LITTÉRATURE

« Accueillir » – Un art de la philiation

© Olivier Barlet / Wikimedia Commons
© Olivier Barlet / Wikimedia Commons

Avec Accueillir, la philosophe Marie José Mondzain formule l’urgence à repenser la notion d’hospitalité à l’aune d’un engagement collectif, affectif et éthique. Un livre lucide et nécessaire.

Alors que le Sénat a adopté en première lecture, mardi 14 novembre 2023, le projet de loi « immigration » remettant en cause nombre de droits et d’aides concernant celles et ceux qui arrivent sur le territoire français, Marie José Mondzain fait paraître un nouvel ouvrage, Accueillir -Venu(e)s d’un ventre ou d’un pays. Elle formule la nécessité de repenser les conditions concrètes dans lesquelles nous accueillons tout être.

Philosophe et directrice de recherche au CNRS, Marie José Mondzain a publié des essais dont plusieurs consacrés à la notion d’image  : Image, Icône, Économie (1996), L’image peut-elle tuer ? (2002) mais aussi le livre Qu’est-ce que tu vois  ? (2008) pensé et composé avec des enfants. Dans son dernier essai, elle diagnostique « la maladie qui […] consiste à ne plus savoir ni recevoir l’autre ni recevoir de l’autre » et rédige un plaidoyer pour une hospitalité inconditionnelle.   

De la filiation à la philiation

Dans une langue claire et précise, Marie-José Mondzain déploie une pensée de l’accueil. Elle oppose à toutes formes de haine et d’exclusion, un art de l’hospitalité qui doit se fonder sur la philiation (lien politique) et non sur la seule filiation biologique (lien héréditaire). Formée à partir du grec philia (forme d’amour), la philiation définit un « régime qui engage politiquement tous nos affects » et qui demande une « attention radicale à donner à toute arrivée, à tout arrivant ».

La philosophe s’attache à remettre le lien biologique en perspective. Elle refuse d’en faire le parangon de toutes formes de lien. Ainsi, la naissance ne peut être le modèle depuis lequel penser notre façon de faire communauté. Quand un enfant naît, pour véritablement être accueilli, sa naissance doit s’accompagner d’un geste symbolique de reconnaissance : « Naître biologiquement ne suffit pas. Encore faut-il être adopté. A cet égard, tout nourrisson est un enfant adopté ».

Marie José Mondzain rappelle les dangers d’une pensée de la transmission qui privilégie le prisme unique de la génétique. Elle formule l’importance, au contraire, d’un accueil universel et pérenne qui se fonde sur la solidarité et l’amitié. Pour elle, c’est l’adoption qui seul peut constituer le « principe fondateur de tout lien » en tant qu’elle acte le fait que « ce sont la parole et les gestes d’accueil qui fondent la légitimité d’une personne et son appartenance à une communauté ». Ainsi, la philiation affirme avec force le souci particulier qui doit accompagné toute rencontre.

Pour un art de l’hospitalité

En prenant en compte les coordonnées de notre société actuelle – croissance des émigrations, mutation des formes de reproduction, crise démocratique, hausse des actes xénophobes – Marie José Mondzain réaffirme la nécessité d’une hospitalité radicale. Elle rappelle qu’« émigrer est notre commune condition (…) celle du voyageur, du passant, de l’hôte qui est reçu, qui reçoit et qui remercie » et qu’en ce sens, l’hospitalité est la condition de notre humanité. Aussi, face à l’« inégalité des conditions » et l’« égalité de tous en dignité », il est important de ménager des lieux d’asile inconditionnel.

La philosophe propose une pensée polymorphe réjouissante qui travaille aussi bien à partir d’un concept (l’exil, le seuil, la rencontre), d’un poème (Antichambre de Francis Ponge) que d’un film (L’Ordre de Jean-Daniel Pollet, documentaire saisissant sur l’enfermement des lépreux sur l’île de Spinalonga). De chapitre en chapitre, elle prend le temps d’aller à la rencontre d’Antigone, d’Œdipe, de Bartleby, d’Ulysse comme d’Aristote, Sigmund Freud, Paul B. Preciado ou Günther Anders. A notre tour, nous pouvons emprunter ce cheminement philosophique qui nous enjoint d’apprendre, encore et encore, à « métamorphoser nos regards ». 

En forgeant le concept de philiation, l’essai de Marie José Mondzain formule une théorie lucide et nécessaire de l’hospitalité créatrice et de l’adoption. Adopter, ce n’est pas rendre l’autre semblable. C’est initier un mouvement intérieur infini qui consiste à « s’étranger » c’est-à-dire consentir à faire l’« expérience de sa propre altérité » en ouvrant à d’autres que soi, son toit.

Accueillir – Venu(e)s d’un ventre ou d’un pays de Marie José Mondzain, Editions Les Liens Qui Libèrent, 20,90euros.

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