Après Nos Cabanes (2019), petit précis sur l’urgence à habiter le monde autrement, Marielle Macé publie Respire. Cet essai interroge la capacité de nos respirations, puissances vitales, à résister à l’atmosphère contemporaine.
Notre monde est devenu irrespirable. Réchauffement climatique. Maladies professionnelles. Pollution. Violences policières. Virus respiratoire. L’air pollué bâillonne les revendications, étouffe les alertes, fait taire les révoltes, abat des vies. À partir de ce constat tranchant mais lucide, Marielle Macé propose une approche délibérément transversale de la dégradation des conditions de respiration à toutes les échelles de notre vie : sociale, politique et environnementale.
Essayiste et spécialiste de littérature française, Marielle Macé offre, dans l’ensemble de son œuvre, une méditation sur nos manières d’exister et de s’engager. Elle éclaire ses réflexions en piochant dans les mines poétiques, philosophiques et artistiques qui, liées à des exemples de sa propre expérience, dessinent un chemin possible vers un monde plus respirable s’il était conscient de ses mécanismes asphyxiants.
Inspire – Expire
Fonction biologique vitale par excellence, la respiration réalise un échange réciproque entre notre organisme et l’air extérieur. Respirer nous place toujours déjà en relation dynamique avec notre environnement, nous faisant « participer à ce qui existe et de ce qui existe ; prendre l’air (celui qu’il y a), le laisser rentrer (…) puis le rendre, expurger, le redonner changé au monde commun ». Quand nous respirons, la distinction actif/passif, sujet/objet ne prévaut plus. Nous respirons par le monde et le monde en nous.
Or, depuis deux siècles, la qualité de l’air ambiant se dégrade engendrant une « nouvelle condition respiratoire ». Marielle Macé rappelle la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Causé en majeure partie par l’activité industrielle, la déforestation et l’exploitation des énergies fossiles, nos façons de respirer ne cessent de se modifier et d’être éprouvées. Aussi, elle montre le « lien entre la respiration et l’état du monde », faisant de la qualité de nos souffles des indicateurs de la santé du monde.
Cependant Marielle Macé ne cantonne pas son étude à la dimension organique de la respiration. Elle pense le souffle au « cœur même du vivre ». Le souffle, ce « mouvement amoureux » qui nous traverse selon la belle formule de Valère Novarina, fait de nous des respirants. Respirer permet de s’oxygéner mais aussi de nourrir une « qualité de liens, de paysages, d’avenirs ». Pour être respirable, une vie doit donc répondre à des conditions minimales nécessaires. Mais que faire quand certaines existences viennent à manquer d’air à cause de diverses pathologies ou d’un inégal accès à cette ressource ? Comment penser, depuis nos respirations empêchées, la possibilité d’un second souffle ?
Réanimer – Conspirer
Si chaque souffle nous inscrit dans un souffle plus large et collectif, force est de constater que nous n’avons pas tous le même accès à la respiration. Aussi, une politique de la respiration ne peut se limiter à penser une respiration commune. Il s’agit plus encore de penser une éthique de la conspiration. Cette conspiration, selon Marielle Macé, est une co-respiration qui permet à certains de respirer « l’un par l’autre » pour pallier leur difficulté respiratoire. Partager l’air, c’est penser à la manière de « deux enfants (qui) se soufflent dans la bouche ». La fragilité du souffle demande parfois qu’un être transfuse de l’air à un autre.
Pour illustrer cette éthique, Marielle Macé évoque une célèbre scène du film Un chant d’amour de Jean Genet. Un prisonnier partage son souffle en envoyant de l’air, au moyen d’une paille, à un autre prisonnier situé de l’autre côté du mur de sa cellule. Aussi, l’autrice analyse les différentes techniques inventées pour remédier à ce manque comme le perfectionnement des techniques de réanimation ou l’exercice de la parole qui, toujours, fait mieux respirer et n’en est pas moins vitale.
Inspire, espère : c’est pour dire que dans la respiration il y a l’air qu’on reçoit et l’espoir qui en vient, qui devrait en venir. Un accueil et un avenir, un appel et une délivrance, sous le vent des paroles.
Marielle Macé, Respire
Inspire. Expire. Prend. Donne. Redistribue. Si respirer c’est être en vie, c’est aussi faire l’expérience d’une porosité entre le dedans et le dehors, l’intime et le politique, soi et les autres. Livre en chemin, Respire avance d’idées en idées en dialoguant avec Henri Michaux, François d’Eaubonne, Christophe Tarkos, Luce Irigaray, Donna Haraway et d’autres encore. Filant la métaphore du souffle, Marielle Macé pense les conditions d’une vie commune respirable c’est-à-dire tout à la fois vivable, désirable et partageable.