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Rencontre avec Pierre Guénard : « J’ai appris à dire “je” »

Pierre Guénard - © Felipe Barbosa

Après avoir annoncé faire une pause avec Radio Elvis, Pierre Guénard se lance dans une carrière solo. Disque de variété aux airs de journal intime, Je n’ai plus peur de danser est placé sous le signe de l’authenticité et de la spontanéité.

On l’a connu leader du groupe de rock français Radio Elvis ou romancier avec Zéro gloire, Pierre Guénard est désormais prêt pour une carrière solo. Pour son premier album, le ton est donné. Je n’ai plus peur de danser aborde tour à tour l’intimité et l’affirmation de soi, le rapport aux autres et les souvenirs de famille. Paru ce vendredi sur le label Baronesa (Coline Rio, Daysy), ce disque est avant tout une volonté de s’affirmer et de transmettre de l’authenticité.

Je n’ai plus peur de danser est ton premier album solo. Avec Radio Elvis, vous avez annoncé faire une pause au printemps 2022. Pourquoi ? Ça partait d’une volonté d’être seul ?

La dernière chanson de Radio Elvis s’appelait « Ces garçons-là ». C’était la première fois que j’apprenais à écrire une vraie histoire, à partir de faits plus ou moins vécus. Ça m’a ouvert à une autre manière d’écrire, ça m’a mis sur un autre chemin. Et ça m’a amené à écrire des micro nouvelles, puis des nouvelles… et mon roman qui est sorti l’année dernière. Toute cette démarche m’a amené à raconter des histoires en m’inspirant de ce que je vis tous les jours, en essayant de faire une sorte de journal de bord. Petit à petit, ça a donné des chansons plus personnelles, plus intimes… dans une esthétique beaucoup plus simple que Radio Elvis, avec moins d’images, moins de métaphores.

Comment on fait un premier album solo ? Comment on se retrouve soi, quand on a eu l’habitude de travailler à plusieurs ?

C’est justement à travers l’écriture du roman que j’ai appris à dire « je », à faire mes choix et à répondre aux questions seul… à mener ma barque en fait. La tournée des libraires et des salons littéraires a aussi été un exercice génial. Pour la première fois, je parlais en mon nom. Tout ce que je pouvais dire n’engageait que moi. C’est ce que je voulais à travers cet album : n’engager que moi dans la musique et dans les textes, ne pas parler pour trois.

Ça permet de dire les choses parfois de manière plus directe et plus simple, au sens noble du terme. C’est aller à la simplicité… et à la spontanéité, voilà ! (rires) C’est le mot juste que je cherchais. C’est beaucoup plus spontané quand on est seul que quand on est en groupe. Quand on a une idée première, elle est forcément un peu déroutée par ses camarades – ce qui est génial aussi dans le travail de groupe, on arrive à des endroits qu’on ne soupçonnait pas. Là, mon idée première, je la vois comme une flèche. J’ai ma cible, j’arrive à aller tout droit et c’est très agréable.

C’est comme ça aussi que j’ai commencé à changer ma méthode d’écriture. J’écris beaucoup plus sur mon téléphone, en prise directe avec ma petite voix intérieure. J’essaie de ne pas transformer cette voix, de ne pas me laisser emporter par la beauté de certains mots, ni par autre chose que ce que je pense à l’instant où j’écris.

Comment as-tu choisi les musiciens et musiciennes qui allaient t’entourer ?

Je voulais jouer avec des filles sur scène mais je n’ai pas trouvé pour l’instant. Personne n’est dispo, c’est assez compliqué… J’en parlais avec un ami guitariste et on s’est dit qu’il fallait qu’on aille chercher nous-mêmes. Aller chercher quelqu’un qui n’avait jamais fait de tournée et lui apprendre avec nous. J’aime bien l’idée de me créer mon endroit, mon espace, avec des gens qui ne sont pas identifiés par mille projets. Parfois, c’est super aussi – j’aime bien les deux, en fait… Mais le moment que je préfère, c’est quand la page est blanche.

Ce qu’on ressent à l’écoute de l’album, c’est la diversité des arrangements et des styles. J’ai l’impression que tu as voulu expérimenter quelque chose d’assez varié ?

