Zed Yun Pavarotti, c’est une voix, une urgence de chanter et une énergie rock enivrante. Quelques heures avant son concert au festival Transe Atlantique, nous avons parler avec lui de rock, de sentiments et de ses craintes de changer à cause du succès. Rencontre.
Il y a quelques mois, tu sortais ton second album Encore, on reconnait ton identité musicale et pourtant il y a une métamorphose depuis tes deux premières mixtapes et ton premier album Beauseigne. Tu es devenu rockeur ?
Il y a eu une volonté de ma part de ne pas m’ennuyer. Et ça passe par le fait de tout jeter à la poubelle et de recommencer tout le temps. En-tout-cas, moi, j’ai l’impression de faire ça. J’ai envie d’aller sur des terrains que je ne maîtrise pas. C’est vrai que je ne rappe plus, je suis devenu chanteur. Il me reste deux ou trois morceaux en live où je suis obligé de le faire, mais sinon j’ai trouvé un nouveau sport : la chanson et j’adore ça.
Et musicalement, la batterie et la guitare ont pris une place plus importante, non ?
Oui. Mes musiciens ont travaillé sur la composition de l’album. Les morceaux leur appartiennent aussi un peu. Ils n’ont pas eu seulement à réadapter. On a un peu avancé tous ensemble et ça doit s’entendre. Tout le monde a sa place comme dans un groupe.
Tu les as rencontré comment ?
Un peu au compte-gouttes par rapport aux besoins que j’avais. La première personne, c’est Osha qui était mon binôme quand je faisais du rap. Il était beatmaker. Maintenant, il est guitariste et compositeur et on réalise ensemble, toujours en binôme. C’est avec lui que j’avance. Un peu par hasard sur les Inuits 2019, j’ai rencontré Juliette Notzisway qui avait un groupe qui s’appelait Ganache. On a été sélectionnés en même temps. Pendant les auditions, alors que j’avais besoin d’une guitariste, je suis tombé amoureux de son jeu, de son style… On est resté un petit peu en contact et un jour, je lui ai proposé de venir avec moi en tournée. Maintenant, elle compose aussi avec moi. Puis j’ai rencontré Hugo Del Rosso à la basse et Lucas Terrier pour la batterie à la même période.
Tu as encore envie de poursuivre ces explorations musicales ?
Bien sûr, j’ai des pistes, mais c’est un peu long. J’en ai besoin. Le rap, c’est vraiment un style à part, mais après une fois que tu te mets à faire de la musique, ce n’est pas si risqué. Je connais mal la musique électronique et de club mais je suis en train d’apprendre. Je me remets à produire un peu plus.
Les textes de tes chansons sont très écrits. Est-ce que te tourner vers un autre style musical ça a changé quelque chose dans ta manière d’envisager l’écriture ?
Ce n’est pas le même rapport. Il n’y a pas de contraintes de volume. Dans le rap, ce qui me terrifiait le plus, c’est le nombre de phrases que je devais trouver. Ça évolue par bloc et tu peux plus facilement te laisser aller à un peu de second degré. Là, chaque phrase a une valeur énorme. Il y a une sélection qui est plus grande et il faut rester dans une thématique sinon, on ne comprend vraiment rien. C’est une nouvelle difficulté que j’ai adorée.
Tu écris les textes avant de composer ?
Non, c’est à la fin, une fois que j’ai toutes les mélodies. D’abord, j’essaie de composer l’instru puis de trouver des mélodies. Puis, je fais une structure mentale et j’écris. Les mélodies me font penser à des mots un peu au hasard. Je cherche d’abord les sons qui vont le mieux avec la rythmique par instinct. Il faut que ça glisse ce qui n’est pas facile en français. Et après, je cherche des mots sur les fins de phrases qui correspondent aux sons que je voulais.
Pourquoi ce n’est pas facile en français ?
La langue n’est pas permissive. Elle n’est pas très glissante. Il y a beaucoup de stop dans les phrases. En chanson, c’est bien rythmiquement, c’est pour ça qu’il y a eu beaucoup de chansons à texte qui ne suivent pas forcément un principe mélodique, mais qui explosent sur le plan rythmique. Dans le rock, ce que j’aime, ce sont des lignes et il y a moins de mots qui permettent ça.
Justement dans tes chansons la mélodie est parfois très lyrique. D’ailleurs tu tiens ton nom du ténor Luciano Pavarotti. Est-ce que la musique classique et l’opéra ont une influence sur tes compositions ?
Je suis surtout influencé par la musique symphonique. Après, il y a quelques opéras que j’aime beaucoup comme ceux de Verdi. Mais Pavarotti, c’est aussi la figure et ce qu’il incarne. C’est-à-dire, le fait d’y aller à 100 % et de conserver des valeurs sociales très fortes. Il représente une figure populaire et je viens de là. J’ai envie de garder une forme de gentillesse et d’entraide, de ne pas oublier qu’on vit tous ensemble, même en étant au sommet de ce qui peut se faire.
Tu as peur de changer à cause du succès ?
C’est toujours une crainte. Je suis en remise en question permanente. Au début, c’était pire, car le changement était trop drastique. Quand je suis arrivé à Paris, en partant de Saint-Étienne, mon quotidien a changé radicalement. Je suis passé d’un aquarium à la mer. Ça peut vite être intimidant et on peut avoir un réflexe de mimétisme. Il a fallu trouver le juste milieu. Surtout que dans ce milieu professionnel, il faut jouer le jeu. Mais on peut arriver à rester soi-même. Je pense que c’est possible.
