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LE FILM CULTE – « Heat » : Sous haute tension

Heat © 1995 Twentieth Century Fox Home Entertainment

Chaque mois, un·e rédacteur·ice vous propose de revenir sur un film qu’iel considère comme culte. Classique panthéonisé ou obscure pépite disparue des circuits traditionnels de diffusion, le film culte est avant tout un film charnière dans le parcours cinéphile de chacun·e. Après une incursion dans l’univers de Darren Aronofsky avec Black Swan, retour sur Heat de Michael Mann.

Comme sous le choc. À l’issue d’une plongée en apnée de près de 2h50, impossible de pas avoir le souffle coupé par le film de Michael Mann. Sorti en 1995, Heat ne laisse pas indifférent ; et quelques minutes de regards hagards et de pensées égarées sont nécessaires pour tenter de saisir la folie cinématographique qui habite ce long-métrage. Considéré comme un classique du genre par certains, décrié pour ses longueurs et son cabotinage par d’autres, le film accède au statut de film culte au tournant des années 2000. Les années passent, mais l’obsession Heat reste.

Heat raconte l’histoire d’un policier survolté, Vincent Hanna (Al Pacino) à la poursuite d’un braqueur de haut vol, Neil McCauley (Robert De Niro). Michael Mann explore les trajectoires obsédées et obsédantes de ces deux hommes, à la fois unis par le chaos qui règne dans leur vie personnelle et distincts par leurs choix respectifs de se conformer à la loi, ou de s’en affranchir. Fil rouge de ce duel romanesque aux allures d’épopée, la préparation puis la réalisation d’un braquage à 12 millions de dollars par McCauley et son équipe. Le tout, avec la ville de Los Angeles comme théâtre à l’architecture longiligne et aérienne.

Spleen teinté de tragédie

Au milieu d’une mise en scène soignée, où sombreur et sobriété s’entremêlent, le polar de Michael Mann lève le voile sur un aspect méconnu de ces deux professionnels : leurs vies privées. Traversées par trois axes que sont la solitude, la violence et l’obsession, ces existences fracassées par le rythme effréné de la réalité laissent peu de place à l’épanouissement personnel.

L’amour est remplacé par de l’affection, rafistolée ou péniblement assumée. Pour le lieutenant de la police criminelle Vincent Hanna, il s’agit de son troisième mariage – et il s’annonce aussi désastreux que les deux précédents. Entre opiacés et absences prolongées, le couple bat de l’aile. Victime collatérale, sa belle-fille, incarnée par une jeune et touchante Natalie Portman, tente de mettre fin à ses jours après un mal-être grandissant au fil de ses apparitions éclairs. Pour McCauley, la vie se résume à une devise : être prêt à tout quitter en moins de 30 secondes, montre en main, dès que le danger se fait sentir. Cette discipline vacille le temps d’une rencontre avec une jeune libraire, Eady, bien loin de se douter que derrière le « vendeur de métaux » se cache un braqueur recherché.

Acmé de cette solitude : le plan océanique inspiré du tableau Pacific, peint par le Canadien Alex Colville en 1967. Comme sorti du cadre, De Niro prend appui sur la baie vitrée, le dos tourné à son arme, posée sur la table de salon translucide. Le fond de l’océan se noie dans la noirceur du ciel. La silhouette de son personnage paraît plus isolée que jamais. Une si longue nuit, qui paraît ne jamais vouloir s’achever.

Heat © 1995 Twentieth Century Fox Home Entertainment

Mise en scène de haute voltige

C’est l’un des rares instants de contemplation – pour ne pas dire de répit – qu’offre le réalisateur. La compagne de cet isolement n’étant autre que l’obsession d’Hanna envers McCauley, elle se traduit à l’écran par un rythme effréné et haletant. Ainsi, de la première à la dernière seconde du film, un certain magnétisme enveloppe une intrigue certes classique, mais sublimée par la mise en scène de Mann.

