LITTÉRATURE

« Je souhaite seulement que tu fasses quelque chose de toi » – Poétique du trivial

Image extraite de la vidéo "The Morning After 'Losing My Virginity' " © Hollie McNish et Ema Ferreira

Dans son ouvrage à facettes, Hollie McNish compose une poétique, en vers et en prose, qui tire la langue aux conventions et décrit, avec humour et précision, le trivial qui fait aussi la vie.  

Je souhaite seulement que tu fasses quelque chose de toi est un livre dont le titre prend le temps de s’adresser à nous. Divisé en sept grandes parties, certaines thématiques chères à l’autrice font retour dans le livre – la maternité, les injustices sociales, la sexualité, les stéréotypes de race et de genre, les discussions avec ses grands-mères (auxquelles elle dédie son texte)  :

Pour mes grands-mères, qui très probablement m’auraient désavouée pour presque tout ce qui est écrit ici, mais dont les conversations,  le temps qu’elles m’ont consacré et les savons qu’elles m’ont passés en ont inspiré au moins la moitié 

Je souhaite seulement que tu fasses quelque chose de toi, Hollie McNish

Poétesse et slammeuse anglaise, Hollie McNish a toujours écrit. À huit ans, elle rédige son premier poème sur les arcs-en-ciel. Après avoir étudié les lettres à l’université de Cambridge, elle a enchaîné les petits boulots avant de pouvoir vivre de sa création. Son écriture est souvent mise en dialogue avec d’autres formes artistiques. Ainsi, elle met en musique ou en image ses textes en travaillant avec d’autres artistes comme l’artiste Kae Tempest.

Ouvrir le livre. Cueillir le titre d’un des poèmes. Le lire. Refermer le livre. Attendre demain ou après-demain. Ouvrir encore. Lire une des nouvelles qui fait le lien d’une partie à l’autre. Feuilleter. S’arrêter sur quelques phrases. Fermer. Ouvrir. Décider de ne parcourir le livre en ne lisant que les calligrammes. Parcourir les pages à tout allure. Fermer. Se dire qu’on y reviendra plus tard. Bref, vous l’avez compris, le plaisir de ce livre vient de sa possible découverte libre et aléatoire. 

La vie par les mots

Oscillant entre poèmes et nouvelles, Hollie McNish met au jour l’absurdité d’une époque. Son ouvrage s’ouvre sur le chagrin teinté d’incongruité d’une perte vécue à distance au temps de la pandémie. Sa grand-mère, décédée pendant le confinement, n’a eu droit qu’à des funérailles diffusées par Zoom. L’autrice, désemparée, choisit pour l’occasion de revêtir son « pull couleur beurre ».  Plus loin, elle constate, douce-amère, que « nous sommes la seule espèce qui maquille ses cadavres ».

Hollie McNish écrit tout le temps, partout et très vite. Dans une langue simple et répétitive, elle saisit le sel des choses en apparence banales. Elle parle de ce qu’elle vit et de ce qu’elle observe sans jamais oublier la nécessité de l’humour pour désamorcer la souffrance et l’esprit de sérieux.  

Avec un réalisme choisi, elle évoque son rôle de mère («  j’ai partagé mon corps avec toi / des mois avant ta naissance / tu pourrais au moins / me filer une de tes chips  »), l’incompréhension entre les gens, la honte que l’on fait peser sur le corps des femmes, la douleur des règles («  certains jours j’ai l’impression d’avoir absorbé mon propre poids en muscle  »), la jouissance sexuelle, la confusion entre nudité et sexualité, l’angoisse («  Je continue d’essayer de rester calme à l’idée de ma propre mort mais, comme beaucoup de gens, je ne le suis absolument pas  »). Elle fait aussi usage de la vulgarité, comme avec son poème Connard, pour donner un peu d’air au corps («  il a été prouvé scientifiquement que jurer libère de l’ocytocine  »). 

Je souhaite seulement que tu fasses quelque chose de toi 
Photo du livre Je souhaite seulement que tu fasses quelque chose de toi d’Hollie McNich © Marie Viguier

L’autrice porte aussi une attention particulière à l’organisation des mots sur la page et met un point d’honneur à consteller son texte d’intertextualité. Elle cite livres, artistes, chansons et posts de blog qui ouvrent la possibilité de nouvelles lectures. Il y a quelque chose du journal intime dans sa façon d’écrire et de penser l’espace du livre. Cependant, cela n’occulte pas l’aspect engagé de son propos. Elle relève, par le biais de son vécu, les injonctions à la beauté, les difficultés (rarement racontées) de la parentalité, les ravages du regard normatif blanc, le tabou encore persistant concernant le plaisir sexuel.

Constatant un déficit criant de tendresse, Hollie McNish dit l’importance du plaisir, de l’attention, de la conversation mais surtout de l’écriture qui est comme un baume appliqué sur une gerçure. Aussi, le lait maternel, les cartes d’anniversaire, le mot vulve, l’empreinte carbone, la peur enfantine peuvent tous être l’occasion d’un poème. Plongez dans ce recueil comme dans une eau revigorante !

Je souhaite seulement que tu fasses quelque chose de toi, Hollie McNish, traduction de Valérie Rouzeau et Frédéric Brument, Edition Le Castor Astral, 24,50euros.

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