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« Guerrilla », la dystopie sensorielle d’El conde del torrefiel

Guerrilla 03 © Titanne Bregentzer
© Titanne Bregentzer

Dans le cadre du Festival d’automne, le binôme espagnol d’El conde del torrefiel occupe la Maison des métallos (Paris 11e) durant tout le mois d’octobre. Au cœur de ce mois de création, Guerrilla, une dystopie en trois actes qui explore la notion de groupe de manière sensorielle mais inégale.

Pablo Gisbert et Tanya Beyel se sont rencontrés dans le cadre de leur études théâtrales à Barcelone en 2007. En 2008, ils forment El conde del torrefiel, un duo axé sur la performance théâtrale. Régulièrement invités du Festival d’Avignon, ils sont cette année mis à l’honneur du Festival d’Automne à Paris. Après avoir ouvert l’évènement avec Ultraficción nr. 1 où le public était installé sur un parking à la tombée de la nuit devant un grand écran, ils déploient un cycle de plusieurs créations durant le mois d’octobre à la Maison des métallos.

Dystopie en trois parties

Guerrilla, la pièce présentée jusqu’au 15 octobre, se situe en 2027 et se découpe en trois actes tous interprétés par des amateurs. D’abord, une conférence du metteur en scène Romeo Castellucci – présenté comme le plus grand artiste du XXIème siècle- puis un cours de tai-chi et, enfin, une soirée techno. A chaque fois, le public observe un groupe dans une de ces activités. Les interprètes restent silencieux durant tout le spectacle, ce qui n’empêche pas d’en apprendre plus sur eux grâce au texte projeté au-dessus de la scène. H. a travaillé dans le cinéma avant de vivre dans un squat en Bretagne, D. est né en Roumanie, T est prof de tai-chi… certains détails sont vrais, d’autres relèvent du champ de la fiction. Progressivement, une tension s’installe entre ces groupes et les individualités qui les forment.

Comme souvent avec El conde del torrefiel, l’action se situe dans un monde à la géopolitique chamboulée. Ici, la Russie, l’Inde et la Chine ont scellé une alliance leur permettant de s’opposer aux nombreux régimes d’extrêmes droite ayant pris le pouvoir en Europe. On parle de bombes atomiques et de stations lunaires. L’ensemble est peu crédible et, contrairement à leurs autres spectacles, relaté avec plus de sérieux et moins de distance comique. Cet aspect ne fonctionne pas toujours mais, qu’importe, puisque Guerrilla explore finalement quelque chose de plus intime et sensoriel que la fable dystopique sur la fin du monde.  

Théâtre sensoriel

Ce spectacle que le duo qualifie de « manifeste sonore » met les sensations au premier plan. Celles des interprètes comme celles du public. Tous les sens sont sollicités, parfois jusqu’à la saturation. Il faut regarder avec attention les corps bouger sur scène, les images créées par les lumières stroboscopiques mais aussi écouter le texte ou la musique diffusés et, enfin, lire les mots projetés. Impossible de tout recevoir simultanément, il faut parfois faire des choix. Assez astucieusement, les metteurs en scène font éprouver la complexité du groupe, de ce que c’est que d’être dans un collectif ou d’essayer de le comprendre.

Guerrilla vs. Extinction

Il y a parfois des œuvres qui résonnent étrangement entre elles. Elles se ressemblent, sans qu’on puisse pour autant parler de plagiat. Elles sont le produit d’un contexte ou d’une réflexion commune d’artistes différents. C’est dans une certaine mesure ce qui se passe entre ce Guerrilla et Extinction, de Julien Gosselin. Présentée au Festival d’Avignon 2023, la pièce de Gosselin sera reprise au Théâtre de la Ville de Paris du 29 novembre au 6 décembre prochain. Comme Guerrilla, elle explore la fin d’un certain monde mais en se plaçant essentiellement dans le passé (plus précisément en 1913, 1983 et 2023). Extinction comporte également trois parties, dont une scène de concert électro et une conférence (sur la base d’un texte de Thomas Bernhard).  

Malheureusement, la comparaison se fait un peu au détriment du travail d’El conde del torrefiel. Gosselin explore moins les notions de groupe ou de collectif, mais il est plus radical et convaincant dans son approche du corps et du son. Son travail propose une véritable immersion sensorielle sur un temps long – plus de 5 heures – dont le public est vraiment partie prenante. Durant toute la première partie qui est un concert électro, le public peut notamment monter sur scène, échanger avec les comédiens et être la foule.

Ce qu’on peut reprocher à Guerrilla c’est finalement de ne pas être assez radical. Alors que l’ambition est de faire ressentir le groupe et le commun, le public se retrouve cantonné à un rôle trop passif et distinct de ce qui se passe sur scène. La force d’El conde del torrefiel est toutefois de laisser en tête quelques images particulièrement efficaces qui ne font pas regretter le déplacement.

Guerrilla de El conde del torrefiel. Jusqu’au 15 octobre à la Maison des métallos. Durée : 1h30. Tarifs : 10-20€.

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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