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Rencontre avec Rouge Renarde : « ”Dehors” raconte ma propre mythologie »

Dehors © Rouge Renarde

En février dernier, Rouge Renarde sortait Dehors, un deuxième album teinté de mysticisme qui nous entraîne dans un univers sensoriel fascinant.

L’artiste grenobloise Margaux Salmi, alias Rouge Renarde, consacre l’essentiel de son temps à la peinture onirique. Elle laisse dans son sillage une profusion de toiles où se déploie un bestiaire singulier, peuplé d’animaux étranges. Cependant, de temps à autre, elle opère une transition, échangeant ses pinceaux contre une guitare et un clavier. Dans cet échange d’outils artistiques, elle compose des chansons qui regorgent de fantaisies sonores déroutantes.

Après son premier album La Veille sorti en 2016, elle présente cette année Dehors, douze morceaux captivants desquels continue d’émaner une atmosphère envoûtante. Chacune des chansons de l’album s’accompagne d’une œuvre visuelle qu’elle crée elle-même. Ces dessins et peintures semblent provenir d’un monde parallèle, isolé du tumulte extérieur, offrant ainsi une immersion artistique totale. Les œuvres à l’expressionnisme onirique de Margaux Salmi sont exposées à la galerie Arts Factory à Paris. Rouge Renarde puise au plus profond de sa mémoire pour tisser des chansons empreintes de mélancolie, issues de ses cauchemars et de ses rêveries. Dans son univers artistique singulier, chaque élément, qu’il soit visuel ou musical, se fond pour offrir une expérience aussi mystérieuse que captivante.

Rouge Renarde c’est qui, c’est quoi ?

Je m’appelle Margaux Salmi. Le projet Rouge Renarde a commencé en 2014, c’est un projet solo. Avant, je faisais un autre projet de musique avec Marc Di Malta qui s’appelait HaiZi BeiZi. On composait tout à deux et moi j’écrivais les textes. Ça a duré plus de dix ans. Plus récemment, j’ai voulu lancer Rouge Renarde pour mélanger encore plus mes dessins et ma musique, avec l’idée de toujours illustrer un morceau par une peinture ou un dessin, pour relier un peu plus ces deux mondes. 

Comment tu t’y prends pour composer ? Comment te viennent tes textes ?

J’aime bien écrire pour moi-même depuis longtemps dans des carnets, comme ça, comme un exutoire. Ce ne sont pas forcément des textes que je montre, je les écris parce que ça me fait du bien. Parfois je récupère des textes de ces carnets, que j’adapte ensuite en chansons. Sinon je joue juste de la guitare, et c’est à partir de ce que je joue que je trouve une mélodie. Puis à partir de la mélodie, j’écris un texte… Ça dépend !

Tu as l’air de cultiver un monde de l’intime très dense. Tu produis beaucoup de dessins, de peintures, de textes, c’est comme ça que tu traduis ton espace mental ?

En fait, c’est une passion. Depuis très jeune, j’ai toujours aimé écrire des textes pour moi, ou dessiner, ou faire de la peinture. C’est vite devenu mon rêve de faire uniquement ça et d’essayer d’en vivre. Quand j’étais à l’école par exemple, ou au collège, ou au lycée, j’étais passionnée par les crayons. Quand ma mère m’emmenait dans les supermarchés, je voulais qu’elle m’achète des crayons, un carnet… J’étais passionnée par la papeterie. Ça a toujours été très naturel. J’ai toujours été comme ça, que je montre ou pas mes dessins ou ma musique, je continue à créer. C’est comme un toc. Aujourd’hui c’est aussi un travail, mais pas une souffrance. Créer m’apaise. Je ne me verrais pas faire autre chose, même si c’est difficile d’en vivre. C’est très irrégulier, mais jusqu’à présent j’ai toujours essayé de slalomer dans la vie pour pouvoir faire à peu près ce qui me plaît. Mais mon rêve ultime c’est vraiment de ne faire que ça.

C’est de là que vient Rouge Renarde. D’un rêve que je faisais quand j’étais enfant.

Margaux Salmi

Ton univers est extrêmement riche en symboles, chaque élément musical ou visuel sur tes peintures semble incarner une idée, une valeur… Jusqu’à ton nom de scène. Rouge Renarde, c’est lourd de sens.

Alors, la petite histoire est un peu marrante. Je suis quelqu’un qui rêve beaucoup et je me rappelle bien de mes rêves, qui sont parfois assez cauchemardesques. Parfois, j’ai des flash-backs de rêves super vieux, et c’est de là que vient Rouge Renarde. D’un rêve que je faisais quand j’étais enfant. C’était ce qu’on appelle un rêve éveillé, ceux qui te font faire des terreurs nocturnes. Je voyais des images en projection sur un mur, c’était souvent un renard qui dévorait une poule très violemment.

