Jacob Allen et son projet musical Puma Blue reviennent avec un deuxième album transcendant Holy Waters aux effluves jazz et trip hop.
Puma Blue n’est autre que le groupe de Jacob Allen, âme sensible et insomniaque anglaise qui grâce ou à cause de ses longues nuits d’insomnie viendra nous conforter avec sa musique jazz, trip hop et angélique. Existant depuis 2016, c’est après la sortie de deux EP très remarqués, Swum Baby (2017) et Blood Loss (2018), que Puma Blue viendra étendre et confirmer son génie avec un premier album remarquable In Praise Of Shadows en 2021. Inspiré par ses nuits sans sommeil, l’artiste nous berce de chansons tendres et moelleuses à la dépression rassurante et chaleureuse, enregistrées pendant la pandémie.
La sortie d’Holy Waters, œuvre talentueuse et sombre, ce 1er septembre 2023 est venue bouleverser le monde de la musique. Tel un Jeff Buckley, Jacob Allen se surpasse pour nous amener dans son monde où Radiohead et Massive Attack ne font plus qu’un. Ce disque nous console dans le deuil, thème récurrent de ce nouveau bijou, pour nous élever en tant qu’être humain. Nous avons pu, avec Maze, rencontrer ce personnage captivant et solitaire lors de son concert hypnotique à La Maroquinerie. Nous y parlerons poésie, écriture, cinéma mais surtout de spiritualisme et de ce qu’il y a peut être ou pas après la mort. Une rencontre inspirante et mystique.

Ton premier album In Praise Of Shadows était sur le fait que tu étais insomniaque. Est-ce que tu l’es toujours ou tu te sens mieux ?
C’est seulement quand je suis seul, va savoir pourquoi, que je n’arrive pas du tout à dormir. Mais quand je suis avec ma compagne ou en tournée avec le groupe, je ne sais pas trop d’où ça vient, peut-être par le transfert d’énergie, je trouve que je dors beaucoup mieux. Sûrement parce que je suis fatigué par la tournée, étant donné que nous avons de longues journées et de longues nuits. Mais quand je suis seul avec moi-même, je travaille sur ma musique ou si ma compagne n’est pas là je continue à me lever à 4h du matin.
Est-ce que c’est la peur d’être seul qui te tient éveillé ?
Pas vraiment. C’est surtout le fait de réaliser qu’il n’y a aucune raison d’aller se coucher. J’ai l’impression d’avoir plus d’heures utiles pour faire des choses comme de la musique ou regarder des films. Alors que lorsque je suis avec ma copine et qu’elle va se coucher, je veux aller me coucher avec elle pour finir la journée ensemble.
Ton deuxième album s’intitule Holy Waters et beaucoup de chansons font référence à la mort et au deuil. Je me suis donc demandé ce qu’il t’était arrivé pour choisir ce genre de thème ?
C’est arrivé assez naturellement. Je ne me suis pas assis en me disant que j’allais écrire sur la mort. En tant que groupe, nous avons perdu beaucoup de personnes ces trois dernières années. La mort est un peu tout le temps autour de nous, surtout depuis la pandémie. Je pense que j’ai surtout essayé, à travers l’album, d’être sincère et honnête jusqu’à ce que je réalise que j’écrivais beaucoup sur ça. Je me suis demandé si je ne devais pas approfondir le sujet. C’est au milieu de l’album que j’ai commencé ce processus, ce qui explique la récurrence de ce thème.
Est-ce qu’on peut y trouver un peu d’optimisme tout de même ?
Je pense que c’est plus un fait. Dans l’album il y a beaucoup de deuil et du chagrin dû à la perte d’un proche. Mais on va vers l’acceptation. Accepter que ça fait partie de la vie.
Deux chansons sur le deuil retiennent mon attention. « Epitaph » et « Gates (Wait For Me) » sont sur tes grands-parents décédés. La première est sur ta grand-mère et la deuxième sur ton grand-père où tu as imaginé ce qu’il dirait à sa femme de l’au-delà sachant qu’il est décédé avant elle. Qu’étaient tes grands-parents pour toi ?
