Dans le dixième volume de Lou !, l’héroïne imaginée par Julien Neel est passée d’une collégienne romantique à une jeune adulte indépendante et déterminée à réaliser ses propres projets artistiques.
Avec ses cheveux blonds ondulés, elle danse dans le crépuscule au milieu de son groupe d’amis. Il s’agit de la couverture du nouvel album de Lou !, l’héroïne créée par le dessinateur français Julien Neel. Depuis les années 2000, les fans de la série dévorent les aventures de cette collégienne élevée par sa fantasque mère célibataire. Très vite, l’auteur a fait grandir son personnage pour aborder des sujets comme la monoparentalité, la dépression et les doutes existentiels. Dans Lou ! Sonata 2, paru le 15 novembre dernier, Lou est une étudiante d’une vingtaine d’années et porte à bout de bras l’organisation d’un festival de musique dans le village de sa grand-mère. Surtout, elle s’affirme et gagne en indépendance vis à vis de ses proches. Une volonté de son auteur qui tient à ce que Lou existe par elle-même. Rencontre.
Dans ce nouvel album, on voit Lou, la vingtaine, se démener pour organiser des concerts dans le village de sa grand-mère. Une façon de montrer que le personnage a trouvé ce qui l’anime ?
J’aime bien que chaque album ait une identité propre et renouvelle la narration. Sur l’album d’avant, Lou faisait des études abstraites et était confrontée à la solitude. Elle mettait beaucoup d’énergie à ne pas faire grand chose. Dans le dernier tome du cycle, elle sera confrontée à des questions intimes. Je souhaitais donc, en effet, qu’elle porte un projet enthousiasmant dans ce tome 2. Avec une certaine insouciance mais aussi une forte envie de créer, qui traverse depuis toujours le personnage.
Pour concevoir un nouveau tome, je m’inspire toujours de ma vie. J’ai souvent observé mon frère donner naissance à des festivals de musique. Surtout, je l’ai vu être dans le feu de l’action sans pouvoir en profiter. C’est comme ça que m’est venu l’idée de confronter Lou à la gestion des groupes de musique, aux tensions avec ses proches et à la joie d’organiser un tel festival.
Depuis le premier tome paru en 2004, Lou grandit. Un choix peu commun dans le secteur de la BD jeunesse, où les personnages n’évoluent pas et sont surtout cantonnés à un format humoristique comme Titeuf ou Cédric. Pourquoi prendre ce risque ?
Essentiellement la peur de l’enfermement. Quand j’ai écrit et dessiné le tome 1 de Lou, ça a très vite marché ! J’aurai pu en faire 130. Mais dès le tome 2, je l’ai fait sortir de son environnement. C’est cette prise de risque qui a créé l’identité si forte de la série. Je pense que si je n’avais pas fait ça, je n’aurais pas cette fidélisation des lectrices et lecteurs qui ont grandi avec. Le fait que Lou traverse des choses parfois difficile comme l’adolescence, la dépression ou l’abandon…C’est ce qui a fait l’identité de la série.

On suit également l’évolution de ses proches et de la relation que Lou entretient avec eux. Même si toutes ne sont pas explicites. Par exemple, on ne sait pas trop de qui Lou est véritablement amoureuse dans cette galerie de personnages… Est-ce volontaire ?
J’ai conçu le cycle où Lou est étudiante comme une sonate, d’où le titre Lou Sonata. Et, une sonate, c’est en trois mouvements. Pour cette nouvelle partie de sa vie, il y a donc une introduction (le premier tome), un développement et une conclusion. En effet, dans ce second volume, je voulais ramener de façon collégiale de nombreux personnages de la vie de Lou. Pour montrer aux lecteurs où ils en sont. C’est un vrai challenge pour moi en termes de créativité. Je joue aussi sur le fan service mais je l’assume complètement. Parce que je sais déjà que tous ne seront pas présents dans le prochain tome du cycle.
En revanche, je conçois sa relation avec ses proches un peu comme un feuilleton. Je joue avec des questionnements et des suspensions. Sur ses relations amoureuses par exemple, j’aime bien qu’il y ait une partie de la vie de Lou qui reste privée et que ça se prête à la fanfiction. J’aime bien aussi qu’elle n’ait pas encore trop le temps de s’y pencher. Qu’elle existe sans avoir besoin de quelqu’un pour l’accompagner. Indépendamment d’une relation amoureuse en fait.
Pourtant, la question de ses relations amoureuses a marqué les premiers tomes de la série. Pourquoi ce revirement ?
Dans le premier tome, c’est vrai que je donne l’impression que Lou et sa mère ont besoin d’un homme pour se réaliser. Je montre les premiers émois amoureux de Lou pour Tristan. Sa mère, quant à elle, développe une relation avec leur voisin de palier, Richard. Mais je l’ai un peu regretté et j’ai eu peur de me fourvoyer là-dedans. J’ai même passé mon temps à rattraper cet aspect dans les tomes qui ont suivi. Ce qui m’intéresse avec Lou c’est de savoir comment elle va finir et pas avec qui. Et, via les albums, c’est plutôt un amour universel et amical que je veux transmettre.

Pour comprendre les émotions de Lou, c’est plutôt par la musique que ça passe. Comment vous avez créé ce rapport entre les deux ?
Dans le premier cycle, la résistance au quotidien passait par la musique. Avec des rituels entre la mère et la fille comme l’iconique « danse de la joie ». Dans le deuxième cycle et particulièrement ce tome 2, j’ai poussé la chose encore plus loin. En compagnie du groupe Krystal Zealot, nous avons inventé une dizaine de faux groupes pour ce festival de musique qu’organise Lou. Et toutes les chansons sont à retrouver sur un album, que le lecteur peut écouter en lisant la BD. Chaque groupe évoque une problématique qu’elle doit affronter en organisant ce festival. Comme le stress, l’amitié, le fait de commencer un projet et de le terminer. La « fanfare de Mortebouse » par exemple, exprime la colère. Elle arrive dans la BD en même temps que les immenses planches sur l’orage. La musique est vraiment intégrée à la narration de cette nouvelle aventure.
Vous avez toujours montré que Lou ne souffrait pas de grandir sans son père. À la fin de ce tome, il surgit pourtant dans l’histoire. Pourquoi ce choix ?
L’absence de père pour Lou fait partie des bases de l’histoire. Tout comme pour ses relations amoureuses, les lectrices et lecteurs sont un peu focalisés dessus. Toutefois, j’ai montré au fil des albums que ça n’était pas un problème, pour Lou, de grandir sans son père. J’ai amorcé progressivement leur rencontre dans l’idée de conclure ce pan de sa vie une bonne fois pour toute. Toujours dans l’optique qu’on se concentre plus sur elle ensuite, dans un cycle futur.
Et puis, cela m’a toujours intéressé de parler de la monoparentalité. Moi j’ai surtout grandi avec ma mère et j’ai remarqué que beaucoup de gens rencontrent un de leur géniteur sur le tard. Depuis longtemps j’ai des lectrices et des lecteurs qui se reconnaissent dans cet aspect de la vie de Lou. D’où mon envie d’aborder les questions que cela pose plus largement : ce que transmet ou non un parent absent. Le troisième tome de ce cycle sera dense au niveau émotionnel.
Lou ! Sonata – Tome 2, de Julien Neel, éditions Glénat, 17,50 euros.