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LE FILM CULTE – « Black Swan » : Derrière le rêve

Black Swan© Twentieth Century Fox France
Black Swan© Twentieth Century Fox France

Chaque mois, un·e rédacteur·ice vous propose de revenir sur un film qu’iel considère comme culte. Classique panthéonisé ou obscure pépite disparue des circuits traditionnels de diffusion, le film culte est avant tout un film charnière dans le parcours cinéphile de chacun·e. Après une incursion dans l’univers de Sergueï Boudartchouk avec Guerre et paix, retour sur Black Swan de Darren Aronofsky.

Sorti en salles en 2010, Black Swan est une immersion dans ce que la danse classique peut renvoyer de plus obscur. Le long-métrage de Darren Aronofsky (Requiem for a Dream, The Whale) s’articule entre un quatuor de personnages aux relations ambiguës et un univers parallèle tumultueux.

Danseuse au sein de la prestigieuse troupe du New York City Ballet, Nina Sayers (Natalie Portman) est choisie pour incarner la reine des cygnes dans le célèbre Lac des Cygnes. En travaillant ce rôle que s’arrachent les danseuses du monde entier, elle sombre peu à peu dans une quête obsédante de la perfection. Sous couvert de bienveillance et d’empathie, ses proches gravitent autour d’elle et alimentent sa course effrénée dans l’appropriation de son personnage. Enfermée dans ce cercle vicieux, Nina peine à maintenir l’équilibre. Tantôt blanc, tantôt noir, le cygne prend possession de la danseuse.

Oppression

Entre une mère omniprésente, un directeur de ballet survolté et une nouvelle recrue tant inquiétante qu’envoûtante, Nina titube. Si son nouveau rôle l’exalte, il est le fruit d’années de travail et de sacrifices. Répétitions à n’en plus finir, hygiène de vie bancale, corps fatigué : ici, le succès se paye. Pleine de promesses, la saison à venir demande une préparation intense. Les proches de Nina le lui font ressentir à différents niveaux. Malgré elle, la danseuse s’engouffre alors dans des turpitudes émotionnelles sans fin.

Nina vit cloisonnée entre trois espaces : le sombre appartement de sa mère, le studio de danse et le métro new-yorkais. Son quotidien ne lui laisse aucune liberté. Paradoxalement, c’est cette liberté que recherche à tout prix la reine des cygnes. Bercée par la mélodie de Tchaïkovski qui l’accompagne jusqu’aux portes du sommeil, la danseuse se perd. Elle ne parvient plus à faire la différence entre la réalité et l’illusion qu’elle se fait de certains de ses propres agissements et de ceux de son entourage. Pour représenter cela à l’écran, Darren Aronofsky offre une mise en scène sensible aux moindres détails visuels et sonores. Black Swan plonge ainsi son spectateur dans les méandres de l’univers angoissant qui évolue dans l’esprit de Nina.

Black Swan
© Twentieth Century Fox France

Transformation

Dans le ballet, le personnage de la reine des cygnes alterne entre deux personnalités. Symbole de pureté et de fragilité, le cygne blanc se transforme en son alter ego démoniaque : le cygne noir. Ce dernier est viscéral, imprégné et violent. Dans ses pas comme dans son attitude, la ballerine qui danse ce rôle doit savoir incarner ce paradoxe. Constamment sur la réserve, Nina doit se libérer de ses schémas restrictifs pour incarner pleinement son « double maléfique ». Le défi est donc de taille. Habituée depuis toujours au contrôle et à l’ajustement du moindre pas chassé, elle doit se réinventer. Black Swan est la métaphore de cette quête d’identité. Nuance, cependant : cette facette n’est pas nouvelle. Elle est simplement recluse au plus profond de Nina qui s’est efforcée de la maintenir cachée toutes ces années.

Avec habileté, Aronofsky insère çà et là des éléments plus ou moins anodins indiquant les changements intérieurs que connaît la danseuse. S’ils paraissent parfois superficiels, ce n’est qu’une apparence. Ces étapes se révèlent cruciales dans l’émancipation de Nina. La danseuse se découvre et se dévoile à elle-même au même rythme que ses proches observent son évolution. Dans ses rêves — ou plutôt ses cauchemars — comme dans la réalité, elle explore son corps, découvre sa sensualité, claque violemment la porte de sa chambre au visage de sa mère en lui hurlant qu’elle n’a plus douze ans et finit par jeter l’ensemble de ses peluches d’enfant à la poubelle. La machine est lancée.

Black Swan
© Twentieth Century Fox France

Descente aux enfers

Tantôt montrées, tantôt implicites, les griffures, blessures et gouttes de sang inexpliquées s’immiscent peu à peu dans le quotidien de Nina. Alors qu’elle découvre et repousse progressivement ses limites, elle sombre dans la noirceur du cygne machiavélique tant recherché. Daren Aronofsky manie avec brio l’illusion et le cauchemar qui s’emparent de la danseuse. L’on ne distingue bientôt plus ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. La force du scénario est d’éluder la question. Le cygne noir devient seul épicentre du cheminement de Nina.

Face à Lily (Mila Kunis), dont elle soupçonne sans raison la jalousie mais qu’elle cherche inconsciemment à imiter, Nina tente tant bien que mal de s’affirmer et de s’asseoir à la place qui lui est due. Idem vis-à-vis de Thomas (Vincent Cassel). Peu à peu, le directeur du ballet observe ainsi la métamorphose qu’il a engendrée chez la danseuse. Nina casse ces barrières qui l’emprisonnent. Pour devenir le cygne noir, elle prend le dessus sur l’image qu’elle a toujours renvoyée. Exit la fragilité et la pudeur qui semblent intrinsèques à son personnage. Son unique objectif est de transcrire parfaitement ce second cygne. La perfection dans la violence, voilà l’essence de ce que Nina recherche. Jusqu’à finalement se faire violence à elle-même. La quête ne connaît de fin que dans l’épuisement de toute ressource physique et émotionnelle.

Black Swan
© Twentieth Century Fox France

Si Black Swan fait le choix de dépeindre la danse classique dans ses aspects les plus sombres, cette obscurité n’est pas sans virtuosité. Darren Aronofsky pousse les stéréotypes à l’extrême. Pourtant, l’on ne peut s’empêcher de reconnaître la performance narrative et scénaristique orchestrée autour des thématiques complexes de la découverte du soi profond. Quête de liberté, de perfection et d’émancipation : à travers le personnage de Nina – pour lequel Natalie Portman remporte l’Oscar de la meilleure actrice en 2010, c’est le passage de l’enfance à l’âge adulte que le réalisateur dépeint sous le tulle, les violons et.. quelques épines noires.

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