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« Le fils de Pan » – Suite satyrique

© Fabrizio Dori / Sarbacane
© Fabrizio Dori / Sarbacane

Après Le Dieu vagabond (2019), Fabrizio Dori continue l’épopée du satyre Eustis avec Le Fils de Pan. Comme le premier volume, cette suite est un enchantement visuel .

N’en déplaise à Nietzsche, Dieu n’est pas mort dans l’univers enchanté de Fabrizio Dori. Sa dernière collaboration en date avec Jacky Beneteaud pour Le Divin scénario (2021), faisait parcourir à l’ange Gabriel les grandes étapes de la culture occidentale à la recherche de Marie. Les clins d’œil littéraires et picturaux étaient légion, de L’Odyssée à Madame Bovary en passant par le tableau de L’escarpolette de Fragonard. Dans Le fils de Pan, les clins d’oeil sont présents mais plus subtils et personnels. Fabrizio Dori, en parfait italien, rend hommage à la culture gréco-latine. Même si son satyre Eustis ère dans l’Italie moderne, le souffle des anciens Dieu se fait encore sentir.

© Fabrizio Dori / Sarbacane

Plénitude passée

Depuis qu’Artémis l’a punit pour avoir poursuivit une de ses nymphes, Eustis cherche désespérément à rejoindre le cortège de Dionysos auquel il appartient. Mais la dernière fois qu’il a vu son groupe s’adonner aux joies des Anthéstéries – fête des morts données en l’honneur de Dionysos – il n’a pas pu suivre la troupe au fond du lac dans lequel elle s’est enfoncée. En attendant de se raccrocher au cortège une bonne fois pour toute, il donne ses conseils en tant que devin aux pieds d’un panneau publicitaire à l’orée d’un champ de tournesols. En prime, Séléné, Déesse de la Lune, l’a chargé de s’occuper de son fils, et ce rôle de baby-sitter contraint le satyre dans sa quête.

Avec son esthétique singulière et foisonnante, Fabrizio Dori fait se télescoper deux époques. D’un côté le monde gréco-latin tel qu’on se l’imagine d’après les mythes et les récits ; d’un autre l’Italie moderne. Le bédéaste condense en quelques planches toutes les images pastorales de Virgile, notamment ce vallon ensoleillé où la sieste appelle au pied d’un arbre en ouverture des Bucoliques (-37). On reconnait aussi volontiers dans ces couleurs fauves, ce que Giono qualifiait de « paysages [qui] ont été des états d’âme » dans La Chasse au Bonheur. Bref, un paradis perdu qui relève du fantasme aussi bien que du passé pour Eustis. Le satyre va par tous les moyens tenter de retrouver l’Olympe et ses douceurs.

© Fabrizio Dori / Sarbacane

… vs monde moderne désenchanté

Mais loin de ce passé enchanté, Eustis se retrouve coincé dans une époque diamétralement opposée. Le contraste est d’autant plus saisissant que dans le monde contemporain, c’est une esthétique froide à la Otto Dix ou Edward Hoper qui domine. Si les vallons de la Grèce antique sont verdoyants et que le soleil y darde ses rayons, c’est pour mieux souligner la dureté des couleurs rouges et jaunes (lumières nocturnes et artificielles) du XXIème siècle.

Même les Dieux grecs ont dû s’adapter à la froideur et aux nécessités de l’époque. Athéna fait un burn-out, Hermès jongle entre deux emplois, à la fois chauffeur de taxi et homme d’affaire… Au XXIème siècle, le culte des Dieux est remplacé par le culte des supermarchés et des zones commerciales. Doucement critique – avec ironie – Fabrizio Dori s’amuse de ce changement. Rien de réac ou de révolutionnaire dans cette vision de la société actuelle, juste une douce mélancolie. Eustis, un brin désenchanté par le monde contemporain sans mystères, remarquera qu’ont disparu « avec [eux], les mystères de la nuit, la beauté qui foudroie, les terreurs abyssales… »

Avec Le Fils de Pan, Fabrizio Dori signe un deuxième volume visuellement très beau, dans la lignée du Dieu vagabond. On peut cependant déplorer la simplicité du scénario qui manque parfois de profondeur et de surprise. Mais c’est avec délice que l’on se laisse happer par ce chant des Sirènes visuel.

Le fils de Pan de Fabrizio Dori, éditions Sarbacane, 240 p., 28€

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