Fin août, la rappeuse québécoise Marie-Gold ouvrait, le sourire aux lèvres, la deuxième édition du festival Transe Atlantique de Saintes. À cette occasion, nous l’avons rencontré pour évoquer ses deux albums Bienvenue à Baveuse City et Retour à Baveuse City.
Quand Marie-Gold, rappeuse et physicienne débarque dans le rap game québécois, elle affirme qui elle est en sortant deux albums concepts Bienvenue à Baveuse City et Retour à Baveuse City. Elle crée ainsi un univers unique, une ville où chaque chanson devient un lieu et où elle peut déployer un rap de l’absurde. Elle invente ainsi un personnage, la Baveuse, pour aborder des sujets de société profonds, que ce soit l’écologie ou le féminisme sans jamais oublier de le faire avec du fun – comme on dit au Québec. Rencontre avec une scientifique et une artiste à part dans le rap.
En février 2022, tu sortais un premier album, Bienvenue à Baveuse City, suivi d’un Retour à Baveuse City en juillet dernier. C’est qui, la Baveuse, un alter ego ? C’est toi ?
La Baveuse, c’est un personnage très amusant qui est axé sur le plaisir. Elle aborde des sujets très sérieux et pertinents, mais qui sont dans le fond et la forme abordés avec amusement. La vie est tellement sérieuse qu’il faut prendre du plaisir à travers tout ça.
Il est né comment ce personnage ?
C’était une accumulation à travers les années. J’étais un peu frondeuse, j’avais beaucoup d’attitude sur scène. On disait « Elle a tellement d’aplomb », alors que c’était plus de l’insouciance que de l’arrogance. Je trouvais que l’industrie de la musique était trop sérieuse. Tu peux facilement te prendre la tête et déprimer en tant qu’artiste. C’est triste. Moi, je voulais prendre du plaisir. Puis, j’ai créé La Baveuse pour tout tourner à la dérision. Tout ce qui était lourd est devenu plus léger.
Et comment as-tu créé cette ville imaginaire ? Car c’est un vrai univers où tu as créé des lois et des lieux. Il y a toute une cartographie de Baveuse City…
C’est un univers riche, dense et coloré. Il s’y passe beaucoup de choses. En spectacle, on peut faire de la scénographie et toutes les dérivées visuelles possibles. Il y a plein de choses à faire. Le lancement de Baveuse City, c’était une fête foraine et imaginons que chaque stand était une des chansons.
Et on peut parler d’album concept, ce qui est assez osé ? Il y a d’autres albums concepts qui t’inspirent ?
J’étais sûre de vouloir faire un album concept. Comme tout le monde, j’ai écouté L’Étrange Histoire de Mr Anderson de Laylow. Ça, c’est vraiment dingue, parce que les transitions sont impeccables. Puis à l’époque, j’avais comme tout le monde adoréThe Eminem Show. C’est un de ses premiers albums. Mais j’ai dû me nourrir d’une vingtaine d’albums concepts. Je suis très studieuse et académique. Pour chaque thématique de Baveuse City, j’ai fait des recherches avant. J’ai lu la République de Platon et Le Mythe de Sisyphe de Camus, parce que ça parle de la pertinence de l’absurdité. L’existence est absurde en soi.
D’ailleurs, tu as continué les études en même temps que tu commençais ta carrière musicale, non ?
Je pense que je suis juste très studieuse. J’aime apprendre. Et oui, effectivement, j’étais en études à ce moment-là, donc, j’étais déjà dans un encadrement où j’étais très rigoureuse. Je faisais des recherches avant de parler ou de créer. Pour l’album, j’ai rencontré une des mairesses de Montréal. J’étais absorbée dans le processus de création d’une ville.
C’était important de faire un Retour à Baveuse City ?
Oui c’était indissociable. En fait, le Retour est né en même temps que Bienvenue. Mais ça a pris plus de temps de faire Bienvenue qui était vraiment le noyau de l’univers. Ce sont les meilleures chansons sur lesquelles j’ai pu travailler. Retour, c’est l’extension qui clôt l’univers.
C’est quoi ton endroit préféré dans Baveuse City ?
Ça dépend des fois. Je pense que j’aime beaucoup « Montagne russe », musicalement. Sinon, il n’y a pas de chanson dessus, mais mon endroit préféré, ça serait la bibliothèque. Je pense que c’est là que je me sens mieux, quand je suis entourée de livres. C’est pour ça que la dernière chanson que j’ai sorti parle des mathématiques et des sciences, c’est mon jardin secret. Je fais un couplet sur les maths et c’était dur de faire ça sans que ce soit bidon. Souvent, les gens me disaient « Quand est-ce que tu fais un rap sur les maths ? » Je n’avais pas envie que ce soit éducatif mais ça c’est fait naturellement, donc on a décidé de le sortir. J’étais dans mes études en physique, donc c’était naturel pour moi de faire des références. C’est mon vocabulaire.
