CINÉMA

« Perfect Days » – L’odyssée poétique de Wim Wenders

Perfect days
Copyright Haut et Court

Après une carrière ponctuée d’échecs et de grandes réussites, l’Allemand Wim Wenders dresse avec Perfect Days le portrait contemplatif d’un nettoyeur de toilettes japonais. Un film délicat qui n’invente rien, mais sublime tout.

Les journées se ressemblent mais résonnent toutes d’une tonalité différente pour Hirayama. Véritable poète du quotidien, ce nettoyeur de toilettes du très chic quartier de Shibuya, à Tokyo, mène sa vie comme un très sérieux rituel. Chaque matin, l’homme se lève à l’aube. Se paie un café au distributeur qui jouxte sa maison. Embarque dans son van où il écoute une cassette de musique pré-enregistrée. Avant de nettoyer, avec application, les toilettes de la ville. Taiseux et attentif, il se munit d’une multitude d’outils pour récurer ces « Tokyo Toilets » aux designs excentriques.

Le soir venu, même rengaine. Il dîne dans son troquet préféré. Photographie les arbres lorsque la lumière est belle. Lit quelques pages avant de se mettre au lit. Les séquences se suivent, volontairement monotones. Tout comme le quotidien millimétré du héros de ce film-portrait, véritable ode à la sérénité et au dépouillement. La caméra de Wim Wenders suit Hirayama à travers ses déplacements d’un toilette à l’autre, comme dans un road-trip. A ceci près que les trajets du personnage à travers la ville n’ont pas de destination précise. Plutôt que d’aller d’un point A à un point B, le mouvement est circulaire. Le scénario de Perfect Days fonctionne sur le même modèle. A intervalles réguliers, Wim Wenders esquisse des débuts d’intrigues qui pourraient donner une direction à son film. 

L’infraordinaire

Pourtant, le réalisateur prend soin, dans le même temps, de ne rien faire de ces péripéties qu’il met en place. Elles se suffisent à elles-même, pour elles-mêmes, dépourvues d’utilité propre. La venue dans sa maison d’une nièce fugueuse, qui vient troubler la solitude du héros, en est un parfait exemple. Son arrivée pourrait donner au long-métrage des allures de film de transmission. Finalement, la jeune fille repart. Elle est emmenée par sa mère, la sœur d’Hirayama, dans un grand SUV, laissant entrevoir le passé bourgeois auquel l’homme a tourné le dos. L’important est ailleurs. Finalement, Hirayama repart à bord de son van, cassette au bout des doigts et l’éternelle même musique dans les oreilles, le Perfect Day de Lou Reed, qui donne son titre au film.

L’idée n’est pas nouvelle. Le personnage d’Hirayama, taiseux et observateur des choses du quotidien, rappelle à s’y méprendre un autre amoureux de l’ordinaire, interprété par Adam Driver dans Paterson (2016). Jim Jarmusch y mettait en scène un chauffeur de bus heureux et poète à ses heures, et célébrait ainsi aussi la beauté d’une vie simple. Ici, le bonheur d’Hirayama passe par l’âge – il est campé par le sexagénaire Koji Yakusho – et son amour du travail bien fait. La recette est connue et pourtant, la promesse d’élévation de Wim Wenders séduit.

A l’heure du capitalisme débridé, où l’on n’est jamais satisfait de ce que l’on possède, le réalisateur, changé par le confinement et la crise du Covid, invite au dépouillement. En creux de la paisible vie de son personnage, Wenders nous interroge : « Qu’est-ce qui est vraiment important dans nos vies ? »

Journaliste

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