Une tempête s’abat sur Paris et charrie avec elle de mystérieux « nouveaux venus ». Avec ce premier roman, Adèle Gascuel propose une intrigue simple dans un style matter of fact aussi efficace que drôle.
C’est le branle-bas de combat. Les plus beaux monuments de Paris sont menacés, la tour Eiffel en premier lieu. Mais l’Élysée et la mairie n’ont plus le temps de sauver les édifices, il faut d’abord sauver les meubles. Une tempête historique doit frapper la capitale dans six jours. Tandis que le le gouvernement agite « bras et jambes pour se montrer à la hauteur de l’évènement », les architectes griffonnent « des projets pour un Paris en ruine ». La tempête enfin achevée c’est la sidération : des nouveaux venus apparaissent subitement dans la ville lumière. Qui sont-ils ? Que veulent-elles ? Ils construisent des campements de fortune et se mettent à « frotter » frénétiquement ce que les parisien·nes abandonnent (vieux frigos, tôles oubliées, bout de plastique cabossés).
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Les nouveaux venus a vu le jour dans le sillon d’une résidence d’écriture. L’équipe de recherche-création PARVIS de l’Université Gustave Eiffel, spécialisée dans l’étude des villes et des processus d’urbanisation a proposé à Adèle Gascuel d’écrire sur les représentations urbaines du futur. La dramaturge, qui travaille entre la Normandie (avec les Compagnons butineurs) et Lyon (avec la Cie des 7 sœurs en plus de s’être formée au Conservatoire et à l’ENS de la Cité des Gones), a choisi la capitale comme terrain de jeu romanesque. Il est vrai qu’aucune autre ville de France ne concentre autant de personnalités politiques, médiatiques et autres influenceurs à tourner en ridicule, l’air de rien, avec l’intelligence de l’ironie. Le temps d’un roman, l’autrice transforme Paris en un microcosme tantôt drôle tantôt inquiétant, miroir de notre présent.
La mairie de Paris avait décidé de faire retentir les sirènes de la ville pendant toute la durée de la tempête. Il n’y avait pas d’urgence atomique ni de fuite de gaz mais, si on attendait un miracle, on ne se servirait jamais de ces sirènes. Ça coûtait de l’argent de les entretenir depuis la dernière guerre mondiale et c’était l’occasion d’un peu de folklore. La préfecture salua cette initiative.
Adèle Gascuel, Les nouveaux venus
Ancré dans le présent et le futur
Toutes les personnalités qui s’agitent dans la fiction, s’agitent aussi dans la réalité. La frontière entre anticipation et satire actuelle est très fine. Dans le roman, Gérald Darmanin a quitté son poste de ministre de l’Intérieur pour se recycler comme animateur de « la nouvelle émission à succès « De cette société-là, on n’en veut pas » sur France 2 ». Le milliardaire Elon Musk veut quant à lui « jouer à Batman dans les tornades ». Le youtubeur Squeezie « alors en perte d’audience », poste une vidéo des nouveaux venus qui fait « l’effet d’une bombe ». Enfin, Marlène Schiappa, « ancienne ministre reconvertie dans le business du strip-tease de luxe », sort pour l’occasion un spot publicitaire promotionnel post-catastrophe à Paris. Bref, tout ce petit monde profite et commente les faits et gestes des nouveaux venus, ne sachant où donner de la tête.
Tout ceci est suivi de loin par Adeline, narratrice bien effacée du roman. Adeline travaille à l’agence France travail pour les demandeurs d’emplois, métier qu’elle exerce sans passion ni dégoût. Elle se définit volontiers comme neutre, à l’image de la « Suisse » précise t-elle. Ses sentiments sont, de son propre aveu, totalement « anesthésiés ». En réalité elle a peur de ces nouveaux venus qui frottent et s’installent dans tous les terrains vagues de la ville. De quoi sont-ils la métaphore ? Des réfugié·es ? De véritables extraterrestres ? Adèle Gascuel ne tranche jamais, refusant le didactisme et lui préférant l’humour. Elle décrit peu à peu l’étau qui se resserre autour d’eux, pourchassés notamment par une milice répondant au nom des « craintifs ». On pense au Maus (1980-1991) d’Art Spiegelman ou au Matin Brun (1998) de Franck Pavloff : se servir de métaphores pour décrire des situations politiques. Une véritable chasse du chat et de la souris s’opère dans toute la ville.
Représentations urbaines du futur
En plus d’être très concrète dans ses références aux personnalités françaises et internationales (Jul, Aya Nakamura, Rihanna et Beyoncé y vont aussi de leur petit commentaire de la situation), Adèle Gascuel respecte à la lettre le contrat de départ d’imaginer ce que pourrait être une ville du futur. À grands renforts de plans d’aménagements, de murs végétalisés et de boboïsation des espaces urbains, elle réhabilite des quartiers tout en retraçant l’histoire de certains autres. Sur le « flanc ouest de la montagne Sainte-Geneviève » par exemple, ressurgit le fantôme du « terrible château de Hautefeuille » potentiellement détruit aux alentours du XIIème siècle. Dans le futur, à Porte de la Chapelle, est aménagé « un joli parc, des bureaux et des logements écoresponsables », tandis que Porte Maillot c’est « une forêt suspendue à une pyramide de verre » qui est construite. Le tout pour gentrifier des lieux dans lesquels les nouveaux venus n’ont plus leur place.
Pour éclairer les débats fictifs autour des notions de propriété et d’habitat moderne, sont aussi convoquées quelques figures intellectuelles. Nastassja Martin, Aurélien Barrau et Vinciane Despret apportent leur petite pierre à l’édifice sans grand succès. Et puisque science sans conscience est déconseillée depuis quelques siècles déjà, la romancière se moque également des besoins technologiques futurs qui finissent par nous traquer avec leur sens moral à toute épreuve. Cela donne des passages très drôles :
Le frigo bipait d’angoisse au moindre yaourt périmé. La lampe du salon clignotait en rouge et appelait les pompiers sitôt que quiconque trébuchait sur le tapis familial. L’aspirateur connecté effectuait ses tours de garde, glissant silencieusement à travers les couloirs. Même le lit tenait le compte des heures de sommeil profond de ses occupants et rappelait dès leur réveil de sa douce voix artificielle que grincer des dents la nuit n’était pas recommandé et qu’il leur avait pris un rendez-vous sur Doctolib pour le mardi après-midi suivant.
Adèle Gascuel, Les nouveaux venus
Entre comique de situation et comique de mœurs, Adèle Gascuel étonne avec ce premier roman. Il est parfois difficile de savoir sur quel pied danser, l’ironie remplaçant l’horreur, elle-même effacée par l’absurde. On pourrait croire qu’en écrivant un roman, Adèle Gascuel aurait laissé de côté sa plume de dramaturge. Mais c’est un petit théâtre du monde qu’elle livre sous forme de prose.
Les nouveaux venus d’Adèle Gascuel, éditions Hors d’atteinte, 224 p., 17€