Après un été à décortiquer toutes les nouveautés qu’offre la rentrée littéraire, voici une sélection des plus gros coups de cœur de la rédaction de Maze. Morceaux choisis.
En cette rentrée, on l’a dit, les nouveautés littéraires se tournent largement vers le désir. Le désir d’être libre, de vivre sa vie comme on l’entend, d’aimer qui l’on veut, d’être dans le corps que l’on souhaite. Le désir de quitter son pays parfois, ou au contraire de rester toute sa vie dans la même petite ville, de laquelle on ne s’éloignera jamais vraiment. Du désir et des pages. Mais qu’en est-il du désir des lecteurs ? Pour vous aider à vous repérer dans les étalages foisonnants des librairies – un peu moins de 500 nouveautés cette année, tout de même – voici une petite sélection des plus gros coups de cœur de la rédaction littérature de Maze. En espérant que le désir sera au rendez-vous.
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Pauvre folle de Chloé Delaume
Lancée sur les rails, Clotilde Mélisse décide de fourailler dans son esprit pour examiner ce que ses expériences passées disent de son rapport à l’amour et de sa confusion avec l’emprise. Alors qu’elle est enfant, son père assassine sa mère sous ses yeux avant de se suicider. Le choc traumatique est indéniable. Mais Clotilde Mélisse use des mots, depuis sa petite enfance, pour rester en vie. Dans ce journal de bord autofictionnel, Chloé Delaume livre une réflexion nécessaire sur la sentimentalité hétérosexuelle alors que la narratrice, à la suite d’une longue période d’abstinence, est rattrapée par une histoire d’amour avec un homme gay. Son constat ? Elle reste tenaillée par une dissonance cognitive – elle hait les hommes autant qu’elle les désire. Entre introspection psychique et incantation magique, Pauvre folle use d’une écriture de la chair pour décrire le désir qui échappe, la sororité qui réchauffe et le travail qui canalise.
Marie Viguier

Nevada de Imogen Binnie
Maria est névrosée, certes, mais pas plus que n’importe qui. Elle est névrosée comme n’importe quelle presque trentenaire new-yorkaise, prise en étau entre une relation de couple qui bat de l’aile et une vie lancée à mille à l’heure dans une ville en cours de gentrification. Bref, Maria est névrosée, mais pas parce qu’elle est trans. En fait, elle aimerait pouvoir oublier cinq minutes le fait d’être trans : devoir se raser le matin, avoir peur que son matos ne se voit si elle porte des jupes, sa piqûre tous les quinze jours. Un jour, ça ne va plus avec sa copine, Steph, alors Maria lui emprunte (vole) sa voiture et s’élance à travers les États-Unis. Premier roman culte de la littérature trans américaine, chaque page de Nevada est un régal. Si l’autrice n’essaie pas de parler au grand public – ras le bol de cette littérature autobiographique trans visant à rassurer les cisgenres -, elle dresse le portrait génial et drolatique d’une jeune femme bien de son temps. Ou comment le récit de soi touche du doigt l’universel.
Emma Poesy

Mary de Anne Eekhout
C’est entre Cologny (Genève) en 1816 et Dundee (Écosse) en 1812 que navigue le roman Mary. Navigue ou divague c’est selon. Comme le savant Victor Frankenstein qui donnait naissance à sa créature, Anne Eekhout redonne vie à Mary Shelley dans une intrigue à mi-chemin entre la réalité historique et le fantasme. Il fallait bien un roman pas tout à fait terre à terre pour rendre hommage à la mère du fantastique. Deux Mary se font face dans le livre : la mère qui désire plus que tout écrire et l’adolescente qui désire à la folie sa jolie amie Isabella. Au moindre grincement de parquet, au premier flanchement de la flamme d’une bougie on sursaute, en halène et déstabilisé : où commence l’imaginaire ou s’arrête le réel ?
Anaïs Dinarque

L’unique objet de mon regard d’Aurélie Lacroix
Célibataire et indépendante, la narratrice se consacre à l’écriture d’un roman dédié à son histoire d’amour. Cette première passion avec celle qu’elle désigne par son initiale (E.) est pareil à un extraordinaire événement météorologique, frénétique et dévastateur. Aurélie Lacroix met des mots sur ce qu’un cœur brisé peut faire endurer et partage les expériences esthétiques qui ont jalonnées ce parcours. Ainsi, la vie et l’art se tiennent par la main. Dans son écriture, l’écrivaine ne sépare jamais les moments de vie des œuvres qu’elle a découvertes et qui ont éclairé ce qu’elle endure. Et, si nous pouvons lire cette histoire, c’est peut-être que la douleur a pu trouver une place, suffisamment supportable, qui permette à nouveau de percevoir les lucioles (chères à Pasolini) qui scintillent dans la nuit.
Marie Viguier`

