Avec Levante, Lillah Halla signe un premier long-métrage d’une grande maîtrise, à la fois tendre et percutant. Le film met en lumière la situation glaçante des droits reproductifs dans son pays. La réalisatrice brésilienne livre en même temps une ode vibrante à l’adelphité (relation de solidarité entre des individus, sans distinction de genre).
Présenté à la 62e Semaine de la critique de Cannes, Levante suit la trajectoire d’une jeune joueuse de volley talentueuse. Son rêve de carrière à l’étranger se heurte de plein fouet à une double réalité, à la fois intime et nationale. Sofia, incarnée avec brio par Ayomi Domenica, doit obtenir une bourse pour partir étudier au Chili. Mais elle apprend qu’elle est enceinte et se retrouve alors confrontée à deux obstacles. D’une part, à la législation brésilienne qui criminalise l’avortement. De l’autre, à des fondamentalistes religieux la poussant à continuer sa grossesse non désirée. La violence à l’écran, parfois à la limite du soutenable, s’affiche comme celle de normes rigides et rétrogrades, qu’elles soient légales ou prétendument religieuses.
Portrait d’une jeunesse queer en feu
Dès le début, le ton est lancé : sur une bande-son badass, une bande de personnes queers transpercent l’écran. Iels apparaissent soudées dans la transgression des règles, le jeu et le rire. En contrepoint d’un contexte socio-politique hostile, lillah Halla célèbre leurs expériences et leurs particularités dans une grande joie partagée On est vite happé·es par leur énergie brute qui semble tout transcender, leur rage au ventre de gagner et d’avancer malgré les obstacles.
Il apparait vite que cette auto-organisation collective est vitale dans le contexte général d’une société brutale, soumettant ces corps à des normes réactionnaires. La réalisatrice réussit à contrebalancer cette violence en montrant l’amour queer et la force du groupe. Sofia est l’une des joueur·ses d’une équipe de volley inclusive. Celle-ci rassemble des personnes aux profils divers, évoluant en dehors de la norme de genre et de sexualité dominante. Lillah Halla dépasse l’aspect individuel de la situation de Sofia pour en faire une histoire véritablement collective. Elle dresse en filigrane les portraits flamboyants d’une jeunesse queer qui aime, rit, assume ses choix et transgresse les règles. On est débordé·es une tendresse et énergie rappelant Soft de Joseph Amenta. Le·a réalisateur·ice torontois·e y filmait trois enfants queers victorieux·ses dans les rues de San Francisco.

Thriller et amitiés au rythme de baile funk
Le rythme du film est effréné, porté par un montage et une bande-son explosive. Au baile funk féministe de MC Carol se mêle la ghetto house de la compositrice de la bande-son, Maria Beraldo. Les soirées et les entraînements s’enchaînent, puis les circonstances s’emballent.
Si le début esquisse d’abord les contours d’un film de potes queers, l’atmosphère se mue très vite en celle d’un thriller. Le film devient une véritable course contre la montre et prend des allures angoissantes. Tout se précipite, suite à l’emballement de la stratégie d’intimidation des fondamentalistes ultra-conservateurs, bien décidé· es à faire en sorte que Sofia revienne sur sa décision d’avorter. Ainsi, la tension va crescendo, construite notamment par la musique tantôt trépidante, tantôt dramatique. Lillah Halla prête également une attention particulière au son, amplifiant subtilement les micro-éléments. Le miel qui coule, ou le métal qui grince, sont autant de détails sonores rendus saillants, participant à l’atmosphère anxiogène.
Regard queer sur une expérience sensible
Levante est plus qu’un film à caractère hybride à la croisée des genres, entre thriller et buddy movie. Il est également le récit d’un processus de décision d’interruption de grossesse. Ce choix intime se fait malheureusement dans des circonstances politiques qui ne permettent pas une décision libre de toutes contraintes. Comme dans L’Événement (Audrey Diwan, 2021), cette situation provoque l’isolement de la protagoniste, en plus d’une modification de son rapport au corps. Les deux films tentent, à leur manière, de rendre compte de l’expérience sensible de leurs protagonistes, dans des sociétés qui les façonnent.

Lillah Halla transmet cette expérience dans un rendu qui ne prétend pas au naturalisme. Son parti pris esthétique se caractérise par des jeux de lumières irréalistes dans des tons roses-orangés. Ce choix accentue le sentiment d’étrangeté au corps, mettant en scène les transformations physiques subies par le personnage. La réalisatrice joue aussi subtilement avec l’univers des ruches, le père de la protagoniste étant apiculteur. Cet aspect donne au film quelques accents presque surréalistes.
Levante a la particularité d’adopter, en plus de ce « regard féminin », ce qu’on pourrait appeler un « regard queer ». La réalisatrice filme les corps non normés et le désir avec justesse et tendresse, sans aucun voyeurisme. Des représentations qui font écho aux actions du collectif Vermelha, qu’elle a co-fondé. Ce regroupement de réalisateur·ices femmes et queer brésiliennes se présente comme un projet politique œuvrant pour de meilleures représentations. Levante incarne cet élan de soulèvement contre les oppressions et les injustices, à travers le récit d’une lutte intime et collective pour la liberté de disposer de son corps.
Sortie en salle le 6 décembre 2023.