Et tu as gardé ce lien avec Saint-Étienne dont tu parlais beaucoup dans Beauseigne ?
Saint-Étienne, c’est ma colonne vertébrale. Ça ne bougera jamais. Je suis resté 22 ans là-bas. Aujourd’hui, j’ai beaucoup moins de famille et j’ai moins de temps donc j’y passe plus rarement. Mais dès que je rêve, ça se passe à Saint-Étienne. Ma vie a été construite là-bas. Le reste, c’est un grand voyage.
Dans tes textes, il y a une atmosphère très baudelairienne. Tu sembles naviguer entre le Spleen et l’Idéal. C’est quelque chose qui te parle ?
J’ai une vision un peu tragique des choses. Je pense que seul l’amour nous sauve, or, l’amour, au moment où il existe, c’est qu’il est déjà terminé. J’ai voulu faire un album sur le sentiment.
Ce n’est jamais évident en tant que garçon de s’émanciper des constructions sociales… C’est important pour toi d’assumer ces sentiments et donc une sensibilité ?
Oui, sinon on est mort. C’est ce qui fait que nous sommes des êtres humains, il faut aller à fond là-dedans. Ça paye tout le temps, de suivre cet instinct-là, car c’est le seul chemin vers la liberté et il n’y a que la liberté qui rend heureux. Parfois, ce sont des sacrifices. Je pense que le ciel nous entoure et nous protège un peu. Notre devoir, c’est d’être sensible et d’aimer.
Par ailleurs, il y a beaucoup de déclarations d’amour dans cet album que ce soit « In amour », « Girlfriend », « Ce que la lune éclaire », « Julia »… Là où ce n’était pas le sujet de Beauseigne. C’est ce sentiment qui t’a guidé ?
Beauseigne, c’était un devoir que j’avais de rendre hommage à Saint-Étienne. J’y suis retourné jouer, il n’y a pas longtemps, pour un festival et je vois que ça a touché les gens. Et j’y suis allé frontalement, je l’ai appelé Beauseigne, qui est un mot de Stéphanois. Avec Encore, je voulais peut-être alléger un peu le propos, parce que c’était lourd à porter. Surtout en interview, je devais parler beaucoup de Saint-Étienne, ce n’était pas évident. La musique a un devoir un peu fun et j’ai voulu trouver plus d’amusement, plus de légèreté en parlant d’amour, mais aussi en me raccrochant à la fête. Jusqu’ici, ma musique ne permettait pas trop de vraiment faire la fête. J’avais envie de rentrer un peu dans les soirées avec ma musique.
C’est vrai que l’ambiance est plutôt nocturne. Tu voulais que l’on ressente la nuit ?
Oui, c’était essentiellement dirigé vers la fête nocturne. Après, je ne vois pas beaucoup le jour donc c’était plus par rapport à mon environnement.
Quelles sont tes influences musicales quand tu composes ?
Ça dépend du moment et des besoins de nourriture musicale que je veux avoir. C’est mouvant. J’ai des périodes, mais tout m’influence. Maintenant, j’essaie d’écouter des choses qui n’iront jamais dans un sens de recherche chez moi. Ce qui a été assez dur à faire. J’ai toujours eu la curiosité de me dire comment ça a été fait, si j’aime, pourquoi j’aime… J’ai envie de me l’accaparer un peu. Globalement, j’écoute toujours de la musique en rapport avec la condition mentale dans laquelle je suis. Sur cet album, il y a beaucoup de rock des années 70, le songwriting est plutôt des années 60 et l’esthétique et l’énergie viennent des années 90 en Angleterre. J’ai oublié un peu les années 80 donc là, je suis en train de me tourner vers cette décennie, toujours en Angleterre. Après, il faudra que je change de pays parce que j’aurais tout fait.
Tu évolues un peu à part dans le paysage musical. Tu tiens à garder ce côté électron libre solitaire ?
C’est vrai que déjà, je ne collabore pas. Je n’ai jamais fait de feat, en tout cas, pas sur mes projets. C’est une démarche très personnelle. C’est difficile de croiser les libertés. Au bout d’un moment, il y a des intersections et des murs. Je préfère avoir le champ libre total de me tromper et être la seule personne à décevoir si ça ne fonctionne pas. C’est ce qui rend la chose un peu pur dans l’idée, car c’est que ce qui se passe dans ma tête. J’ai une obsession concernant la cohérence, j’ai peur de m’en éloigner. Sans cohérence, il n’y a pas de magie.
Dans quelques heures tu vas monter sur scène, c’est un endroit où tu te sens bien ?
C’est le paradis. Je ne pensais pas aimer autant ça un jour, mais c’est extraordinaire. C’est la seule chose que je veux faire. Parfois, c’est épuisant, mais globalement, sur scène, ce sont toujours les meilleurs moments de ma vie. C’est le seul truc que je ne maîtrise pas et qui amène toujours de la surprise. C’est électrique et un peu dangereux la scène. J’aime bien ce danger qui va créer un bon souvenir pour tout le monde. C’est un défi qui me parle.