Buongiorno, notte est une référence à un vers du poème d’Emily Dickinson « Good Morning, Midnight » et à une émission italienne traitant d’affaires judiciaires italiennes. Elle annonce préalablement la mort d’Aldo Moro, évènement qui marquera à jamais une Italie politiquement divisée, et sera l’objet du Buongiorno, notte de Marco Bellocchio.
Rome, dans les années 1970. Un homme politique : Aldo Moro, président du Parti centriste « Démocratie chrétienne ». Une volonté réformiste : unir le Parti Communiste avec son Parti politique. Les Brigades Rouges – « Le Brigate Rosse » en italien – groupe terroriste italien d’extrême gauche, s’oppose à cette tentative d’union politique. Ils décident donc de séquestrer puis d’assassiner le président. Leur défense ? Menacer un symbole républicain, pas un individu. Une justification qui fait réfléchir sur la notion même d’humanité.
« Il caso Moro »
Le9 mai 1978, le cadavre de Moro est retrouvé dans le coffre d’une voiture, Via Caetani, à mi-chemin entre le siège du Parti Démocratie chrétienne et le Parti Communiste. Une mort hautement symbolique. Cette affaire traumatisera à jamais un pays entier, dont Marco Bellocchio, qui réalisera trente ans plus tard Buongiorno, notte.
Cette histoire met en lumière une criminalité terroriste à haute tension dans ce pays catholique. Des remerciements post-mortem faits à Aldo Moro aux insultes à son insu, les réactions suscitées sont fortes. Une chose est sûre, les circonstances de la mort de cette figure politique, désormais historique, alimentent toujours les débats en Italie.
Une utopie révolutionnaire
Des paroles percutantes, voire choquantes, prononcées par certains membres du groupe terroriste pendant le procès Moro. Le reflet d’une folie humaine pour le compte d’une utopie révolutionnaire. Mais cet évènement est avant tout la conséquence d’un monde marqué par un contexte de Guerre Froide.
« La mort de Moro a été l’acte le plus humain jamais commis par les Brigades Rouges ».
Phrase prononcée par l’un des terroristes le jour du procès
L’objectif ? Maintenir les deux blocs opposés. Accepter un compromis à travers la proposition de Moro détruirait cette structure établie. La peur d’intégrer les Communistes dans un système politique soutenu par les Américains se fait ressentir. Bellocchio s’interroge donc sur la simple idée de faire tomber les institutions : une avancée pour les sociétés futures ?
Buongiorno, notte confirme aussi la direction cinématographique du réalisateur italien, avec un cinéma volontairement politique, qui laisse transparaître des fractures et des tensions dans une société en constante évolution. Bellocchio, lui-même, milite pour les Communistes durant sa jeunesse. Pour autant, la mort de Moro sera un évènement qui le marquera à vie.
La subjectivité du récit fictionnel
Les spectateurs suivent la narration à travers les yeux de Chiara, une figure des Brigades Rouges. Ce personnage féminin incarne la complexité de l’intrigue et affole la notion même de manichéisme. Ses doutes, malgré sa participation à l’enlèvement du président, renforcent le malaise vis-à-vis de ses acolytes et une interrogation surgit : va-t-elle finalement les trahir ?
La double vie de Chiara est ainsi marquée de façon à amener la tension de la situation dramatique à son paroxysme. L’omniprésence des Brigades Rouges, à travers ses compagnons révolutionnaires, leurs discours ou le décor – notamment le logo du groupe terroriste présent sur le lieu de travail de Chiara qui l’effraie – augmente un conflit interne chez la jeune brigadière.
De la visite de l’appartement au moment où les jeunes le quittent, le lieu occupé par les Brigadiers est central dans le film. L’action se déroule presque entièrement dans ce huis clos. Bellocchio semble vouloir immerger les spectateurs de sorte à les faire participer pleinement à l’action. Le film n’analyse donc pas les états d’âme de Moro ou celles des autres grandes figures de pouvoir gravitant autour de l’intrigue. Il se concentre sur le processus de l’action révolutionnaire porté par les ravisseurs – contrairement à Esterno Notte (Marco Bellocchio, 2022) qui s’intéresse davantage aux divers points de vue des personnages impliqués dans l’affaire. Ici, seuls les extraits de journaux télévisés et affiches présents dans le film témoignent d’une opinion extérieure.
Sans pour autant être une fiction documentariste, Buongiorno, notte permet de mieux appréhender cette histoire, basée sur des faits réels. Bellocchio refuse un trop-plein de réalisme et de spectaculaire. La mise en scène est simple et directe. La violence visible à l’écran est minime. Le réalisateur utilise plutôt l’imagination des spectateurs pour mieux rendre compte de l’action visible à l’écran.
Aldo Moro : la figure touchante du film
Bien que le personnage d’Aldo Moro ne soit entrevu qu’à travers des gros plans rapides, car enfermé dans sa « prison », Bellocchio dresse un portrait très humanisant du personnage. À travers des lettres destinées à ses proches du parti et son entourage familial, Moro tente de promouvoir une alternative à sa libération. Il sera finalement condamné à mort dans un procès révolutionnaire décidé par ses bourreaux.
L’une des scènes les plus marquantes du film est celle où Moro lit – dos à ses geôliers – la lettre qu’il adresse au Pape VI. Au cours de sa lecture, il déclenche les pleurs de Chiara, filmée en gros plan, qui se reprend en déclarant qu’il ne s’agit que d’une lettre écrite par un vieux désespéré. Dans un silence pesant, évoluant en malaise entre les deux personnages, un désarroi attendrissant s’installe.
L’alternance finale
Bellocchio s’amuse à créer une alternance entre deux fins : la fin réelle de l’histoire, soit l’assassinat de Moro, et une fin onirique alternée, posant l’interrogation suivante : que se serait-il passé si Moro avait survécu ?
C’est donc une fin fictive, illustrée par la liberté conditionnelle de Moro, qui se cache au terme du film. Innocent, échappé grâce à Chiara, Moro marche dans les rues de Rome et simule sa mort, même auprès de son entourage, pour avoir la vie sauve. Serait-ce la fin voulue par le réalisateur, marqué par la mort de cet homme, première victime symbolique des terroristes ? Cette histoire affectera à jamais des milliers d’Italiens puisqu’elle ouvre une période d’actes terroristes successifs inédite pour le pays. Par cette alternance finale, Bellocchio dépeint finalement une image positive de Moro, mort pour son pays.
Buongiorno, notte rend donc compte de l’atrocité des actes terroristes de l’affaire Moro. Les mystères autour de cette histoire tragique font partie de la construction de l’Italie, endeuillée par cette série d’attaques violentes, qui laissera à jamais une trace sur le pays.