Ma première volonté, en faisant un pas de côté par rapport à Radio Elvis, c’était de faire un disque de variété. Avec ce que ça comporte d’ouverture au public : un public plus grand, plus large. Avec tout ce que ça compote de lumière aussi, qu’on met à l’intérieur… Ce qui a été le plus important pour moi, ça a été l’envie de me projeter différemment, de me réinventer physiquement, de me sentir libre. Avec Jérémie Arcache, qui a réalisé l’album, on parlait de plein de sujets autres que la musique : on parlait d’actualité, de féminisme, d’écologie… Ça m’aidait à savoir qui je voulais être dans la musique à ce moment-là, ce que je voulais que mon album représente.

Il y a la musique qu’on écoute, celle qu’on rêve de faire, celle qu’on pense faire et celle qu’on fait réellement.

Pierre Guénard

Dans cette idée de se réinventer, il y a la chanson d’ouverture de l’album, « Harry ». Tu parles de magie, de lunettes rondes, on pense tout de suite à Harry Potter. Mais il est aussi question d’une boucle d’oreille, et là on pense à toi… Alors qui c’est, ce Harry ?

C’est un peu mon double, celui dont je dresse le portrait à travers mon roman. C’est cette espèce de anti-héros qui rêve de gloire et que tout le monde ramène tout le temps à sa ressemblance avec Harry Potter… (rires) Il y a ce côté retour à la réalité en permanence, c’est la petite claque derrière la nuque.

Je voulais parler d’authenticité et d’identité à travers cette chanson. C’est pas simple de savoir qui on est. Il y a la musique qu’on écoute, celle qu’on rêve de faire, celle qu’on pense faire et celle qu’on fait réellement. C’est ça que j’essaie de disséquer dans cette chanson. C’est une chanson pour m’aider à m’assumer tel que je suis et arrêter de vouloir ressembler à mes idoles. Et c’est ce qu’il y a de plus dur… La musique populaire est quelque chose de plutôt autodidacte, on se forme surtout avec nos idoles, forcément au début on a envie de leur ressembler. On n’ose pas trop emprunter des voies qui nous seraient propres.

Ce côté images multiples, ça me fait penser au clip de « Harry » avec ses jeux de miroirs… Alors quand on écoute « La gâchette », on ne peut que faire un lien quand tu dis « Au miroir un reflet qui fait grève. » Est-ce qu’il y a une symbolique dans cet album ?

Complètement. J’en parle aussi dans « Je ne t’aime plus ». Ce sont tous les petits mensonges, les différentes facettes de nous-mêmes, les multiples personnes qu’on peut être au fil de la journée… J’essaie de parler de tous les masques qu’on revêt quand on sort dans la rue ou quand on est à la maison. On n’est jamais la même personne selon l’endroit et la personne avec qui on se trouve. J’aime bien le côté un peu pince-sans-rire qu’il peut y avoir dans cette chanson.

Dans « La gâchette », c’est un peu plus violent, un peu plus torturé. Je voulais parler de l’envie absolue de plaire. Le personnage de la chanson ose avouer quelque chose que personne n’avouera jamais. Il a au moins cette honnêteté-là. Peut-être que son attitude est condamnable, mais il a l’honnêteté de le dire. J’aime bien penser que je ne suis pas mieux et pas moins bien qu’un autre. Ce que je pense, tout le monde l’a déjà pensé au moins une fois. Parfois, on culpabilise d’avoir de mauvaises pensées, mais on est tous un peu tordus dans notre tête. Et personne ne pourra jamais nous l’interdire ou nous l’enlever.

Je me sentais libre de rien et prisonnier de tout.

Pierre Guénard

Dans « J’ai pas dit oui », tu dis cette phrase : « J’travaille la nuit aux abattoirs »… Est-ce que c’est une partie de ta vie ? Tu as vraiment fait ça ?

Je n’ai pas travaillé aux abattoirs, mais j’ai travaillé à l’équarrissage une journée ! Je m’inspire surtout de ce que je raconte dans mon roman. Dans ma vingtaine à Poitiers, je travaillais la nuit à McDo et le jour aux pompes funèbres. On dit souvent que c’est le bel âge, mais pour moi c’était un âge très dur à vivre. Tout était nul, tous les rapports humains étaient compliqués… Je me sentais libre de rien et prisonnier de tout : de la ville, de mes petits boulots, de ma condition. Je n’avais aucune assurance, je ne savais pas comment faire pour faire de la musique. À un moment donné, il a fallu partir. J’avais besoin de couper les ponts avec plein de choses, de jouer un coup de poker et de me lancer. De toute façon, je n’avais plus grand-chose à perdre !

