En mai dernier, Tomasi nous dévoilait un nouvel EP, Adulescent Fluorescent. Nous l’avions rencontré pour évoquer ses influences rock, la bienveillance qui l’entoure et l’amitié.
Avec ce nouvel EP, Adulescent Fluorescent, Tomasi assume les références rock qui ont bercé son adolescence tout en continuant d’écrire des textes de rap. À travers les huit titres qui composent cet opus, Grégoire Gomez se raconte comme dans un journal intime. Et pourtant, il ne se confie jamais seul dans son coin mais toujours avec son entourage amical et musical, présent dans des duos : YOA, Fils Cara, TRENTE, Ian Caulfield ; à la réalisation, Alexis Delong (Zaho de Sagazan, Miossec…) ou encore Nicolas Garrier Giraudeau pour les clips. Autant d’ami·es qu’il cite dans ses textes comme pour nous dire que faire de la musique, c’est avant tout s’amuser à en faire ensemble. Il nous l’a d’ailleurs prouvé sur scène en octobre dernier, en enflammant la Boule Noire en co-plateau avec TRENTE.
Adulescent Fluorescent est ton deuxième EP, comment est-il né ?
Adulescent Fluorescent est évidemment une référence à Arctic Monkeys et je pense que c’est central dans le processus de création. C’est un retour à mes premières influences : Arctic Monkeys, The Strokes, BB Brunes… Ces groupes un peu pop-rock de la fin des années 2000. Il y a trois versions de ce disque qui existent. Au début, il était un peu entre rap et pop. Puis, je suis parti dans quelque chose d’un peu plus rock, mais toujours trop pop. Et finalement, j’ai été au bout du délire rock pour la version définitive. Mais ça a été un long processus sur quatre ans pour arriver à celui-là, qui est un peu hybride et que je vois comme un best-of de toutes les chansons que j’ai faites ces cinq dernières années.
Dans ces huit chansons, il y a plusieurs thématiques très personnelles qui s’entrecroisent. On a le sentiment d’une vraie réflexion sur toi-même, qui passe par le fait d’assumer d’être ambitieux, sensible, de parfois avoir la flemme ou de prendre son temps pour avancer… Des choses que l’on n’ose pas forcément avouer aux autres…
Ce qui s’est dégagé, c’est l’aspect journal intime. Je parle de ce qui se passe dans ma vie et de comment je vois les choses. J’ai vraiment cherché à être sincère et un peu original aussi, en allant chercher des thèmes moins évidents. Il y a une vraie beauté dans la sincérité et c’était une frontière un peu fine entre le beau et l’impudique. J’ai l’impression de toujours flirter avec cette limite-là… Mais les thématiques se sont dégagées à la fin, quand les morceaux du disque se sont dessinés.
Je me suis rendu compte que je parlais beaucoup de mes amis et du fait de faire les choses ensemble. Ça doit se ressentir sur un morceau comme « Jaloux », où j’avoue être jaloux de mes potes, c’est complètement sincère. Ce n’est pas facile, la concurrence, et j’avais envie de rendre hommage à ça. Mais je ne me suis pas dit : « Je vais écrire un morceau sur le fait d’être jaloux de mes potes. » À la base, il y avait huit phrases et j’ai réécrit le texte pour faire un morceau. Je me laisse beaucoup porter, comme dans un journal intime, en écrivant ce qui me passe par la tête et en racontant ce que je vis.
Il y a eu une vraie volonté à ce moment-là, juste après le Covid, de refaire des choses ensemble.
Tomasi
Justement, tu parles de tes copains. Il y a tout un entourage amical et artistique avec qui tu travailles. Sur l’EP, quatre chansons sur huit sont des duos ou trios, et même dans les chansons solo tu parles d’eux dans les textes. C’est ton moteur principal ?
On a fait une grosse résidence en 2020 pendant quinze jours. C’était au milieu de la seconde vague du Covid, quand on pouvait à peu près ressortir. On a loué à une grande maison dans le Perche et tout le monde pouvait passer. C’est assez naturel car je côtoie ces gens-là. J’avais vraiment envie de faire un album un peu plus rock, qui s’éloignait du rap. Et je me suis rendu compte qu’il y avait peu d’albums de rock avec des feats. Il y a tout un tas de choses que le rock peut prendre au rap : une manière d’écrire qui est peut-être moins poétique mais plus franche et directe, et qu’on peut retrouver dans le punk, chez les Berruriers Noirs, par exemple.