Enfant, ce cauchemar me terrorisait. Il y avait du sang, d’où le Rouge Renarde. Très vite, pour ne pas avoir peur, je me suis dit que je devais me mettre à la place du renard plutôt qu’à la place de la poule. Ce nom de scène vient aussi du fait que je viens d’Auvergne. J’ai toujours grandi à côté de la forêt. Et en Auvergne, le renard est un animal nuisible très commun qui est chassé et tué, alors que c’est un animal très intelligent. J’aimais bien l’idée du nuisible. 

Il y a beaucoup de choses dans ton univers qui se rapprochent du nuisible dans sa dimension onirique cauchemardesque, d’assez sombre en fait…

À des moments, oui. Comme c’est toujours un peu un exutoire, j’explore tout ce côté-là. J’aimerais bien faire des choses moins calmes, mais ce qui me vient relève toujours de quelque chose de calme, de planant. De moi-même, je n’écoute que de la musique un peu planante aussi.

Ton univers est aussi très, très féminin. 

Je ne dessine presque que des femmes. Parfois, il y a un homme, mais c’est super rare. Dans mes dessins exposés à la galerie Arts Factory, il y a peut-être deux hommes en tout. Parmi ces hommes, il y a souvent mon frère qui est représenté. À la base, je dessine beaucoup de femmes tout simplement parce que j’en suis une. En l’occurrence, j’aime bien dessiner les corps nus et comme je suis une femme, c’est le corps que je connais le mieux. Donc pendant longtemps c’est ce que je me suis entraînée à dessiner : des corps de femmes nues dans un peu toutes les positions. Le côté anatomique rapporté au dessin m’intéressait beaucoup.

Et puis j’aime que mes dessins soient comme mes jardins d’Éden, avec, parfois, des femmes nues partout. D’ailleurs, dans mes dessins les humains n’ont pas plus d’importance que les animaux. Ils coexistent ensemble, comme si les Hommes et les animaux formaient un tout mis dans la végétation, à égalité. J’aime aussi dessiner des personnages sans sexe, qui ne sont ni des Hommes ni des animaux. Dehors raconte ma propre mythologie. À force de dessiner, j’ai des leitmotiv qui reviennent tout le temps, qui petit à petit deviennent des symboles personnels. Par exemple, je fais toujours les arbres de la même façon, je ne sais pas pourquoi. Mes chiens sont souvent des chiens-chevaux bizarres avec des cavaliers… Toutes ces choses qui reviennent dans mes dessins deviennent comme une manière très propre à moi de composer, comme en musique. 

Rouge Renarde à la galerie Arty Factory, le 21 septembre 2023. © Oliver Peel

À propos de ton paysage musical, qu’est-ce qui le façonne ?

Je joue de la guitare et du clavier, mais je ne connais pas les notes. La plupart du temps, je ne connais pas les accords de ce que je joue à la guitare. Il y a plein de gens qui fonctionnent comme ça, d’ailleurs. Je pense que c’est ce qui donne ma couleur personnelle en musique aussi. Il y en a que tu trouves et que tu aimes, que tu remets dans plein de chansons, et ça donne une teinte. Je m’inspire de beaucoup de musiques différentes qui me nourrissent, comme les mélodies orientales. J’écoute un peu toujours la même chose.

Dernièrement, j’ai découvert Françoise Breut grâce à Oliver, mon ami qui me manage. Il m’en a parlé parce qu’elle fait aussi des chansons en français, et j’ai adoré son travail. Sinon, parmi les trucs que j’écoute tout le temps, il y a Patrick Watson, CocoRosieJay-Jay Johanson aussi, que j’aime beaucoup. CocoRosie, j’ai dû l’écouter des milliards de fois, surtout l’album Noah’s Ark. Liesa van Der Aa est une artiste que j’aime vraiment bien, j’adore son album Troops. Quand j’aime bien un truc, en fait, je l’écoute en boucle, je suis un peu obsessionnelle. 

Il y a plein de chansons comme ça qui sont « sans album fixe »

Margaux Salmi

Que s’est-il passé entre La veille, sorti en 2016, et Dehors, ton dernier album ?

Il s’est passé un long moment entre La veille et Dehors. Pendant tout une période, je créais de nouvelles chansons que je jouais si j’avais un concert, par exemple. Sauf que je les apprenais, je les jouais, puis je les oubliais, sans les enregistrer. Il y a plein de chansons comme ça qui sont « sans album fixe », mais qui ont existé entre La Veille et Dehors. À un moment, je me suis dit que je voulais refixer mes chansons quelque part. Je voulais recommencer à enregistrer, donc j’ai commencé à bosser sur Dehors.

