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Rencontre avec Théo Plantefol : « Le monde dans lequel nous vivons ne laisse que peu de place au rêve »

© maelstrÖm reEvolution
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Théo Plantefol publie Songes habitables, son premier recueil de poésie, aux éditions maelstrÖm reEvolution. Des poèmes puissants et porteurs d’espérance, qui donnent beaucoup à voir.

Théo Plantefol est un juke-box ambulant. Quand on lui parle, des citations de ses auteurs favoris fusent sans arrêt. Il est habité par leur poésie. Et il est très désireux de nous inviter à partager cet état d’éveil, d’alerte permanent. La poésie est pour lui une véritable manière d’être au monde, autant qu’un outil humaniste, ou la source des plus grands plaisirs. En discutant de ses textes, on s’intéresse autant à ce qu’il fait qu’à ce qui le fait.

Est-ce que le poète vit dans le rêve  ?

Dans le premier Manifeste du surréalisme, André Breton mentionne une anecdote à propos de Saint-Pol Roux. Au moment du coucher, ce dernier faisait placer sur la porte de sa demeure un écriteau : « Le poète travaille. » Je pense que l’origine de toute poésie est onirique, mais qu’il est du devoir du poète de donner un corps à cette impulsion. André Breton lui-même déclara plus tard que « l’imaginaire est ce qui tend à devenir réel. » C’est partant de ce postulat que m’est venu le titre Songes habitables : mes poèmes, autant dans la révolte que dans l’utopique, tendent à transformer la réalité en un songe habitable. Il ne tient qu’à nous de franchir le pas.

Suffit-il de lire ou écouter de tels poèmes pour accéder à cet idéal dont tu sembles parler  ?

D’abord, le poème doit faire rupture. Le monde dans lequel nous vivons, abreuvés de lieux communs et d’illusions, ne laisse que peu de place au rêve  ; notre esprit ne s’autorise plus de détours. Les besoins que la société productiviste nous a créés nous empêchent d’entrevoir la possibilité même d’une issue. La poésie permet d’ouvrir une porte dérobée, une brèche, derrière laquelle tout peut se réinventer – sur un plan amoureux, mystique, politique.

Ensuite, le poème invite à transcender sa propre réalité, à ne pas être seulement spectateur de son existence, mais acteur de son perpétuel changement. C’est un appel à se réapproprier l’imaginaire, et le faire advenir. En cela le poème n’est que la première étape d’une révolution personnelle. La sagesse populaire nous donne déjà cette clef  : c’est en se changeant soi-même que l’on peut espérer changer le monde.

Est-ce que c’est comme ça que cela s’est passé pour toi  ? La poésie t’a rendu le rêve  ?

En quelque sorte. Je me souviens précisément de ma première expérience poétique majeure. Lors de ma deuxième lecture de Capitale de la douleur, le poème L’Amoureuse a éveillé chez moi un sentiment accru d’universalité. J’avais l’impression que le monde pouvait s’arrêter de tourner sur ses deux strophes, que cette captation de l’infini accordait mon être au reste de l’univers. Tout coexistait en un seul fragment. J’ai eu comme la certitude que le partage d’une telle émotion suffirait à garantir la paix. C’est à ce moment-là que j’ai cessé de considérer l’écriture d’un poème comme un simple exercice littéraire : la poésie est devenue une main adelphique capable de relier chacun d’entre nous à la beauté du monde.

Tes poèmes sont très souvent adressés à un autre, qu’il s’agisse de dédicaces ou d’apostrophes. Pourquoi cela  ?

C’est d’abord une habitude. Mes premiers poèmes ont toujours été adressés. J’écris pour. Mon écriture est souvent une manière de remerciement pour une personne aimée, quelqu’un dont j’admire le travail, ou simplement la vie, dans ce qu’elle offre de hautement significatif et d’envoûtant. Le poète Serge Pey, qui fut l’un de mes professeurs à l’université, disait souvent que pour écrire un poème, il fallait le faire comme on écrit une lettre. La lecture de son recueil de nouvelles La boîte aux lettres du cimetière, m’en a apporté la confirmation  : la poésie est avant tout affaire de dialogue.