Et surtout, j’adore collaborer ! Avec ces amis-là, on est tout le temps en studio, les uns chez les autres. Pour l’album d’Hugo (TRENTE, ndlr), j’ai bossé sur beaucoup de tracks. Ce sont toujours de beaux moments où ce qui est au centre, c’est finalement faire de la musique et pas forcément développer un projet… Je crois qu’on en avait tous marre d’être devant notre ordinateur et de faire de la musique dans notre coin. Il y a eu une vraie volonté à ce moment-là, juste après le Covid, de refaire des choses ensemble. Et je suis content parce que ça se ressent sur le disque.
Qu’est-ce qu’ils ont apporté à ton EP ?
Déjà, ils m’apportent du recul parce que dans cette relation sincère, ils me disent quand je fais de la merde. Ils osaient me dire : « Ce n’est peut-être pas nécessaire de dire ça. » Ce fut un gros travail de resserrer là-dessus. Après, ils me permettent de ne pas être tout seul et de ne pas faire ma musique dans mon coin.
Il y a une certaine bienveillance aussi qui se dégage du projet. Tu parles de l’Empire des gentils, une petite émission que tu co-animais sur Twitch. C’est important d’affirmer dans les textes cette gentillesse des uns envers les autres ?
Oui, je trouve que c’est un truc qui se perd un peu. Il y a une vision de la musique où quand on se balade dans un concert parisien un peu hype où chacun a son truc, on va se renifler et faire du name-dropping en disant : « Moi, j’avance comme ça. » L’idée est de se dire qu’on fait que de la musique et qu’on ne va pas sauver des vies. Je pense que c’est une vision qu’on partage un peu tous. Et l’Empire des gentils, c’était l’idée de mettre ça un peu en commun, de parler de sincérité, qui est un truc très naturel, et en même temps de passer un bon moment ensemble. Je suis assez fan des talk-shows. Je ne suis pas un très bon présentateur mais c’est toujours rigolo de se prendre pour quelqu’un qu’on n’est pas.
Tu penses que c’est générationnel, ce besoin de bienveillance ?
Je ne sais pas. La plupart des gens qui m’entourent sont un peu dans la pop ou dans la chanson. Dans la chanson, il y a beaucoup de projets qui existent mais dans le rock, il y a quand même un truc où on reste un peu underground. Alexis Delong, avec qui j’ai bossé sur le disque et qui a réalisé l’album, m’avait dit un jour : « Le rap ne t’ira jamais aussi bien que le rock parce que c’est une musique capitaliste et mélancolique, alors que le rock est une musique festive et communiste. »
Ce qui m’intéresse, c’est ce côté journal intime et coup de poing.
Tomasi
Quand on regarde tes chansons, le rap est présent dans la manière de balancer les mots là où tes arrangements tendent vers le rock…
Je crois que je continue à faire du Tomasi quoi qu’il arrive. Je suis assez influencé par Fauve malgré tout. J’avais la chance de les côtoyer à l’époque et ça m’a bien matrixé. J’aime bien quand les choses sont dites et qu’il n’y a pas de détour. J’ai de l’ admiration pour les gens qui arrivent à faire de la poésie. Elle peut être partout et il y a des gens qui arrivent à écrire de manière un peu plus cryptique. Moi, je crois que ce qui m’intéresse, c’est ce côté journal intime et coup de poing. Ça peut exister sur n’importe quelle instru derrière. Je ne sais pas si demain je ne ferai pas de l’électro mais en tout cas, je me plais bien dans le rock pour l’instant.
Mais oui, il y a un côté où ce qui m’importe, c’est de dire les choses. J’ai une note dans mon téléphone dans laquelle je note tous les jours des phrases, des punchlines… Et j’apprends beaucoup en étant au contact de tous ces artistes. Chacun a un peu sa méthode. Hugo (TRENTE, ndlr) va être beaucoup plus dans la chanson avec sa voix un peu aiguë. Marc (Fils Cara, ndlr) va avoir ce truc très frontal que peut avoir le rap que j’emprunte, mais il va le faire avec des images et des métaphores que je trouve absolument sublimes. Ian (Ian Caulfield, ndlr) a un ton de parole qui peut s’emprunter à Salinger, dont il tient son nom et cette voix un peu décalée. Yoa a quelque chose de très cru mélangé à des grandes phrases. Moi, j’essaie d’être le plus vrai possible.