À travers ça, j’avais aussi envie de rendre hommage à ma génération, et à toutes ces personnes que j’ai croisées qui n’ont pas la chance de pouvoir faire ce qu’ils aiment, de vivre de leur rêve… On parle beaucoup de mérite et de travail, je crois qu’il y a aussi une énorme part de chance. On peut croire très fort en ses rêves, c’est pas pour autant qu’ils se réalisent.

Tu parles des autres dans cet album, notamment de ta famille. Dans « Sur le bord », tu t’adresses à ta fille… Elle est encore petite, mais est-ce que cette chanson est aussi un moyen de lui transmettre des souvenirs pour plus tard ?

C’est marrant, parce que c’est exactement ce que je disais à Jérémie Arcache pendant l’enregistrement de l’album. Je lui disais : « C’est génial, parce que je sais pas ce qu’on laissera à nos enfants, mais au moins il y aura ça. » En plus, on a fait les chœurs avec des amis et des gens très proches. À travers la musique, je cherche à stopper la fuite du temps. C’est quelque chose qui me hante en permanence, la question du temps qui passe, les traces qu’on laisse ou pas… J’aime bien cette idée que ma fille ait un enregistrement de moi.

Est-ce que tu fais un parallèle avec toi en tant que père dans « La guitare de mon père » ? Ou bien ça parle juste de ton père ?

Je crois que le rapport père-fille n’est pas le même. Je parle surtout du rapport père-fils, qui peut être fait de beaucoup de silence. D’autres auteurs ont écrit des chansons sur le rapport père-fils et j’avais envie de m’y coller un petit peu aussi. C’est un sujet qui me tenait à cœur, j’avais envie que ce soit tendre. Ce n’est pas du tout une chanson de règlements de comptes, c’est plutôt une déclaration d’amour.

Il a fallu que j’apprenne à « désécrire »

Pierre Guénard

Tu dis que c’est parfois fait de « beaucoup de silence »… Est-ce que la musique peut t’aider à dire des choses à tes proches que tu n’arrivais pas à leur dire sinon ?

Jamais avec Radio Elvis, mais avec ce disque-là oui, complètement ! C’est la première fois que je me livre vraiment. Avant, j’étais sur des textes très métaphoriques, je ne me livrais pas du tout. Là, j’avais envie d’aller plus dans le sens, l’émotion, les histoires qu’on raconte… Quelque chose de plus intime. Certaines chansons me permettent de m’adresser à mes proches – j’espère aussi m’adresser à tout le monde en réalité. Au début de l’écriture du disque, j’ai fait écouter les maquettes à un ami et il m’a dit très gentiment : « Ce qui est génial avec ces chansons, c’est qu’on s’en fiche presque que ce soit bien écrit… Et presque, on s’en fiche de la musique, parce que c’est axé sur le sens, c’est des confessions à l’oreille d’un ami. »

Évidemment, j’ai envie que ça soit bien composé et bien écrit, mais je n’ai pas envie que ça se voie. Ce qui compte surtout, c’est le message et l’émotion que je peux transmettre. Il a fallu que j’apprenne à « désécrire », à moins montrer que je savais mettre des mots compliqués… C’est le roman qui m’a appris ça. Bizarrement, ça m’a appris à faire court, et la chanson est aussi l’exercice de l’épure.

Ce retour à l’essentiel change aussi ton rapport à la scène, maintenant que tu es en solo ?

Oui, d’ailleurs sur scène c’est la première fois que ça m’arrive ! Il y a une vraie connivence avec le public sur le sens du texte. Je sens vraiment les gens émus, ou complices sur « Je ne t’aime plus », qui est une chanson un peu malicieuse… Je sens qu’ils écoutent l’histoire en même temps que je la chante. Ça change plein de choses sur scène : je force beaucoup moins et je me sens encore mieux. J’ai toujours aimé la scène avec Radio Elvis, et là j’en découvre une autre facette. C’est un truc fabuleux à vivre.

Justement, la scène avec Radio Elvis, c’est vraiment une pause ? Ou est-ce que tu te laisses la porte ouverte pour retourner avec le groupe plus tard ?

J’essaie de ne pas être définitif à ce sujet-là. Ce qui est injuste, c’est que c’est moi qui avais envie de faire ce pas de côté… Mais pour un retour, il faudra que ça soit une envie commune.

Pochette album “Je n’ai plus peur de danser” – Pierre Guénard

Pierre Guénard sera en concert au Café de la danse (Paris) le 31 janvier 2024.

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