Les nouveaux venus d’Adèle Gascuel
Paris est sur le point d’être détruite par la tempête du siècle. Alors que sonnent la sirène d’alarme, les plus riches se réfugient dans leur maison de campagne tandis que les plus pauvres se barricadent derrière les vieilles façades haussmanniennes. Une fois le tourbillon passé, un autre problème surgit : des « nouveaux venus » peuplent la ville et la bousculent. Premier roman surprise de cette rentrée littéraire, Les nouveaux venus amuse par son ironie. Chez Adèle Gascuel la dystopie prend des airs de présent puisque les figures médiatiques contemporaines se bousculent au portillon.
Anaïs Dinarque

La Foudre de Pierric Baily
Il s’appelle Jean, mais tout le monde l’appelle John. C’était le nom de son grand-père, lui aussi berger de profession. John mène une petite vie tranquille, jusqu’au jour où il reconnaît le visage d’Alexandre dans les journaux régionaux. Son ancien ami de lycée, un garçon différent des autres, solaire et fascinant, a tué un jeune homme d’un coup de planche. Un chasseur. Alexandre était vétérinaire. Voulait sauver chaque vie. John recontacte Nadia, fille du lycée et compagne d’Alexandre. À partir de ce fait divers aux allures anecdotiques, Pierric Bailly tisse sa toile et offre avec La Foudre, un récit à la fois simple et obsessionnel. Impossible de décrocher avant d’être allé au bout des quatre cent pages que compte le roman.
Emma Poesy

Adieu Tanger de Salma El Moumni
Les femmes ne possèdent jamais rien, et surtout pas leur corps. C’est la leçon que retient Alia, depuis les rues de Tanger, la ville qui l’a vue naître et grandir. Lycéenne, elle traîne avec un autre élève, Quentin. Il est différent. Il ne vient pas du Maroc, c’est un expatrié. Ils trainent ensemble dans les cafés pour expatriés, elle fume des cigarettes à ses côtés alors que c’est interdit. Plus tard, Alia se prend en photo, nue, pour mieux voir. Voir son corps, celui qu’on ne lui autorise pas. Avec ce premier roman, Salma El Moumni raconte, dans une langue ensorcelante, le poids des regards que l’on pose sur les femmes. L’injonction à la pureté, la certitude de n’être jamais suffisamment vertueuse, le mépris qui s’imprime dans les regards et se traduit dans le rapport aux autres. Le traumatisme qui continue à vous suivre, même dans un autre pays, même des années après.
Emma Poesy

Plus jamais de Megan Nolan
Une histoire d’amour qui se transforme en une histoire de haine : classique ? Avec ce tout premier roman, l’irlandaise Megan Nolan s’intéresse à l’amour dans ce qu’il a de plus passionnant et de plus diabolique. La narratrice, anonyme, aime à la folie Ciaran au point de s’enfermer avec lui dans une bulle hermétique. Lorsque l’asphyxie est sur le point de l’éteindre, c’est le sursaut. Plus jamais est le récit résolument contemporain d’une histoire éternelle et tristement banale, écrite avec une plume fluide et acérée.
Anaïs Dinarque

l’amour de François Bégaudeau
C’est une histoire simple et sans aspérités. Jeanne est une jeune fille et avec sa mère, elle fait des ménages dans le gymnase où Pietro joue au basket. Elle est amoureuse. Lorsqu’elle travaille à l’hôtel, plus tard, son amant imaginaire loue chaque semaine une chambre pour coucher avec la femme du vétérinaire. Un jour qu’elle promène le chien avec Jacques, qui fait les travaux dans l’hôtel, il l’embrasse. C’est simple comme tout, ce n’était pas prévu. Ils emménagent ensemble, deviennent Jeanne et Jacques Moreau, les Moreau qu’on les appelle. Grandissent et vieillissent ensemble dans les pays de la Loire dans les années soixante-dix, ne s’entendent pas parfaitement mais ne se déchirent pas vraiment non plus. Juste la vie. C’est beau, simplement beau.
Emma Poesy
