LITTÉRATURE

« l’amour » – La vie ordinaire

l'amour
éditions Gallimard

Avec ce texte court et son idée très simple – raconter la vie des gens, la vie normale, celle qui n’est pas spectaculaire – François Bégaudeau déploie une vision de l’amour d’une beauté émouvante.

Pour comprendre l’amour, il faut se souvenir de toutes les images de l’amour, justement, que l’on nous a mises en tête durant l’enfance ou après. Il y a l’amour dans les comédies romantiques, les amours impossibles, ceux condamnés par la morale, l’amour qui passionne, celui qui sauve la vie. Dans tous les cas, l’amour est un drame ou un miracle. C’est toujours quelque chose de grand, de merveilleux, presque fantastique. Quelque chose de romanesque. Avec le temps, nos représentations deviennent des clichés. C’est ici que vient se nicher l’amour, le roman de François Bégaudeau. Il façonne de nouvelles images.

Tout commence avec Jeanne, une adolescente de l’Ouest de la France. On est dans les années soixante dix. Certains soirs de semaine, elle s’en va au gymnase pour faire des ménages avec sa mère. Ça lui permet de se faire un peu d’argent de poche. Pendant qu’elles nettoient, il y a entraînement de baskets à quelques mètres de là. Pietro est le plus beau des joueurs, celui que Jeanne a remarqué. Chaque semaine elle s’en va nettoyer avec l’espoir de lui adresser la parole. Un jour, elle le suit jusqu’à chez lui et dépose une lettre anonyme dans sa boîte aux lettres.

Si nous étions dans un roman ordinaire, diverses péripéties mettraient à l’épreuve la passion de Jeanne. Et puis un jour, elle rencontrerait Pietro. Sauf qu’un jour, alors qu’elle travaille à la réception d’un hôtel, Pietro demande une chambre. Il couche avec la femme du vétérinaire. Pendant ce temps-là, Jeanne fait la rencontre de Jacques. Il refait le restaurant de l’hôtel avec son père. Le jeune homme embrasse Jeanne un jour qu’ils promènent son chien. Et puis il n’est plus jamais question de Pietro.

Juste la vie

L’exercice a l’air simple, il est vertigineux. Quatre-vingt-dix pages pour déployer l’amour. «  J’ai voulu raconter l’amour tel qu’il est vécu la plupart du temps par la plupart des gens : sans crise ni événement », décrypte l’auteur en quatrième de couverture. L’auteur, qui a longtemps œuvré comme critique de cinéma, nous livre un film d’atmosphère, version littérature. Le roman n’a pas d’intrigue. Jeanne et Jacques emménagent ensemble, se marient, ont un premier enfant. Ils connaissent les tics et les tocs de l’autre. S’en agacent parfois, s’en amusent souvent. Aimer ce n’est pas toujours être passionné, c’est prendre l’habitude de l’autre. Voir son corps épouser les formes du sien et sentir ses petites manies dans l’espace que l’on habite.

« Avec le temps, comme les amis de l’un sont les amis de l’autre, les sorties personnelles se font rares. Les sorties tout court. Les téléphones sont à touches, les bouteilles de soda en plastique, les mouchoirs en papier, les têtes d’hommes nues, les machines à coudre envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau. »

François Bégaudeau, l’amour

Jeanne et Jacques grandissent et vieillissent dans l’ouest de la France qui a vu grandir leur auteur. Avec un art de l’ellipse impressionnant – c’est le paysage autour des personnages et les objets qui viennent souligner les époques -, Bégaudeau raconte la France d’hier. La France des villages et des bourgs, pas celle fantasmée par les réactionnaires, simplement la France des gens ordinaires. La France de ceux qui n’ont pas fait de longues études et qui ne montent pas à Paris pour avoir un destin extraordinaire. L’amour des classes populaires. Raconté sans surplomb ni emphase. Dans L’Obs, l’auteur le dit lui-même, très bien : « Je voulais rendre justice à cette beauté-là ».

À l’heure où les romanciers – et surtout les romancières – explorent les nouvelles modalités du jeu amoureux, le texte s’impose comme un ovni. Pas tout à fait politique, mélancolique sans être conservateur, à mille lieues des réflexions déployées par les débuts de #MeToo mais traitant des mêmes thèmes, l’amour est un continent de douceur. Une photographie délicate d’une époque, de la vie.

l’amour de François Bégaudeau, éditions Gallimard, 14,50 euros.

Journaliste

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