LITTÉRATURE

« La Jeune artiste » – Naissance d’une vocation

Valérie Mréjen © Stephanie Solinas

Après Troisième personne, récit sur l’arrivée d’un enfant au sein d’un couple, Valérie Mréjen publie La Jeune artiste. Elle propose une immersion dans le monde de l’art à partir du ressouvenir de ses années d’études.

Que signifie vouloir devenir artiste  ? Nous sommes dans les années 1990 quand l’héroïne est convoquée au concours d’entrée de l’École nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise. Valérie Mréjen y a été élève entre 1989 et 1994. Après sa formation, elle explorera, dans des formes cinématographiques, livresques ou plastiques, l’effet du langage sur notre quotidien. Fidèle à ses thèmes de prédilection, La Jeune artiste choisit les mots pour dire la vie ordinaire, l’usage du langage, l’exploration de ce qu’il y a de cliché ou de prosaïque, ici, dans une école d’art. 

Dans les salles de l’école, il faut souvent repeindre en blanc les murs, les socles, les salissures au-dessus du lavabo, les graffitis, les traces d’actions ou de présentations passées dont on n’a pas d’images ni d’histoires éclairantes, seulement des empreintes qui ne disent plus rien, des résidus salis ou des bouts d’adhésifs. 

La Jeune artiste, Valérie Mréjen

En revenant sur les lieux de ses années d’études, Valérie Mréjen trace les contours de ce microcosme. Elle raconte, avec humour, neutralité, désespoir parfois, les épreuves de sélection, la vie étudiante, les chassés-croisés des élèves, la mondanité d’un milieu et les joies de certaines découvertes. 

Les règles de l’art

La Jeune artiste présente l’école d’art de Cergy dans un lent mouvement cinétique. Le trajet en RER, l’urbanisme de la ville, l’architecture du bâtiment donnent la sensation de découvrir progressivement et au côté de la jeune fille ce lieu où elle va étudier. Une fois à l’intérieur, Valérie Mréjen dresse un véritable trombinoscope des étudiantes et étudiants. Au travers de ces expérimentations plurielles, elle cherche à dire quelque chose des difficultés, des hésitations, comme des hasards inhérents à la pratique artistique.

Des typologies se confirment, des familles esthétiques, des personnalités. Le grand type voûté qui marche avec une casquette de marin et une tête allongée est fasciné par les ambiances industrielles. […] Une fille plutôt discrète dont les deux joues rosissent lorsque s’esquisse un demi-sourire déplie d’immenses dessins au crayon à papier léger, portraits sensibles et minutieux rehaussés de taches de couleur.

La Jeune artiste, Valérie Mréjen

Le récit alterne entre descriptions cliniques (des professeurs, des pratiques des étudiants, des looks vestimentaires), remarques humoristiques (concernant l’absurdité de certains fonctionnements institutionnels) et réflexions sur les manières d’enseigner l’art. Sans résoudre l’équation de cet art de la transmission, elle avance quelques pistes qui lui semblent élémentaires. Pris entre émulation et tiraillement, elle dit la nécessité pour les élèves de nourrir leurs regards de nouvelles images, de formuler des idées sur leur travail, de suivre leurs intuitions tout en se laissant entamer par les conseils extérieurs.

À la découverte d’un monde

Au sortir de l’école, ce sont les lois du monde de l’art que découvrent les élèves. Ce monde, Valérie Mréjen le présente avec ses rituels, ses chapelles et ses possibles lignes de fuite. C’est avec une «  ironie méfiante  » qu’elle évoque la comédie chorégraphiée des vernissages et des inaugurations où de savants calculs sont mis en place dans le but acharné de se faire connaître. À plusieurs reprises, elle dit ce qui dérange et parvient à saisir le caricatural et le burlesque de certaines situations.

Pourtant, à la lecture, c’est plutôt l’évocation de la liberté et de la réjouissance procurée par certaines œuvres qui nous happe. Valérie Mréjen prend le temps de dire ses admirations profondes et laisse affleurer quelque chose de son ressenti. Elle invite les artistes aimés à venir la rejoindre et les classe selon deux axes du cœur : les « œuvres amies » – celles qui donnent des idées et encouragent – et les œuvres propres aux « chocs esthétiques » dont, on imagine, qu’elles ont changé, à jamais, quelque chose de son regard. Nous retiendrons sa sobre et puissante déclaration adressée à la cinéaste Chantal Akerman  : « Tu me manques, tu nous manques ».

La Jeune artiste de Valérie Mréjen, éditions POL, 16euros.

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