L’idée de faire un objet me motivait beaucoup. Pour moi, l’objet compte énormément, le fait de créer le visuel, même si plus personne n’achète de CD. C’est une balise, un point de repère qui me signale que ce projet est terminé. Au final, il y a tout une continuité entre les deux albums, mais elle est  invisible. Ça ne me frustre pas vraiment, je me dis que c’est la vie, que ce n’était probablement pas le bon moment pour enregistrer ces chansons. Je faisais autre chose : des expos, des clips, j’étais prise ailleurs. Mais le prochain album arrivera plus tôt je pense (rires).

Tu fais aussi beaucoup de clips…

Ouais, j’adore faire des clips ! Il y en a pas mal qui ont été filmés par Daniel Gwizdek, qui fait de belles vidéos, de beaux montages. Mais pour « Cinéma » par exemple, ça m’a vraiment excitée de faire un clip avec de vieilles animations, image par image. Alors, c’est très long, mais ça me plaît vraiment de faire bouger les personnages que je dessine plein de fois partout. C’est beaucoup de travail, en tout j’ai mis un an à réaliser ce clip. Il y a tout une partie de dessins dessinés à la main, scannés puis numérisés. J’utilise aussi mes dessins en fond, pour faire les paysage. Certaines parties sont dessinées à la tablette graphique à partir de vidéos ou de photos.

Dans ton dernier album, tous les titres ne comportent qu’un seul mot.

(rires) Ce n’est fait exprès. Et puis s’il y a douze morceaux dans l’album, ça fait un peu psychopathe, mais c’est aussi fait exprès. C’est les douze apôtres. En fait, j’ai eu tout un délire mystique en plein milieu de la création de l’album, d’où la chanson « Prêtre » par exemple. Je lisais les correspondances de Van Gogh avec son frère, où il parle beaucoup du fait qu’il voulait être prêtre au début de sa vie. C’était très mystique et ça m’a beaucoup fait rire, c’est pour ça que je dis que j’aurais voulu être prêtre comme Van Gogh dans la chanson. Puis ce peintre a quand même gardé quelque chose de très mystique dans ses peintures, il y a un lien entre la dévotion, le mysticisme et le fait d’être artiste.

Il y avait un côté un peu comique aussi, parce qu’un prêtre femme, ça n’existe pas. J’avais lu l’Ancien Testament qui m’avait beaucoup choquée, parce que les meilleurs rôles, ce sont clairement les prêtres. Les femmes sont uniquement là dans un but reproductif, elles n’ont aucune responsabilité. C’est pour ça que mon prêtre a du maquillage par exemple, je voulais revisiter la religion dans mon univers. Au final, c’est un croisement entre Van Gogh qui voulait être prêtre, et le fait que prêtre, c’est le rôle le plus cool de la Bible (rires). Il y a aussi certains morceaux que j’ai faits pendant les sept ans qui séparent mes deux albums, comme « Distorsion » ou « Paradis ».

Tes peintures qui rappellent, comme tu le disais tout à l’heure, les Jardins d’Éden, font aussi beaucoup penser à Jérôme Bosch.

J’adore Jérôme Bosch ! Tout ça est très présent, c’est vrai. « Paradis », je l’ai pensée pour la faire chanter à des enfants. J’ai gardé des petites filles australiennes pendant longtemps, Lara et Mia, qui ne parlaient pas super bien français quand elles étaient petites. On faisait beaucoup d’activités créatives et j’avais très envie de les incorporer dans mon projet. Les deux petites filles blondes dans le clip de « Paradis », ce sont elles ! Et c’est parce que j’ai pensé ce morceau pour le chanter avec Lara et Mia qu’il y a une teinte de naïveté présente tout au long de la chanson. Je voulais leur faire chanter un truc utopique, qui au final s’inscrit vraiment dans une continuité avec « Prêtre ».

C’est quoi tes projets pour la suite ?

Et bien le clip de « Paradoxe » sort le 1er octobre ! Sur du plus long terme, je vais faire de nouvelles chansons, que je compte enregistrer cette fois ! Puis petit à petit faire un autre album. Je voudrais trouver des partenaires pour sortir ce nouvel album, ce qui est assez galère. Sur Dehors, tout est auto financé, j’ai tout  fait en auto-production et c’est pas si facile que ça. J’ai très envie de faire d’autres clips, aussi !

Exposition Dehors de Margaux Salmi jusqu’au 7 octobre à la galerie Arts Factory, Paris 11e (entrée libre)

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