L’écrivain français, qui s’essaie pour la première fois à la mise en scène, monte son propre huis-clos familial inspiré de Lagarce. L’écriture est impeccable ; la mise en scène balbutiante.
De prime abord, c’est une scène que l’on a déjà vue. Toute une famille alignée dans le petit salon d’un pavillon familial attend patiemment le retour de son fils prodigue, Yoann. Le jeune homme, coupable d’un crime dont on découvrira la nature au fur et à mesure du spectacle, sort de prison. Selon toute vraisemblance, il sera là d’une minute à l’autre. Dans cette vraie-fausse maison de famille – quelques meubles ont été placés ça et là mais l’ensemble n’est pas naturaliste – on attend. On attend et naturellement, on se dispute. Petit coup de tonnerre dans l’écosystème familial : l’une des sœurs, celle qui était la plus proche de son frère, a invité Clément. Il est prof d’anglais, c’est l’ancien amant de Yoann, l’homme avec qui il était avant de partir en prison. Sa sœur l’a invité parce que Yoann, depuis sa prison, disait qu’à sa sortie, il voudrait voir ses « proches ». Tout ses proches. Mais qui est « proche », au juste ?
Les huis-clos sont tous faits de la même matière et Proches n’entend pas faire exception à cette règle. Un jeune homme, homosexuel de surcroît, qui fait son grand retour dans une famille défaillante ? Les images se bousculent. Nous viennent rapidement en tête les pièces de Jean-Luc Lagarce et l’adaptation cinématographique de l’une d’elle qu’en avait faite Xavier Dolan, Juste la fin du monde, sortie en salle en 2016. Ce manque d’originalité, Laurent Mauvignier, qui se définit lui-même comme un « écrivain du détail », le théorise dès les premiers mots de sa note d’intention. « Au théâtre et au cinéma, rien n’est plus classique que le huis-clos familial », juge-t-il. Dès lors que les bases sont posées – la matière de son travail scénique sera le poncif – il s’agit de s’amuser avec. Avec Proches, Laurent Mauvignier veut jouer avec les codes. Faire un huis-clos familial classique, pour mieux faire dérailler le huis-clos familial classique.
Si proche, si loin
Si la théorie est intéressante, que vaut vraiment la pièce ? Dans les faits, sauf à avoir longuement écouté l’auteur expliquer sa démarche, difficile de la saisir au vol. Proches met en scène ces disputes familiales que l’on a déjà vues, sûrement trop vues. Le couple de parents, sexagénaires, qui n’en peut plus l’un de l’autre, l’une des sœurs mariée avec un « pauvre con » homophobe, l’autre sœur, malheureuse de n’avoir pas pu avoir d’enfants. Les scènes de ménages se succèdent, en binôme ou au cours d’embarrassants moments à table, à six, sous l’œil navré de Clément, l’amant de Yoann. Proches est bavarde sans réellement être suffocante. Les scènes de disputent – toujours difficiles à jouer – mettent en lumières les différences entre les comédiens, que Mauvignier a sélectionnés tout spécialement parce qu’ils venaient d’horizons très différents. Gilles David, qui a été comédien pour Antoine Vitez et Alain Françon est impeccable dans le rôle de Didier, père renfrogné et atteint d’un cancer du poumon. De l’autre côté du spectre, Lucie Digout est à la peine dans le rôle de Vanessa, la sœur cadette pénible et puérile, à qui l’écriture n’accorde que peu de profondeur.
S’il est l’un des écrivains les plus talentueux de sa génération, Laurent Mauvignier est novice en théâtre. « On n’est spécialiste de rien tant qu’on n’a pas essayé », sourit l’auteur lorsqu’on le rencontre un après-midi de septembre. Certes. Et comme pour toute nouveauté, on tâtonne. Proches est à l’image de ce tâtonnement. La mise en scène expérimente volontairement – une scène de dispute est interrompue par de la musique techno, c’est un flash back vers la rencontre de Clément et Yoann qui s’embrassent à pleine bouche en boîte de nuit. Certaines transitions entre les scènes sont un peu brouillonnes, peu théâtrales finalement.
Sauf que, on vient de le dire, Laurent Mauvignier est l’un des écrivains les plus talentueux de sa génération. Lorsque la mise en scène balbutie, c’est le texte, virtuose, qui semble reprendre ses droits. Le talent de l’auteur s’entend jusque dans la musicalité, particulièrement entêtante de ses dialogues. Certains passages de ce texte, publié aux éditions de Minuit comme le reste de son œuvre, cinglent, marquent. Et lorsque l’on y regarde de plus près – mais pour cela, peut-être qu’il vaut mieux lire ce grand texte que voir la pièce – on voit le huis-clos qui déraille. Et tous les poncifs que l’on croit avoir repérés, s’envolent sous nos yeux. Chez Laurent Mauvignier, Yoann embrasse Clément comme s’il allait mourir et leur homosexualité ne fait pas partie du problème. Lorsqu’il évoque l’orientation sexuelle de Yoann, Quentin, le beau-frère sanguin (avatar de Vincent Cassel dans le film de Dolan) se met à hurler : « Je suis un pauvre con ! » L’enjeu est ailleurs. Ce qui compte, ce sont les liens qui unissent cette famille. Ce qui fait que l’on est le fils de quelqu’un, qu’on est le parent de quelqu’un. Ce qui fait que malgré les liens du sang, on n’est parfois pas père, pas mère. Mais pour le voir, il faut regarder très attentivement. Laurent Mauvignier le dit lui-même, il est un écrivain du détail.
Proches, texte et mise en scène de Laurent Mauvignier, un spectacle présenté au théâtre de La Colline du 12 septembre au 8 octobre 2023. Informations et réservation.