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MARDI SÉRIE – « D’argent et de sang » : L’ozone d’intérêt

D'argent et de sang © Curiosa Films
D'argent et de sang © Curiosa Films

Pour la nouvelle création de Canal +, Xavier Giannoli s’attaque à une escroquerie d’une efficacité redoutable, avec Vincent Lindon en enquêteur chevronné. Une série haletante, inspirée de faits réels — et pas des moindres.

Deux escrocs de Belleville et un golden boy des beaux quartiers se rencontrent dans un tournoi de poker. Une idée d’escroquerie et les voilà embarqués dans l’arnaque du siècle. En cinq épisodes, D’argent et de sang promet déjà une arnaque à la taxe carbone se chiffrant en millions. Impossible de ne pas ressentir la démesure vertigineuse dans laquelle s’engouffrent les trois « rois de l’arnaque », lorsque celle-ci s’articule et prend vie à l’écran avec une facilité aussi déconcertante. D’autant plus lorsque la mention «  inspiré de faits réels » apparaît à l’écran pour lancer le prochain épisode. Car le génial scénario de Xavier Giannoli n’a rien à envier aux fresques scorsesiennes, ni à toute autre trilogie mafieuse, la réalité se chargeant de dépasser la fiction.

Hors taxe et hors-la-loi

Il faut tout d’abord planter le décor. Pour cela, rien ne vaut l’aide de Vincent Lindon en douanier et enquêteur chevronné comparaissant devant une commission d’enquête. Les auditions s’enchaînent et l’installent en narrateur pédagogue et fin observateur. Son personnage est d’ailleurs le seul inventé de la série D’argent et de sang.

Au début des années 2000, l’Union européenne lance un nouveau marché européen : celui des droits à polluer. Pour préserver la couche d’ozone et la planète, les reventes de quotas de CO2 apparaissent comme une solution. C’est-à-dire qu’une entreprise qui pollue trop devra acheter des droits à polluer à une entreprise qui émet moins. Le tout, avec une TVA à hauteur de 20 %.

C’est là que les escrocs de Giannoli, deux Tunisiens juifs de Belleville, incarnés par Ramzy Bedia et David Ayala, interviennent, profitant d’une faille de taille dans ce nouveau marché. Après un tour en Ferrari sur le plancher de Deauville, décision est prise de réaliser le coup du siècle. Dotés de chemises à fleurs douteuses, ils acquièrent des parts de marché d’un montant astronomique à l’aide de leur richissime ami Niels Schneider, parfait en trader insupportable de prétention, au point de posséder un portrait grandeur nature dans son dressing.

Entre fascination et effarement

Ces droits à polluer sont achetés au nom d’entreprises bidons, basées à l’étranger – et donc exemptes de TVA, avant d’être aussitôt revendus à des entreprises françaises, avec la fameuse taxe. Les fraudeurs ne la déclarent pas, elle leur revient donc directement ; pour les trois escrocs, c’est le jackpot. Le montant de la TVA détournée est placé sur des comptes off-shore à l’étranger, puis réinvesti dans de nouvelles fraudes. Simple comme bonjour. Pourvu, bien sûr, qu’une dizaine de leurs proches ne voient pas d’inconvénient à devenir des hommes de paille, gérants de sociétés écrans.

Pour cette affaire titanesque et sa première série, Xavier Giannoli (Illusions perdues) ne manque pas d’ambition, ni d’une certaine touche d’humour. Avec un sens implacable du rythme, un générique entêtant et un casting étoilé, D’argent et de sang plonge dans un univers aux accents d’irréalité, le fil conducteur des auditions permettant de comprendre pas à pas le mécanisme. Entre fascination et effarement, les émotions oscillent, vacillent au fur et à mesure que l’escroquerie s’épaissit (en liasses de billets). Le tout, pour former le tableau d’une vaste comédie humaine.

D’argent et de sang ou la comédie humaine

Traversée par les désirs obsédants d’ascension sociale des personnages, la mise en scène soignée et envoûtante transforme la série en un long-métrage de douze heures, porté par l’interprétation habitée de tous les protagonistes. D’autant plus que l’engrenage mis en place dès le premier épisode ne saurait s’arrêter de sitôt, ni se limiter aux seules frontières européennes. Habillée de touches romanesques, couplées à des dialogues efficaces et percutants, la création Canal + livre une adaptation glacée et intrigante de l’enquête éponyme du journaliste Fabrice Arfi. De quoi rendre D’argent et de sang aussi addictive que l’appât du gain qu’elle dépeint.

Mais pour l’heure, ce n’est pas tant le sang que l’argent qui coule à flots, sous forme de parties de poker et de nuits passées au casino. Montant total du préjudice ? Entre 2008 et 2009, l’État français perd près d’1,6 milliard d’euros. À l’échelle européenne, on parle de six milliards. Il faudra résister à la tentation de rechercher le dénouement de cette affaire — car trois escrocs n’infiltrent tout de même pas 90 % du marché carbone sans conséquences. La suite, au prochain épisode, dévoilé chaque lundi sur Canal +, à 21h.

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