Paul Gravett consacre une monographie à Tove Jansson, mère des Moomins. Principalement connue comme créatrice de ces personnages enchantés, elle est aussi autrice, peintre et scénographe. Ce livre est le premier ouvrage de la nouvelle collection « Les illustrateurs » chez Flammarion.
C’est en déroulant la pelote biographique de Tove Jansson (1914-2001) que Paul Gravett reconstitue un parcours illustré de la vie de cette artiste finlandaise suédophone. Toute sa vie, et ce depuis son plus jeune âge, cette femme s’est évertuée à faire de son quotidien un lieu de création et de liberté. Depuis les gazettes bricolées de son enfance jusqu’à son succès mondial, elle n’a jamais cessé d’apprendre auprès des autres et de peaufiner sa pratique.
Née d’un père sculpteur et d’une mère illustratrice, Tove Jansson réalise ses premières publications très jeune. Elle remplace sa mère pour répondre aux commandes graphiques d’un magazine pour enfant. À partir de 1933, elle commence à publier régulièrement dans le journal satirique Garm. Elle deviendra une caricaturiste phare connue pour son engagement contre le fascisme. Puis, elle poursuit ses études, d’abord dans une école d’arts appliqués à Stockholm puis aux Beaux-Arts d’Helsinki.
Prolifique, elle enchaîne les contrats avec la presse et l’édition. Elle illustre des grands classiques de la littérature, réalise des affiches de films. En 1952, Charles Sutton lui propose de dessiner quotidiennement pour le Daily Mail. C’est une étape importante dans la reconnaissance de son travail et dans l’acquisition de son autonomie financière. Au fil de ses publications, son Moomin se précise, son style s’affine, sa technique change (du lavis d’encre au dessin) et de nouveaux personnages apparaissent.
Au pays des Moomins
Le personnage signature de Tove Jansson est un être arrondi et blanc au museau rond. Elle réalise le tout premier à la surface d’un mur, au début des années 1930. Elle le nomme Snork. Il est alors représenté comme « un troll grincheux au long nez, sans bras, ni oreilles ». Avec le temps, il devient un être plus doux et sympathique et s’entoure d’une famille. Les albums que lui consacre l’autrice suivent les mésaventures de Moominpapa, Moominmama et Moomintroll, leur fils, invitant dans leur danse d’autres personnages singuliers.
Tove Jonsson est principalement connue dans le monde pour avoir écrit et illustré ses livres sur les Moomins, des contes symboliques et philosophiques s’adressant aux lecteurs de tous âges.
Le premier livre consacré aux Moomins, Les petits trolls et la grande inondation, est publié en 1945 avec dessins et aquarelles. Le deuxième, Moomin : la comète arrive , évoque les « raids aériens qu’elle a connu à Helsinki » pendant la guerre. Ses livres, bien qu’adressés à un jeune public se font toujours l’écho de l’actualité et d’un monde en guerre. Dans les années 1960, le succès est retentissant. Les livres sont traduits dans plusieurs langues, des adaptations théâtrales, télévisuelles sont mises au point et les commandes ne cessent pas.
Cependant, la célébrité lui pèse et contraste avec son désir de simplicité. Ce quotidien ne laisse aucun répit à l’artiste qui décide donc, autour de 1970, de consacrer moins de temps à ces petites créatures. Elle se tourne alors, avec plus de sérieux, vers une littérature adulte et publie son premier roman en 1968. Son frère, Lars, prendra alors le relais de ses chroniques dans la presse. Il dessine à sa place et s’occupe aussi des droits de ses œuvres.
Inventer une langue libre
Paul Gravett a le mérite de se pencher sur la liberté de celle qui vit son amour pour les femmes à une époque où l’homosexualité est punie et considérée comme maladie mentale. Tove ne se mariera jamais et inventera un vocabulaire pour pouvoir vivre comme elle l’entend. Elle se réfère à son lesbianisme en évoquant sa « vie fantôme » et parle de ses « mymbles » pour désigner ses amantes sans éveiller les soupçons de la censure. Elle a plusieurs histoires, notamment une passion folle pour Vivica Bandler, metteuse en scène et directrice de théâtre, avec qui elle collaborera pour des pièces de théâtre. Cette liaison est évoquée en filigrane dans ses livres sous la forme de deux personnage : Zotte et Zézette. Elles vivent ensemble et s’inventent un langage à elles.
Mais c’est Tuulikki Pietilä, artiste graphiste rencontrée en 1955, qui devient son grand amour. Ensemble, elles alternent entre vie en ville (dans des appartements séparés) et vie sur une île inhabitée de l’archipel de Pillinki. Dans cette stuga, cabane modeste, elles passeront tous leurs étés pendant une trentaine d’années. Tove Jansson trouve alors l’espace nécessaire pour continuer à créer accompagnée de celle qu’elle aime.
Tove Jansson de Paul Gravett, traduit par Julie Debiton, Flammarion, 19,90euros.