de main, et en parallèle de tisser des liens d’amitié très forts. Je ne ressens jamais de jalousie. Je sais que c’est une industrie qui essaie de monter les gens qui commencent les un·es contre les autres. Surtout, les chanteuses d’ailleurs.

Mais entre nous ça a toujours été bienveillant. Parfois c’est un peu fatigant parce qu’on ne parle que de musique. Là, sur l’album, ils m’ont toustes donné des conseils. Pour garder le côté mystérieux, je n’ai pas eu envie d’écrire les participations de chacun.e. Il y a juste des voix que j’aime. Il y a beaucoup d’amour entre nous, on s’invite à tous les concerts mutuellement. Et on a déjà pensé à nommer le truc mais on aime bien qu’en fait ce soit officieux. C’est marrant quand en concert il y a toujours toute l’équipe, puis il y a des gens qui rentrent dans le cercle de plus en plus. Ce n’est pas sectaire. On ne se retrouve pas autour d’une table avec des capuches sur la tête à réfléchir au prochain tube de la nouvelle chanson française. (rires)

Cette cohésion entre vous se ressent de l’extérieur. Ça crée une nouvelle scène musicale un peu à part faite de collaborations et de bienveillance…

Chacun connait un peu ce que vit l’autre et je crois surtout que dans cette équipe-là, personne ne veut tout casser et écraser les autres. Et on fait de la musique différemment, donc il y a un respect mutuel et beaucoup d’honnêteté. 

Est-ce que ça aide à avancer ?

On sait dans quoi chacun·e excelle. On s’appelle pour ces raisons-là. Par exemple, Greg (Tomasi, ndlr), si tout le monde est down, il va nous motiver. Moi, je ne sais pas trop quel est mon rôle… (rires)

C’est le sujet de ta chanson «  DÉFAUTS / Comme Paris  » non ?

En fait, elle parle beaucoup de Tomasi. D’abord, elle parle de moi, comme beaucoup de chansons, mais elle, elle est scindée en deux parties. La première, c’est quelqu’un qui chouine, donc c’est moi comme d’habitude, et la deuxième c’est mon meilleur pote qui arrive et qui me dit «   arrête de chouiner, tu es formidable et moi aussi je me sens nul sur plein de points.  » On a tendance à idéaliser les gens autour de soi, à penser qu’ils s’en sortent mieux. D’ailleurs, il n’avait pas compris tout de suite que ça parlait de lui. Je pensais que c’était évident. 

Dans ces confessions, on ressent un manque de confiance en toi dans tes textes… On a le sentiment que tu avoues ce manque de confiance et que les arrangements derrière sont là pour te redonner confiance. Qu’est ce que tu en penses ? 

Il y a quelque chose de fébrile. J’espère qu’on a tous ça. C’est un peu un album de chouineur… (rires). J’avais jamais conscientisé ça mais, oui, c’est possible. Je pense que c’est comme ça pour tous les gens qui font de la musique. Tu te sens utile quand tu fabriques. Après je n’arrive pas trop à analyser, à voir de quoi parle l’album exactement. Mais c’est vrai qu’il y a ce truc fébrile qui revient souvent et qui, j’espère, est un peu drôle parce que ce n’est pas très grave tout ça.

Ce qui est surprenant dans ton projet, c’est comment tu parviens à passer d’une ballade très douce à des sons presque techno, plus énervés. D’où ça vient ce mélange atypique ? 

Il y un truc qui m’a toujours marqué dans les retours de la profession, qui me vexait un peu au début, et puis finalement aujourd’hui j’en suis super content, c’est la phrase : «  On ne sait pas trop où te mettre  ». Je n’ ai jamais démarché de labels. Autour de moi, il y a des gens qui sont très forts pour ça. Je ne me sentais pas prêt du tout. L’industrie a besoin d’identification alors que les gens qui écoutent de la musique me disent :«  C’est trop bien un album qui part un peu dans tous les sens.  » Maintenant, je suis assez fier de ça. Il  faut faire en sorte que ce soit cohérent, quand tu emmènes les gens quelque part et que ça ne s’arrête pas trop brutalement. Il faut tout ficeler pour que ce soit comme un album sur scène.

Tu souhaites faire danser le public ?

Oui, il faut faire danser ! Je n’ai pas envie de choisir un genre qu’on me colle dessus. On l’a envoyé en radio. Les gens ne comprennent pas vraiment le projet. Il faut mettre un pied dans l’industrie pour que les gens écoutent. Mais c’est bête parce que si ça arrivait dans les oreilles des gens, je suis sûr qu’ils aimeraient bien. Sans prétention.

C’est osé d’avoir quand même sorti ce premier album en totale indépendance…  

Je n’ai pas eu le choix mais je n’ai aucun regret. Je remarque que les projets qui fonctionnent ces derniers temps sont des trucs un peu radicaux. Justement parce que les gens ont envie d’entendre des trucs nouveaux. 

Et en même temps musicalement tu t’inscris dans la lignée d’un Flavien Berger, un projet singulier et exigeant, qui fait danser et rêver…

Ça me fait plaisir. Sa musique m’a bouleversé. Il fait son chemin et les gens qui l’aiment suivent à chaque fois. Je ne suis jamais déçu par ce qu’il fait.

Pour finir, à la base, tu réalises aussi des clips pour d’autres artistes, est-ce qu’on peut parler de l’aspect visuel du projet TRENTE ? 

Oui, réaliser des clips c’est mon métier. Je les fais tout seul. C’est important pour moi qu’on ne me voit pas dans mes clips. Je suis une sorte de silhouette. J’aime bien écouter des projets où je ne pense pas à une tête mais plus à un univers visuel. Par exemple, Gorillaz c’est flagrant ou Bon Iver, que j’admire, je ne visualise pas son visage. D’ailleurs il ne le montre pas trop. Il a une drôle de tronche. Il est trop mignon avec une coupe de cheveux hallucinante. Il a cette humilité qui me touche beaucoup.

J’adore aussi les pop stars qui se montrent mais moi je veux me cacher derrière les images. Il y a eu un gros débat avec la silhouette sur la pochette.  Au début, je ne voulais pas et grâce à mon amie Margot qui est dans Magenta et qui est une graphiste géniale, on a beaucoup parlé de cette silhouette et de son côté mystérieux. C’est un petit personnage. Je ne me tiens pas droit et là j’ai pu accentué la position. Je voudrais qu’on retienne cette silhouette et pas mon visage quand on m’écoute. 

Tu aimerais pousser encore plus loin tout cet aspect cinématographique et musical ensemble ? 

Déjà sur scène, si j’avais les moyens, il y aurait des images. Mon rêve, ce serait de jouer en live de profil et que ça ressemble au clip mais pour ça il faut du budget. Il faut un projecteur et que ce soit un peu plus travaillé. C’est la prochaine étape pour les concerts : qu’il y ait de la vidéo, que ce soit une sorte d’expérience visuelle et sonore. Je ne suis jamais entièrement satisfait, parfois c’est maladif, et ce n’ est pas marrant et parfois ça pousse juste à faire mieux. C’ est bien d’être fier de soi aussi.  

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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