Ils étaient très silencieux. En tant qu’enfant, je pensais que c’était ennuyeux. Et plus je grandissais, plus je me voyais en eux. Ils aimaient le repos et le calme, ils aimaient leur compagnie, tout en étant intéressés par la nature avec toujours une tasse de thé. (Rires) Et je pense que cette tranquillité a résonné en moi.
Mais c’était important pour toi d’écrire sur eux ?
Oui, mais je ne pensais pas que ça l’était pendant très longtemps. J’ai écris ces deux chansons trois ans après qu’ils soient morts.
Quand as-tu découvert que tu avais besoin d’écrire sur eux ?
Je pense que c’est à cause de la pandémie. Je n’ai pas pu aller voir où ma grand-mère avait été enterrée. Et quand on a recommencé à tourner et qu’on était à Manchester où ils vivaient, je suis allé voir, seul, où elle était enterrée. Et j’ai eu une expérience très spirituelle là-bas. Je ne peux m’arrêter d’y penser car j’ai réalisé que je n’avais jamais vraiment compris qu’ils étaient réellement partis. J’ai donc écrit ces deux chansons l’une après l’autre. La première est remplie de mots, alors que la deuxième est beaucoup plus simple avec seulement une phrase qui se répète. Je voulais leur parler même si je sais qu’ils ne m’entendent sûrement pas. Mais c’était une façon pour moi d’entrer en communion avec ce sentiment.
Il y a aussi la chanson « Mirage » sur la perte d’une amie proche. Ces deuils me font me demander quel est ton point de vue sur la religion ?
Personne ne m’a posé cette question avant. Je crois qu’il y a une puissance supérieure à nous mais je ne suis pas chrétien et je ne crois pas en Dieu le Père. Je crois définitivement à « Dieu », peu importe ce qu’il est. C’est peut être notre mère nature. J’admets que je suis ignorant, je crois aux âmes, je crois au fait que nous avons plusieurs vies, que nous naissons pour renaitre à nouveau après la mort. L’énergie recyclée. Je ne sais pas où on va quand on meurt mais je pense que notre énergie est transférée à meilleur escient.
Revenons à l’album. Pendant l’enregistrement de Holy Waters, il y a eu beaucoup de jam sessions. Est-ce que le fait d’enregistrer avec le groupe efface cette peur de la solitude en toi grâce aussi à cette amitié que tu as envers eux ?
Oui c’est magnifique. Je ne les utilisais pas vraiment sur les albums que j’ai fait avant, c’était juste pour les concerts qu’on se retrouvait. Cette fois-ci, on a eu le temps de se connecter à travers les compositions dès le premier jour plutôt qu’en tournée. Quelques-uns de mes meilleurs souvenirs, en rapport avec la musique, sont nés au moment où l’on a enregistré ensemble cet album. C’était tellement plaisant de pouvoir s’affronter comme ça et d’avoir cette alchimie entre nous. Nous sommes comme des frères.
Comment vous êtes vous rencontrés ? Ça fait longtemps que vous jouez ensemble ?
Depuis 2016. J’ai rencontré Elis, mon batteur, à l’école de musique quand j’avais 16 ans. J’ai ensuite rencontré Harvey, qui est au saxophone et au piano, à l’université quand j’avais 19 ans. Je l’ai vu jouer du saxophone pendant un concert et je lui ai demandé s’il voulait se joindre à mon groupe. J’ai su plus tard qu’il jouait de la clarinette et qu’il ne savait pas jouer du sax. Après que je lui ai demandé, il est rentré chez lui afin d’apprendre le saxophone pour être prêt lors des répétitions. Enfin j’ai rencontré Cameron à un de ses concerts avec un autre groupe beaucoup plus tard, ça devait être en 2022. Il m’a impressionné et j’ai tout de suite su qu’il était parfait pour le groupe. Puis nous sommes tous devenus amis.
Tu as travaillé aussi avec Loyle Carner et Biig Piig. Qu’est ce que travailler avec eux t’a apporté et que penses-tu d’eux ?
