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« Céleste » – Monsieur Proust et moi, clap de fin

©Éditions Soleil, 2023 — Cruchaudet
©Éditions Soleil, 2023 — Cruchaudet

L’année dernière, Chloé Cruchaudet célébrait en beauté les cent ans de la disparition de Marcel Proust avec le premier diptyque de sa BD Céleste. La suite, tout aussi belle et tout en mouvement, ravit.

Sans Céleste Albaret il n’y aurait peut-être pas eu la Recherche. Croire que cette affirmation est exagérée revient à oublier les petits détails techniques qui font aussi les grandes œuvres. Pendant les huit années durant lesquelles Céleste a été au service de Proust, elle a su s’adapter, comprendre et aimer l’écrivain, en sachant répondre à ses petits caprices comme à ses vrais besoins.

Dans les entretiens avec Georges Belmont auxquels a bien voulu se livrer l’ancienne gouvernante à la fin de sa vie, elle affirme : « Le destin m’a donné la plus belle vie du monde par cette façon que j’ai aimé cet homme. […] Proust m’a fait connaître une vie que je n’aurais jamais soupçonné ». Ce sont ces huit années aux côtés de celui que Céleste appelait avec fierté « Monsieur Proust », que Chloé Cruchaudet déploie dans ce superbe diptyque.

© Éditions du Soleil, 2023 — Cruchaudet

Céleste retrouvée

Le premier volet, sous titré Bien sûr, Monsieur Proust, présentait l’arrivée de Céleste Albaret dans la vie de l’auteur. Ou l’apparition de Proust dans celle de Céleste. Au début de la Première Guerre mondiale, le mari de la future gouvernante partait pour le front. Restée seule, elle devait trouver un moyen de subsistance et c’est alors qu’une place chez l’écrivain lui fut proposée. Après une première période d’adaptation – le grand auteur trainait derrière lui une réputation capricieuse – une complicité naquit entre eux. Jusqu’à une première séparation qui concluait ce livre initial.

Ce second tome – Il est temps Monsieur Proust – commence par le retour de Céleste chez l’auteur. Son mari revenu du front, Céleste regrette une « forme de… délicatesse », « dans le fait de pouvoir s’extraire totalement du monde ». Loin du dandy, elle s’ennuie. Continuer à se frotter à l’indélicatesse de son mari loin du beau monde, la contrarie. De son côté Proust aussi se languit de cette Céleste qu’il compare à une « cascade ». Ce qu’elle possède et qu’il n’a pas -l’énergie, la connaissance du monde, la parlure populaire qui l’émerveille – lui manque. Mais pour retourner chez Proust, Céleste donne ses conditions. La petite provinciale a bien grandit, elle connait maintenant sa valeur. Elle demande à ce que quelqu’un l’épaule dans sa tache, et c’est ainsi que sa sœur Marie vient à Paris se mettre au service de Monsieur. C’est ainsi aussi que Céleste gagne en liberté.

© Éditions du Soleil, 2023 — Cruchaudet

Les retrouvailles sont heureuses, chacun de son côté y gagne. C’est une Céleste plus affirmée que Chloé Cruchaudet met en scène dans ce dernier volume. La gouvernante est en effet sûre de son statut essentiel : pour qu’elle revienne à son service, Proust lui a soufflé qu’il n’y arriverait pas sans elle. À quoi ? Eh bien à déménager (il est mis en demeure), à trouver de l’inspiration, à écrire. Bref, à vivre. Via ce duo, c’est tout un microcosme parisien que la bédéaste met en scène. D’un côté il y la haute bourgeoisie rentière qui peut se permettre au lendemain de la guerre, de gaspiller allègrement les croissants frais. Et de l’autre les domestiques qui lisent Bécassine et font des fautes d’orthographes.

Les plaisirs et les jours

Pour épouser le style vaporeux et gracile de Proust, Chloé Cruchaudet est d’une inventivité merveilleuse. Le déménagement du boulevard Haussmann à la rue de l’Amiral-Hamelin en 1919 se fait sur des ponts suspendus entre les immeubles parisiens. Le torrent de critiques négatives à l’annonce du prix Goncourt pour À l’ombres des jeunes filles en fleurs se déverse littéralement sur la pleine page. Et le jardin des souvenirs d’enfance dans lequel se perd l’écrivain redevenu enfant, regorge de phrases qui courent le long des arbres. Comme Baudelaire, Proust emploie « pelle et râteaux / Pour rassembler à neuf les terres inondées » (« L’Ennemi », Les Fleurs du Mal).

L’autrice propose une valse avec ce diptyque. Le mouvement y est central : celui de Céleste, « bouillonnante » ; celui de la lumière, vivante ; celui des couleurs, insaisissables comme de l’aquarelle et celui des cases qui ne sont jamais carrées et dociles. Le rythme toujours très rapide s’associe avec entrain au violets et aux verts. Ainsi, Chloé Cruchaudet rend un bel hommage à un beau duo.

leste, Il est temps Monsieur Proust, de Chloé Cruchaudet, Editions Soleil, 144 p, 19,99 €

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