Baguenaudes de Marion Jdanoff est un livre dessiné qui se coltine au désir, à ce que ça fait dans le corps – à la peur et à la jouissance – en inventant une mythologie sismico-sensible.
Le volcanisme est une érotique. Marion Jdanoff ménage un espace dans lequel elle peut s’autoriser à penser autrement les « histoires de corps et de désirs ». Artiste, elle travaille sur certains projets avec Damien Tran pour leur collectif Palefroi, mais c’est seule qu’elle compose ses livres dessinés.
Son précédent ouvrage, Guerre, est bouleversant d’amitié. Alors que son amie Pauline doit faire face à un cancer, Marion Jdanoff décide d’inventer un rituel sacrificiel et guérisseur. Chaque mois, elle lui adresse un lot de dessins qui devront être brûlés, un à un, quotidiennement. Cependant, ces dessins destinés à disparaitre ont été archivés par la destinataire. Alors, ensemble, elles prennent la décision de publier cette correspondance en images.
Baguenaudes est une tout autre proposition. Au fil des pages, des êtres expérimentent la proximité, entrent en danse dans la couleur, se font montagne, rivière ou volcan, questionnent les rapports charnels. Dans un dessin tantôt noir et blanc, tantôt étincelant, Marion Jdanoff invente une physique, plutôt qu’une psychologie, de l’intime.
Au lieu de : m’auto-persuader que c’est pas mon truc. […] J’aimerais bien essayer de : trouver les chemins par lesquels je peux arriver vers d’autres corps avec curiosité et enthousiasme. Avec panache. Désirer sans peurs et sans reproches. Et pour ça, j’ai dessiné. Je me suis bricolée un livre érotique que je peux regarder sans me sentir coincée.
Baguenaudes, Marion Jdanoff
Atteindre des sommets
Un jour, elle rêve. Une multitude d’images affleurent à la surface. L’envie d’un livre – qui « ne commencerait jamais » et où s’inventerait avec « 3 parpaings et 2 bouts de bois » un autre monde – se précise. Au cours de cette longue promenade, le paysage révèle certaines de ses zones érogènes. On traverse des îles érectiles, on croise des élans majestueux, de la mousse humide, on se « roule des tractopelles – mais genre délicatement », on caresse la peau des arbres, on parle frottements, subductions, attractions et répulsions, on « baise avec des feutres » à même la peau.
Ce magnifique livre d’images est entièrement réalisé à la main. Marion Jdanoff varie les intensités (lenteur et fulgurance) mais aussi les techniques de création des images. Elle utilise le feutre, pour de grands pans abstraits, la peinture, le crayon et la gravure. Les dessins disent leur matérialité en ne dissimulant pas le geste qui les fait advenir. Le trait hésite, fuse, bave ou se rompt.
L’écriture, elle, se poétise mais flirte aussi avec le langage scientifique (topographie, biologie, géophysique). L’artiste ruse, lutte contre les connotations, se joue des expressions toutes faites. Elle modèle un puzzle, insère un effet flipbook pour mimer une rencontre, compose une bande originale pour le livre. En bricolant, elle cherche à penser des corps-à-corps excitants et rassurants (pourquoi cela serait-il oxymorique ?). Elle essaie de dire simplement : jusque dans l’amour, doit survivre l’amitié.
Face aux routes balisées des représentations du sexe, Marion Jdanoff propose d’emprunter un chemin de désir qui zigzague dans un paysage mobile. Plutôt qu’une analyse anatomique, elle préfère une poétique des fluides et des mouvements qui n’en dit jamais trop. Quel livre ! Alors, ne plus rien en dire, inviter seulement à aller le lire.
Baguenaudes de Marion Jdanoff, Super Loto Editions et Grante Ègle, 30euros.
