CINÉMA

« Rendez-vous à Tokyo » – Valse douce-amère à contresens

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Même pendant les vacances, les sorties cinéma se poursuivent. Rendez-vous à Tokyo signé par le japonais Daigo Matsui, fait partie de cette cuvée estivale. Le long-métrage est sorti le 26 juillet en salles, clin d’œil à cette date un peu spéciale, motif récurrent du film.

Un 26 juillet. Teruo se réveille dans son petit appartement de Tokyo. C’est son anniversaire. Pour Yo, chauffeuse de taxi c’est un jour comme les autres, peut-être un brin maussade. Ce jour-là, Teruo et Yo semblent être deux étrangers dans la même ville. Pourtant, le 26 juillet dernier, ils se quittaient. Celui d’avant, ils s’enlaçaient tendrement. L’année précédente, ils s’embrassaient pour la première fois. Rendez-vous à Tokyo est une histoire d’amour dans laquelle l’intrigue n’est plus, pour une fois, dirigée vers l’avenir des personnages. Avec ce drame composé de fragments, tout se joue dans la curiosité du spectateur et du cinéaste à aller chercher des évènements passés, en remontant dans le temps.

Le film vient s’ancrer dans une répétition. Sa structure même est répétition. Ce train-train routinier que l’on retrouve d’année en année, qui ne bouge pas, ou presque. Teruo se réveille, son appartement déjà baigné de lumière, le calendrier numérique annonce le 26 juillet. Il se lève, brumise ses plantes, son visage, nourrit le chat. Ces habitudes, si simples, mais qui créent un cocon de sécurité pour le personnage et le spectateur. Comme l’illusion apaisante de stabilité dans le temps. Rendez-vous à Tokyo n’est plus une intrigue, mais une curiosité. Curiosité anthropologique, comme un sondage millimétré, le film ne cesse de chercher réponse dans le passé, le même jour sur sept années, pour Yo et Teruo. Le parti pris structurel du scénario fait sens et en fait par le même biais son originalité.

Anatomie d’une routine

Daigo Matsui dissèque les habitudes de ses personnages, il les analyse. La broche que Teruo s’attache dans ses cheveux au début du film devient plus tard ce cadeau précieux offert par Yo, trois ans plus tôt. La naissance, l’essence et la valeur des choses apparaissent plus tard, comme des pièces d’un puzzle qui désormais s’emboitent. Derrière ses apparences de film à l’eau de rose, Rendez-vous à Tokyo s’avère être un réel casse-tête, que le spectateur se plait à résoudre. La danse devient leur danse, le chat devient leur chat. Un hommage juste et nécessaire à ces petites choses, objets et rituels porteurs de temps et de souvenirs. Le film est une madeleine de Proust, une poupée russe dirigée vers la naissance des choses qui comptent, vers l’amour. Daigo Matsui apporte à la nostalgie un sens nouveau. Ici, loin d’être nocive, la nostalgie est une chouse douce. Elle crée une forme de respect, donne de la valeur aux souvenirs et de l’importance à la mémoire.

Le changement ne cesse d’échapper au spectateur. Le constat est amer. Plus le film passe, plus le spectateur se rend compte de la beauté des souvenirs qui étaient, de l’alchimie disparue entre Teruo et Yo. Tout en se remémorant la fin inévitable qu’il connait déjà. Comme réconfort, seule échappatoire que nous propose le cinéaste : nous amener vers les débuts de cette tendresse passée, de ces désormais deux étrangers. Alors le spectateur vient revisiter comme une errance douce les souvenirs passés. Le réalisateur choisit d’en faire partie intégrante du film. Le dispositif même du film est d’explorer l’évolution décroissante des personnages. Le spectateur dégaine sa loupe, inspecte et constate les variations de cette journée au fil des années. Celui-ci, trop souvent habitué à se laisser guider par la narration, se retrouve ici à décortiquer l’image, observer les détails sur lesquelles l’œil passerait outre autrement.

Daigo Matsui nous force à ressasser le passé pour nous convaincre finalement que cela n’est pas si grave. Que le présent n’existe pas seul. D’une grande simplicité technique, le film ne prétend pas au grandiose. Sa beauté réside dans son minimalisme, son efficacité. Le titre original, Je viens juste de me souvenir, rend mieux hommage au propos du film. Plus besoin de séances de thérapie hors de prix, Daigo Matsui nous propose la recette miracle avec Rendez-vous à Tokyo. Et forcément, la place de cinéma nous semble d’un coup moins chère.

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