Dans le cadre de ce recueil, j’ai fait le choix de la portée universelle  ; il me paraissait donc logique que le ton soit celui de l’adresse, de l’invective (de la harangue presque), de l’appel, de la confession, de la célébration. Cela fait partie de la rhétorique du poème  : le discours se construit autour de son lecteur. Dans le même esprit, j’utilise parfois la prosopopée pour donner une parole à ce qui pourrait s’adresser à nous, mais n’en a pas la possibilité. Il s’agit de permettre l’instauration d’un dialogue avec ce que l’on a perdu l’habitude d’interroger. Le chant du poème ne laisse rien dans le silence.

Malgré des sujets assez lourds comme la guerre, l’aliénation, les discrimination, l’oubli, tu cultives un sens de l’humour plutôt bon enfant.

C’est encore un outil rhétorique. La bouffonnerie dans mes textes agit comme un miroir  : j’invite les lecteurs à rire avec moi de ce que je dénonce. L’absurdité d’un texte est toujours moins absurde que la réalité dont je parle. Je ne suis pourtant pas très sarcastique  : quand je me moque, je le fais sans détours, mais toujours avec de l’autodérision. En cela, ce type d’humour est plus fédérateur  : on rit ensemble ou on ne rit pas.

C’est aussi un acte de résistance. L’humour, dans la rupture qu’il opère avec le quotidien, les automatismes, devient un outil de la poésie. C’est le grain de sable dans les rouages qui nous empêche de devenir complètement des machines. Le décalage crée l’altérité, offre la possibilité d’un ailleurs. On prend souvent les poètes pour des fous, mais c’est le privilège des fous d’être libres. Le comique est un renversement.

Tu accordes une place importante aux artistes à la fin de ton recueil : est-ce que tes derniers poèmes sont des hommages ?

Oui. Comme on commençait à le dire tout à l’heure, la poésie permet la rencontre. Et ces poèmes sont autant de ponts tendus entre les imaginaires. J’aime Virginia Tentindo parce qu’elle rappelle que le désir et les passions sont les moteurs de l’âme et de la création. J’aime Jean-Claude Charbonnel car il montre que rien n’est à jeter, qu’il suffit de se rendre disponible au monde pour le réinventer. J’aime Chiara Mulas car avec elle, chaque instant peut devenir un rituel. J’aime Hélène Bessette car elle continue de révolutionner la littérature depuis l’oubli dans lequel on l’avait volontairement précipitée. Les artistes sont les premiers techniciens du songe, dont ils nous ouvrent la voie. La place que je leur ai donnée leur permet d’avoir le dernier mot.

Et si tu devais conseiller trois livres  ?

Le Livre des questions d’Edmond Jabès, qui a été pour moi l’une des plus importantes révélations poétiques. C’est une œuvre qui regroupe sept livres et qui parvient à traverser simultanément, et d’une seule respiration, une profonde réflexion sur l’écriture, la poésie et la quête de Dieu. La forme qu’il invente est encore aujourd’hui inclassable. Récit, poème, théâtre, aphorismes  ? Tout cela à la fois et en même temps tout à fait autre chose. Et la question, bien sûr, qui revient semer les graines d’un chemin de vie dans lequel je me reconnais.

La vraie gloire est ici de François Cheng est l’une de mes références en terme de concision et d’efficacité. La poésie de François Cheng est clairvoyante et a la pureté d’un diamant. Jamais les mots n’ont été aussi bien pesés dans un vers. Tout tient en équilibre entre le Vide et le Tout.

Le rire des déesses d’Ananda Devi  : cette autrice est en train de livrer au monde littéraire une œuvre d’une beauté et d’une violence qui magnifie son propos. Pour moi, son œuvre incarne la parfaite jonction entre la poésie et le roman. Ses livres, en particulier celui-ci, sont des lames affûtées pour trancher les âmes à vif, des cris de révolte contre un monde patriarcal qui détruit tous les individus.

Et après  ?

Un nouveau recueil devrait paraître courant 2024 aux éditions Marsa. Étant également musicien, parolier et compositeur dans plusieurs formations musicales, plusieurs singles et EP sont à prévoir dans les prochains mois. Notamment avec mon groupe de post-hardcore Beyond Lost Season. Je me lance aussi dans la composition d’un album concept autour du travail du poète Serge Pey sur Jérôme Bosch.

Songes habitables de Théo Plantefol, éditions maelstrÖm reEvolution, 56p., 3€

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