LITTÉRATURE

« Un monde plus sale que moi » – Un monde post-MeToo

© Editions la ville brûle
© Editions la ville brûle

Avec Un monde plus sale que moi, Capucine Delattre livre un récit sur MeToo et son écho dans la vie d’une « fille de (s)on époque » qui « croyait devenir femme alors qu’elle devenait proie ».

L’histoire commence en 2017. Cette année-là, le monde est secoué par le mouvement MeToo, du nom de ce hashtag sous lequel des milliers de femmes victimes de violences sexuelles se mettent à témoigner. Alors qu’Harvey Weinstein, accusé de multiples viols et agressions sexuelles, fait la une du New York Times, Elsa, narratrice et personnage principal du roman, fait l’amour pour la première fois. Un hasard du calendrier auquel la jeune femme ne prête pas attention. Plus encore, elle n’y accorde pas d’importance. « J’ai découvert l’amour en même temps que #MeToo. Ça ne me concernait pas, pas plus que ça m’a affectée », raconte-t-elle dans les premières pages du livre.

Pourtant, à mesure que la vie amoureuse d’Elsa avance, MeToo prend de l’ampleur. Petit à petit, Capucine Delattre introduit un parallèle entre la vie sexuelle de sa narratrice et le mouvement politique. L’un et l’autre s’entremêlent peu à peu, à mesure qu’Elsa subi les violences ordinaires que son petit ami exerce sur elle. MeToo, c’est seulement pour les autres ?

Vient ensuite, comme avec MeToo, le moment fatidique de la prise de conscience. Elsa, notre narratrice, se met à débobiner les étapes de sa relation avec son premier amoureux. Elle repense au premier rapport sexuel, ce moment durant lequel Victor, son petit ami, a « oublié » de mettre un préservatif. Il y a aussi eu les fois où elle n’était pas réveillée pour pouvoir dire non. Mais aussi la fois où elle l’a fait, mais que ça n’a rien changé. Le viol n’est pas abordé frontalement. Ce n’est pas qu’Elsa ne le raconte pas mais plutôt qu’elle n’a pas conscience de le raconter. L’autrice installe ici ainsi une double temporalité dans son roman : il y a ce que son personnage sait, ce que nous savons.

Déconstruire

Comme avec MeToo et les milliers de tweets dénonçant des violences, la manière dont le langage verrouille le pouvoir et la pensée est au cœur de ce roman. Ce que Capucine Delattre démontre, c’est la manière habile, parfois insidieuse, dont le patriarcat s’infiltre jusque dans les mots. Le langage suggère des évidences qui n’en sont pourtant pas. Ainsi, Elsa connaît le sens du mot « pénétration » bien avant celui de « cunnilingus ». Mais souvent le langage est remplacé par le silence. D’ailleurs, Elsa se tait souvent. « J’ignore si j’ai le droit d’en parler. Alors je garde le silence, pas par honte mais par impuissance, par peur aussi », raconte Elsa au sujet de son viol. 

Elle se tait aussi lorsque son copain lui reproche d’agir comme une « petite collégienne qui minaude ». Elle se tait lorsqu’elle a faim, il lui semble que son couple ne se remettrait jamais d’un désaccord diététique. Elle se tait quand elle a mal pendant un rapport sexuel, elle pense que l’amour vaut bien quelques souffrances. Elle se tait encore face à sa mère à qui elle n’ose pas dire qu’elle a été violée. Le silence encore et toujours.

En fin de compte, ce sont pourtant les mots qui sauvent. Ceux qui sont prononcés au détour d’une plainte, d’une conversation entre amies ou encore d’un tweet. Les mots permettent de briser le silence des violences. Les mots sont politiques. Ce roman l’est aussi. Capucine Delattre porte, avec son texte, la voix des filles qui, comme son personnage principal, avaient 17 ans en 2017 et qui ont cru qu’elles « pourraient grandir sereines à l’ombre de la grande fleur soudainement éclose qu’était MeToo » alors même qu’elle a été « arrachée, séchée, placardée, étouffée ». 

Un monde plus sale que moi de Capucine Delattre, éditions La ville Brûle, 280 p., 18 euros

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