Une autre chose qui est assez originale dans ton projet, c’est l’humour et le goût pour l’absurde. Le rap, que ce soit au Québec ou en France, reste un genre musical plutôt sérieux et premier degré…
Oui, vraiment. Il y a un côté très premier degré dans le rap. Puis, c’est un genre noble et magnifique. Mais Baveuse City, en soi, est très sérieux dans les textes. C’est pour duper les gens, le but était d’avoir cette espèce d’interface qui est complètement absurde et loufoque. Et d’arriver à faire en sorte qu’ils vont écouter ça en pensant que c’est ludique, mais il y a un vrai fond. C’est comme, Vald ou Lorenzo, il y a un vrai propos derrière le jeu. Je trouve ça brillant.
Dans un entretien, tu disais que c’était plus facile pour le public français de comprendre l’humour…
Oui, parce que je pense que vous avez plus d’exemples de rap satirique. Vous avez plus de nuances et plus de rappeurs originaux avec de vrais univers. Vous êtes déjà un peu habitués à avoir du rap qui flirte avec l’absurde et l’intelligence.
C’est un petit milieu, le rap, au Québec ?
Oui, quand même. Tout le monde se connait. Je peux nommer toutes les rappeuses, alors qu’en France, j’en découvre tous les jours.
Et pour toi, c’était une évidence de rapper plutôt que de chanter ?
Je ne me suis pas posée la question. On pense que c’est de l’arrogance mais c’est vraiment de l’insouciance. Après le lycée, je me suis mis à côtoyer des gens qui faisaient du rap, tous des hommes. Je trouvais que ce milieu était tellement dynamique. Ça permettait justement d’avoir un propos à la fois sérieux mais aussi léger. C’est de la poésie. J’écrivais énormément et j‘avais envie d’avoir une présence scénique. Le rap, on peut en faire sans beaucoup de moyens de production. Donc, quand tu commences la musique et que tu n’as pas de background musical, ça te semble quand même accessible. Après, je pense que je suis un peu un ovni, surtout dans le rap québécois. J’ai l’impression que je flirte avec le rap mais mon style musical est plus large, ça dépend des chansons.
Tu écrivais depuis l’enfance ?
Quand j’avais 8 ans, j’écrivais des histoires. Je voulais être écrivaine. Je faisais des concours, des dictées… J’écrivais des poèmes aussi. J’avais cette habileté à faire des connexions entre les mots, les vocabulaires, les lexiques. Quand j’ai commencé le rap, ça a été automatique, je me suis mis à écrire énormément.
Tu parles de féminisme dans cet album. Justement, quand on est une femme dans ce milieu très masculin, est-ce qu’il faut trouver sa place ?
C’est vraiment un sujet sensible et épineux. Souvent, c’est difficile de l’exprimer. Je dirais qu’être une femme, il y a du pour et du contre. Au début, l’absence de femmes dans le milieu du rap québécois a été une source de motivation pour moi. Les portes étaient grandes ouvertes. Rapidement, on a eu beaucoup d’attention et beaucoup de haine. Il y a bien sûr une forme de sexisme qui existe. Mais c’était vraiment une source de motivation, de challenge. Je pense que c’est important de bien s’entourer. Mes expériences les plus difficiles en étant une femme dans le rap, souvent, elles viennent de l’industrie, mais ça, je ne sais pas comment le nommer. C’est ce qui est établi dans le vieux monde.
Moi, mes expériences ont surtout été par rapport aux médias qui me mettaient des mots dans la bouche. Ça, ça m’a horrifiée et traumatisée. Souvent, je refuse les entretiens sur les femmes dans le rap parce que je vais dire quelque chose, puis après, je vais lire l’article et ce ne seront pas mes propos. Je me sens souvent outillée pour la cause. Mon expérience est très personnelle. Je suis physicienne, donc pour moi, les statistiques sont très importantes. Je ne peux pas parler de mon expérience et dire que c’est celle de toutes.
Il y a un autre sujet de société que tu abordes dans tes albums, c’est l’écologie…
Oui, comme tout le monde, j’ai été très éco-anxieuse. Pendant que je faisais Bienvenue à Baveuse City, j’ai failli abandonner le projet pour un album qui s’appelle La Terre brûle. Je pense que c’est un peu latent et inconscient. Donc oui, l’environnement, c’est un des sujets d’engagement qui sont dans le fond de l’album. Je voulais aborder plusieurs sujets.
Et comment tu vois les habitants de Baveuse City ?
Heureux. J’ai vu le film Barbie et c’est proche de ce que j’imagine pour Baveuse City. Tu peux être brillante et amusante et il y a une femme présidente ! Mais je pense que si j’avais un biopic, ce serait genre Barbie/Oppenheimer avec mon background en physique. Un biopic de l’été 2023.
Et là, c’est quoi la suite du biopic, les projets futurs ?
Là, on fait encore quelques spectacles pour Baveuse City. Et puis, j’ai été diplômée en physique. Ça, ça fait partie de mon quotidien, la physique. Je me suis rendue compte que je ne peux pas juste faire de la musique. Ça me rend trop malheureuse. Mais je ne peux pas non plus juste faire de la physique, donc je vais préparer un nouvel album, où je quitterai Baveuse City pour un autre univers.