Je les aimes tous les deux. Ils ont d’incroyables grands cœurs et sont encore plus gentils et charmants que l’on ne pourrait l’imaginer. Ils sont très vrais, ont la tête sur les épaules et sont d’incroyables paroliers. On a travaillé de manière différente : avec Ben (Loyle Carner ndlr), je travaillais dans la même pièce ; alors qu’avec Jess (Biig Piig ndlr) on travaillait séparément bien qu’on traîne souvent ensemble. Je lui envoyais ce que je composais. Donc très différent. Quand tu travailles avec quelqu’un sur leur projet tu évacues quelque chose de ton système. Quelque chose que tu aimes par rapport à la musique, tu l’exorcises quand tu travailles sur les compositions d’autres personnes. Et quand il est temps de travailler sur tes propres projets, tu sais un peu plus ce que tu veux vraiment dire et tu es prêt à en faire une déclaration artistique.
Tu me parlais tout à l’heure de ta compagne. Tu l’as rejoins pour vivre avec elle à Atlanta. Quel est l’impact de cette ville sur toi ?
Avant que je déménage, on était en relation à distance. C’est donc plus sur mon premier album que je parle du fait de tomber amoureux d’elle et de se voir par exemple deux semaines puis ne plus la voir pendant des mois. Alors que pour cet opus – avec par exemple la chanson « Pretty » qui parle d’elle – il y a cette phrase où je dis qu’il est dur de faire confiance au gens autour de toi dans une ville. Il y a des standards de beauté stricts impossibles à retrouver en campagne où j’ai d’ailleurs grandi. C’est une pression de se sentir beau. Et dans ces paroles, je lui dis que je lui fais confiance quand elle m’affirme que je suis magnifique, que je l’entends. Alors que quand je suis ailleurs, je me sens plutôt laid et j’ai l’impression que tout ce qui m’entoure reflète ce sentiment.
Quand je lis tes paroles, j‘y vois beaucoup de spleen, on pourrait presque te comparer à Baudelaire. Je me suis donc demandé qu’elle était ton lien à l’écriture ?
C’est une question intéressante. J’écris tout le temps. C’est rare que j’écrive des paroles, normalement j’écris plus des poèmes. Puis de temps en temps quand on travaille sur une chanson, j’écris spécifiquement pour cette chanson. Mais d’habitude j’écris des poèmes au moins une fois par semaine. J’essaye d’écrire sur des choses qui sont arrivées autour de moi comme le spleen dont tu parlais, la vie de tous les jours, ou juste mes sentiments. En général, ils sont assez longs si on les compare à mes chansons. Quand il s’agit de musique, parfois je reviens vers mes poèmes pour emprunter et me réapproprier certains vers.
Est-ce qu’on aura le droit un recueil de poèmes ?
J’espère. J’adore lire de la poésie comme celle de Frank O’Hara, Sylvia Plath ou encore Charles Bukowski et Jean Cocteau. Donc j’aimerais beaucoup publier mes poèmes mais séparément de ma musique.
Tu me parles de Jean Cocteau, et j’ai lu qu’un de tes rêves était de réaliser un film, est-ce toujours le cas ?
Oh oui, complètement. Quand je fais des clips c’est presque comme si j’atteignais ce rêve. J’aime tellement le cinéma. Je lis d’ailleurs le journal intime de Jean Cocteau en ce moment, quand il travaillait sur le film La Belle et La Bête (1946). On découvre que le tournage était compliqué mais qu’il était satisfait tout de même du résultat final. C’est très inspirant.
Dernière question, quelle musique aimerais-tu que l’on diffuse à ton enterrement ?
Elle est dure celle-là. Je ne pense pas tant que ça à mon enterrement car ce n’est pas vraiment pour moi mais pour les gens qui y seront, c’est plus leur enterrement. Car je ne serai plus là. Donc ceux qui y seront peuvent apporter ce qu’ils veulent afin de se consoler. Peut-être qu’ils joueront ma musique ou de la musique que j’aime comme celle de Jeff Buckley. Il s’agit plus de choisir quelque chose pour que les gens se rappellent de vous. Je n’aimerais pas les rendre trop triste. Je dirais « Videotape » de Radiohead car j’aime cette phrase où il chante : « because I know today has been the most perfect day I’ve ever seen ». C’est la vie même.