Alors que le festival du film LGBTQIA+ de Paris s’achève, la rédaction de Maze vous présente quelques-uns de ses films coups de cœur.
Alors que cette 29e édition semble avoir battu un record de fréquentation, avec plus de 17 000 billets vendus en dix jours, le festival Chéries-Chéris s’est clôturé le 28 novembre avec la projection du film de Katell Quillévéré, Le temps d’aimer. C’est au cours de la même soirée que le palmarès établi par les jurys, parmi la richesse foisonnante des 73 longs-métrages et 64 courts, a été annoncé. À rebours des récompenses officielles, la rédaction de Maze vous propose une sélection de cinq films et documentaires coups de cœur, à découvrir en salles ou sur les plateformes.
All Of Us Strangers, Andrew Haigh (2023)
C’est avec la tant attendue romance entre Paul Mescal et Andrew Scott que le festival s’est ouvert, mardi dernier, donnant le ton avec un film surnaturel teinté de mélancolie.
Adam habite un immeuble monstrueusement grand et vide, dont il est l’un des deux seuls locataires. Le deuxième, Harry, ne tarde pas à devenir son amant. Un jour, alors qu’il visite la maison de son enfance, Adam a la surprise de revoir ses parents, pourtant morts dans un accident trente ans plus tôt.
Le film se construit autour d’allers-retours entre les deux mondes du personnage, liés par un simple voyage en train où le temps devient espace. D’une part, il y la vie réelle, froide, filmée en basse lumière. C’est l’amour avec Harry, mais aussi la dépression d’Adam. Et puis il y a cet autre monde-souvenir. Celui d’il y a trente ans, fait de lumières chaudes, de l’enfance et des parents sur le point de disparaître. Adam ne cesse d’y retourner, pour les non-dits, pour les regrets, à la façon d’une réconciliation utopique, comme un épilogue à Juste la fin du monde (Jean-Luc Lagarce). Le réalisateur lie ces deux temporalités pour déterrer les racines d’un homme profondément seul et mélancolique et qui peuple le vide de fantômes.
Avec un montage extrêmement méticuleux, des scènes qui brouillent la frontière entre les fantômes et les vivants, All Of Us Strangers perturbe les sens et la perception du temps. Le fantastique s’y manifeste d’ailleurs par la texture prononcée et abstraite de l’image. Plus Adam retourne creuser dans son passé, plus le film se métamorphose en quelque chose de terrifiant. Ses angoisses contaminant l’image et le son, jusqu’à frôler le film d’horreur. Un film troublant mais fascinant, à voir et revoir pour en saisir toute la complexité.
Au cinéma le 14 février 2024.
Hélios Tovondahy
Blue Summer, Zihan Geng
C’est l’été. La mère de Liu Xian, une jeune fille solitaire de quinze ans, la quitte pour une mission d’un an en Afrique. Elle est contrainte d’aller vivre chez son père, un photographe raté excentrique.
Là-bas, le monde terne et discret de Liu Xian est soudainement confronté à celui de Mingmei, la fille de sa belle-mère d’origine sud-coréenne. Explosive, envoûtante et surtout très libre, la jeune femme est son antithèse. Cette figure, à la fois amie, mère et amante, devient l’objet de tous les désirs de Liu Xian lors de cette vacance estivale. C’est ainsi dans le studio photo kitsch de son père que naît ses premiers sentiments amoureux. Blue Summer les peint à la façon d’une relation modèle-photographe : Liu Xian est fascinée par sa muse, par celle qui veut être vue et aimée.
Mais le plus saisissant reste le travail sur les décors. Ils débordent d’objets, de couleurs, de photos d’histoires et de personnes accrochées au murs. Il y a une dualité entre cette multitude de vies en désordre et la vie passive de la jeune fille. Comme une allégorie de l’appareil photo, elle découvre à travers Mingmei le monde extérieur envers lequel elle était si hostile avant. Tout en pudeur, mais laissant aussi l’espace au désir, Blue Summer est un film de coming of age comme on n’a pas l’habitude d’en voir, porté par des actrices (Meijun Zhou et Ziqi Huang) fascinantes, qui parviennent à jouer milles choses dans un regard et à donner une fragilité puissante à leurs personnages.
Au cinéma le 20 mars 2024.
Hélios Tovondahy

Who I Am Not, Tünde Skovran (2023)
Who I Am Not documente la violence des cistèmes[1] à travers les récits de deux personnes né·es avec des caractéristiques sexuelles en dehors des normes binaires masculines/féminines.
Pour son premier documentaire, Tünde Skovran donne la parole à deux personnes né·es intersexes en Afrique du Sud. La réalisatrice canadienne laisse toute la place à leurs expériences d’explorations personnelles et divergentes. D’un côté, celle d’une ancienne candidate Miss Afrique du Sud embrassant la féminité, faisant face au rejet de son identité de genre choisie après la découverte de son intersexuation. De l’autre, un·e jeune activiste non-binaire engagé·e dans une quête de reconnaissance et de vérité aux côtés de ses proches, après une intervention médicale subie à la naissance. La réalisatrice livre ainsi un double récit d’exploration tendre et intime d’une grande maîtrise, porté par un réel sens du rythme et de la narration. Sans jamais verser dans le misérabilisme, la réalisatrice n’épargne pas la violence subie, faisant ressentir au spectacteur·ice un peu du poids de la violence de l’injonction à être rangé·e dans une case.
Who Am I Not oscille entre réalisme et symbolisme, retranscrivant subtilement la solitude interne, la quête de soi constante et la réappropriation d’un corps et d’une identité, dans un long cheminement vers l’autodétermination. Le film révèle leurs vulnérabilités mais aussi leurs résiliences face aux nombreux obstacles, adoptant un ton juste et sensible. Une œuvre rare et nécessaire, fragments d’expériences d’une communauté de 150 millions de personnes dans le monde.
Julie Tronchon

Sirens, Rita Baghdadi (2022)
Dans un Beyrouth avant et après les explosions du port de 2020, la réalisatrice iranienne s’intéresse au premier groupe féminin de trash métal du Moyen-Orient, Slave to Sirens. À l’image de leur musique, un élan puissant porte le documentaire, transcendant les obstacles et le tragique qui resteront en toile de fond. Tout le contexte libanais troublé comme la relation amoureuse lesbienne tumultueuse entre les cofondatrices passe par la musique. Ces éléments se dévoilent au fur et à mesure à travers les dynamiques du groupe, sur scène ou en off. La réalisatrice rend ainsi justice aux musiciennes en plaçant la création au centre, faisant la part belle à de nombreuses séquences de concerts, tournages ou répétitions endiablées.
Cette approche immersive n’occulte néanmoins pas les obstacles, esquissés ou implicites, liés au contexte économique et politique, à la répression de l’homosexualité, ou à la misogynie ambiante. Ce parti pris permet aussi de montrer une certaine désillusion à laquelle répond la création, soulignant la puissance salvatrice et cathartique de leur musique, leur permettant de se « libérer » de leurs entraves. Un portrait puissant d’une jeunesse iranienne désenchantée mais agissante, confrontée à ses désirs et ses projets qu’elle tente d’affirmer.
Julie Tronchon

[1] « Cistème » : mot-valise issu de la contraction de « cisgenre » et de « système », permettant de critiquer la hiérarchie des identités de genre et les oppressions envers les personnes dont celle-ci n’est pas binaire/normative