Avec une caméra toujours en objectif large, le public, de fait à moitié voyeur, à moitié espion, semble assister aux péripéties depuis un angle lointain, tout en gardant une perspective sur les moindres détails et malgré la pénombre. En outre, la caméra du réalisateur se caractérise par son sens physique du mouvement, tant elle épouse la rapidité et l’énergie de ses personnages. À ce titre, la scène de braquage époustouflante à moins d’une heure de la fin du film fait preuve d’un hyperréalisme inégalé. Au point d’être montrée à l’instruction de soldats américains !

À l’écran, les balles pleuvent, les braqueurs tentent de s’échapper et les policiers essuient les tirs tant bien que mal. Le chaos règne en plein milieu d’une artère de Los Angeles ; la scène de guerre est à peine croyable et pourtant, elle ne souffrirait d’aucune objection. En cause ? Une caméra changeant d’angle autant qu’il y a de tireurs pendant près de quinze minutes. Étourdissant.

Heat, duel au sommet

En dépit de quelques longueurs, le film parvient donc à ériger une modeste histoire de braquage en tragédie des temps modernes. Les fusils d’assaut ont remplacé les poignards, et les longs vêtements laissent la place à des costumes gris et stricts, sans âme. Les monologues sont devenus des regards, accompagnés par une musique aux accents rocks et aux pulsations envoûtantes. Dans cette optique, le film entier est habillé d’un élégant clair-obscur et cherche à refléter la complexité des états d’âmes de ses personnages. Et ce, en même temps que la violence qui les entoure.

Librement inspiré de faits réels, Heat de Michael Mann offre un duel au sommet, entre la loi et le crime, à ses deux acteurs principaux. Avec ce remake de son propre téléfilm, L.A. Takedown, passé inaperçu à sa sortie en 1989, le réalisateur et scénariste américain propulse au rang de mythe la rencontre en champ – contrechamp entre Al Pacino et Robert De Niro. Après une brève entrevue dans Le Parrain II (Francis Ford Coppola, 1974), les deux monstres du cinéma américain partagent l’affiche, mais pas la caméra ; à sa sortie, le public et une partie de la critique crient à l’escroquerie. Qu’importe ! Le tant attendu « face-à-face de légende » ne se déroule pas dans le même plan.

Assis l’un en face de l’autre dans un restaurant en plein milieu de la nuit, les deux ennemis se retrouvent. S’en dégage un magnétisme difficilement descriptible. Tels les deux revers d’une même médaille, les deux acteurs transcendent leurs personnages pour mieux montrer le respect et la détermination qu’ils éprouvent l’un envers l’autre. Et d’évoquer leurs rêves, leurs familles grâce à une fine écriture des dialogues.

Vers un second volet ?

Au terme d’un final calibré, le personnage de Robert De Niro rappelle celui incarné par Al Pacino dans Carlito’s Way de Brian de Palma en 1993. En effet, alors que McCauley se décide à s’enfuir avec Eady, c’est la vengeance qui l’empêche de réaliser son rêve et, in extenso, d’achever sa repentance. Dans les deux films, des personnages secondaires frappent au terme du métrage, rappelant la faute originelle commise à leur encontre par excès d’égocentrisme. Neil McCauley, acculé par la police, s’enfuit seul ; Hanna le poursuit, l’abat. Avant de le rejoindre à l’agonie, saisissant sa main, comme s’il reconnaissait un prolongement de lui-même. Le plan large fixe qui immortalise la scène semble interminable, et contraste avec le très gros plan sur le regard du policier quelques instants plus tôt. Générique.

À l’instar d’un songe dont on émergerait violemment, la réalité dépeinte dans le long-métrage fracasse celle du quotidien de son public pour mieux en révéler les méandres. Jusqu’à quand ? En 2022, le réalisateur annonçait la sortie du roman Heat 2, à la fois préquel et suite du film de 1995. Après avoir réalisé Ferrari l’année suivante, Michael Mann, 80 ans, a promis de faire de cette adaptation sa priorité. Obsession, quand tu nous tiens…

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