Il y a une thématique qui revient, c’est le fait d’assumer de vouloir faire une grande carrière en tant qu’artiste et en même temps de dévoiler toutes tes peurs dans une espèce de dualité récurrente…
Je crois que c’est un vrai débat dont je me rends compte au fur et à mesure. C’est vrai qu’il y a cette chanson, « Best Of », où je dis « vivement mon best of ». Mais plus je mûris, moins j’ai envie de dépendre toute ma vie d’un truc qui ne dépend pas de moi. Je peux tout faire pour et je continuerai de tout faire pour être le meilleur possible, mais je crois que mon curseur se déplace dans le fait de faire quelque chose qui me touche et dans lequel je vais me retrouver moi, avant que les autres se retrouvent. Plus le temps passe et plus je m’accepte.
Comment la musique s’est inscrite dans ta vie ?
Je ne sais même pas. Je crois que j’écris des chansons depuis que j’ai 12 ans. Quand j’étais petit, j’avais une voix très très aiguë, très belle apparemment. Et quand j’écrivais mes premières chansons, c’était un peu comme les BB Brunes. Dès que j’ai su faire quatre accords, j’ai écrit des chansons et je crois que j’imitais beaucoup les gens que j’admirais. Puis, il y a eu ce moment bizarre où j’ai mué et où j’ai perdu vraiment tous mes repères. J’avais 15 ans, je chantais d’une certaine manière et tout à coup je n’étais plus capable de le faire. Ça a été un long chemin de réapprendre. Je pense que c’est pour ça que l’arrivée du parler m’a fait du bien, avec des groupes comme Kaponz & Spinoza… J’écoutais beaucoup de rap aussi.
Ensuite, j’ai rencontré Hugo au lycée et on a commencé très vite à faire un groupe de musique qui s’appelait Clairvoyant. En parallèle, lui s’est fait repérer car il s’est retrouvé à bosser sur les clips de FAUVE. Ça m’a donné un aperçu du monde de la musique qui, je pense, découle beaucoup de ce disque. Je ne savais pas trop quelle image avoir du monde de la musique, il y avait quelque chose qui était très familial. Plus tard, j’ai découvert que ce n’était pas la norme. Peut-être que ça vient de là, cette révolte et l’idée de le faire ensemble. Cette époque a forgé une vision de comment faire de la musique et d’en faire en indépendant.
Quand on a arrêté le groupe, j’ai créé le projet Tomasi et Hugo le projet TRENTE. Ce qui finalement n’a pas changé grand chose dans nos méthodes de travail, puisqu’on continue à faire de la musique ensemble – mais on a chacun notre identité. Puis, j’ai sorti un EP il y a quatre ans. Il y a eu Yoa aussi. C’est ma copine depuis sept ans et je ne savais même pas qu’elle écrivait des chansons ! Au bout de quelques années, elle m’a confié qu’elle avait écrit une chanson, on a commencé à faire une prod… Aujourd’hui, on est en tournée ensemble !
La partie visuelle est hyper importante, aussi, sur tout le projet depuis le début ?
J’avais envie d’avoir mon identité visuelle et j’ai rencontré Nicolas Garrier Giraudeau en fac de cinéma. Au détour d’une discussion, je lui dis que je cherche quelqu’un pour réaliser mes clips. C’est drôle, car on a fait quelques clips qui sont sortis il y a très longtemps mais nous n’étions pas amis. On n’arrêtait pas de s’engueuler mais on y croyait et on était un peu habités.
Aujourd’hui, c’est une de mes premières oreilles dès que je fais de la musique. On réfléchit ensemble à tous les clips. D’ailleurs, plus ça va, moins on réfléchit, on a tellement l’habitude de travailler ensemble ! On loue une caméra et on se donne rendez-vous. Il y a un vrai besoin de s’amuser : plus on mûrit, moins on a de choses à prouver parce qu’on gagne nos vies dans ce qu’on aime. Je crois que c’est vraiment le mot d’ordre, il faut s’amuser sinon autant changer de métier.