Huit années après sa première parution, les éditions Autrement ressortent Le noir ; Éclats d’une non-couleur, d’Alain Badiou. De l’art à la politique, l’auteur décrit un noir contrasté en se laissant aller au style de l’autoportrait.
Il n’est pas rare qu’un écrivain, à un âge avancé, insère dans un même mouvement des bribes d’histoire personnelle et des réflexions plus générales. C’est le cas de ce petit livre consacré au noir. Si Alain Badiou est plus connu pour ses développements sur la démocratie et le communisme, il se livre ici à un exercice plus introspectif. Les premières pages semblent émaner d’une autobiographie, où le service militaire effectué pendant une jeunesse militante fait ressurgir le noir à travers le charbon, combustible nécessaire à l’alimentation d’un poêle. Des éléments concrets du réel provoquent la pensée.
Le style de Badiou est matérialiste, au sens où il part du réel pour développer ses idées. C’est l’expérience qui précède la pensée. Il est donc fréquent de passer d’une anecdote, parfois très drôle – le chapitre sur la sexualité – à une mise en perspective plus historique. Les chapitres, tous très courts, frustrent. D’autres stimulent la pensée – les lignes sur le peintre Soulages. C’est une manière d’approcher les œuvres de Soulages comme n’étant jamais terminées puisqu’elles se prolongent par le regard du spectateur et en dehors de la toile. Si l’on reste loin des réflexions esthétiques d’un Jacques Rancière, la générosité dans l’écriture permet de saisir des pistes de réflexions, soutenue par des traits d’humour qui fonctionnent bien souvent. L’ensemble, à l’image de cette couleur noire décrite longuement, est en demi-teinte.
« Au fond, le noir, solitaire et compact, de tout tableau de Soulages indique qu’il pourrait continuer, que la limitation du tableau, et même son immensité, n’est qu’un moment de sa propre illimitation »
Alain Badiou, Le noir ; éclats d’une non-couleur
Il y a de l’espoir
L’auteur consacre quelques pages à l’humour noir où le noir renvoie à la question du deuil, à l’allure des corbillards. C’est un passage plus faible du livre où Alain Badiou cède aux jeux de mots un peu faciles. Dommage car il y avait matière à développer une pensée sur cet humour noir qui trouble nos repères moraux. Les réflexions esthétiques sont donc parfois décevantes et l’auteur semble plus à l’aise dans le sujet politique.
Il faut attendre la fin du texte pour obtenir une réflexion du philosophe sur la question raciale. À l’apogée de la traite négrière, les populations africaines sont emmenées de force dans le Nouveau monde. Les Noirs deviennent donc une création des Blancs selon Alain Badiou. L’Europe a ainsi développé un système juridique – l’auteur revient sur le Code noir – qui base une partie des inégalités sur la couleur de peau. Après un développement plutôt convaincant, Alain Badiou arrive à une conclusion universaliste :
« Dans l’ordre universel auquel l’humanité aspire, ni le Blanc ni le Noir n’ont le moindre droit d’exister. L’Humanité, comme telle, est incolore. »
Alain Badiou, Le noir ; éclats d’une non-couleur
Le livre n’en demeure pas moins sage dans la forme et peu radical sur le terrain de la pensée. Il n’est donc pas surprenant de voir cet opus paraître au même moment que ses mémoires. Ce que l’on perd en réflexions politiques, on le gagne en plaisir immédiat de lecture.
Le noir ; Éclats d’une non-couleur d’Alain Badiou, Autrement, 144 p., 17€90.