Le festival Sirha Omnivore, mettant à l’honneur la jeune cuisine et les progrès gastronomiques souffle en 2023 ses vingt bougies. L’Italie, pays invité, a donc pu côtoyer les différentes éditions du festival dans toute la France. À l’occasion de l’édition célébrant la cuisine du Nord, nous avons rencontré Luc Dubanchet, créateur d’Omnivore.
Sous le haut plafond du Palais des Congrès du Touquet, l’édition Nord de Sirha Omnivore bat son plein. Jeunes cuisiniers, journalistes, critiques culinaires ou amateurs gourmands se pressent pour assister à ce rendez-vous de la cuisine régionale. Au niveau des activités, il y a le choix. Entre masterclasses de grands chefs et pâtissiers, à l’instar d’Alexandre Gauthier ou Flore Spanneut, stands de cuisine colorés et appétissants, et rencontres de tout genre, Omnivore est une bulle gastronomique d’où l’on en ressort un peu plus riches.
Cette année, le partenariat avec l’Italie a vu collaborer des chefs de régions italiennes avec des chefs de régions françaises. Pour l’édition Nord, c’est Alessandro Maniaci (chef cuisinier à l’Osteria del Maiale Nero sur les Nebrodi siciliens), qui se joindra à Ismael Guerre-Genton (chef du restaurant Empreinte à Lambersart), pour un pop-up dinner international. Dans ce joyeux brouhaha, nous retrouvons Luc Dubanchet, fondateur du festival. Il nous parle avec enthousiasme et fierté de son bébé qui quitte les années teens.
Ce sont les 20 ans d’Omnivore cette année. Avec le recul de ces deux décennies, comment appréhendez-vous cette édition de 2023 ? Quelles sont les plus grandes évolutions constatées ?
Quand le festival Omnivore est né, je prenais ma voiture et faisais le tour du pays pour rencontrer les chefs de toute la France. Je voulais savoir ce qu’ils faisaient, connaître leur cuisine. Aujourd’hui, on retrouve toutes ces régions, et certains cuisiniers de l’époque aussi. Donc finalement je retiens une certaine continuité tout au long de ce festival. Omnivore a posé les jalons de la jeune cuisine, de l’inventivité, de comment les chefs pouvaient contourner, transformer et tordre leur territoire. À l’époque c’était avant-gardiste. Personne ne parlait de circuit court, de responsabilité dans l’alimentation. Mais finalement cela se retrouve de plus en plus aujourd’hui, ce qui assure une continuité.
Omnivore voulait défendre un rapport à la terre plus direct que ce qui était la cuisine à l’époque où les produits traversaient la France, le monde même. L’idée de valoriser le territoire, le patrimoine, a été la ligne directrice du festival et je suis heureux de voir que vingt ans plus tard cela soit toujours le cas. Les sujets qui étaient d’avant-garde avant sont très actuels maintenant et cela fait plaisir à constater. La cuisine ce n’est pas uniquement faire plaisir, c’est avoir une approche sociétale de la nourriture.
Quel est l’objectif de ces éditions régionales d’Omnivore et non pas une seule édition centralisée ?
On fait diverses éditions pour voir grandir ces jeunes chefs mais aussi ces idées. L’idée de faire des éditions par région permet aux chefs de ces terres d’avoir un peu plus de visibilité que s’ils devaient forcément aller à Paris. On met donc en avant et on détecte des talents tout en valorisant un patrimoine et une identité régionale. C’est une sorte de casting géant à l’échelle régionale qui nous permet de retenir des noms plus facilement et de les mettre en avant. C’est important de ne pas rester focalisé sur le centre du métier, qui est quand même souvent Paris. Il s’agit de sortir un peu pour voir la diversité et surtout la richesse qu’il y a à simplement quelques kilomètres.
La cuisine ce n’est pas uniquement faire plaisir, c’est avoir une approche sociétale de la nourriture.
Luc Dubanchet
Cette année, il y a eu un partenariat avec l’Italie. Comment cela s’est-il fondu dans votre ligne directrice ?
Nous avions déjà eu d’autres pays et régions invités lors de précédentes éditions, comme le Pérou ou par exemple les Flandres. Avant le COVID nous avions une caravane Omnivore ! Elle partait dans le monde et faisait des sortes de festivals pop-up un peu partout. Nous avons pu en faire à Moscou, Londres, Sydney, Istanbul… Omnivore n’est pas un festival de la french pride, il est d’abord pour l’amalgame, pour les échanges. Avoir des cuisiniers italiens qui sont venus rencontrer les cuisiniers français pendant toute l’année a permis de doubler la richesse du festival. On permet d’éviter un repli sur soi que le contexte sanitaire, économique etc rend malheureusement inconsciemment attrayant.
Coupler les régions d’Italie avec les régions françaises permet de faire rencontrer des régions qui n’ont pas spécialement beaucoup en commun. Mais cela montre que même dans les différences culturelles et régionales il est possible de créer des nuances sensorielles intéressantes. C’est pour cela que nous organisons un dîner entre un chef français et un chef italien. Par exemple, les vins de chaque pays seront associés aux plats de l’autre.
Le fait de se concentrer sur la région permet d’appréhender les questions climatiques. Le kilomètre 0, le circuit court… à une époque où tout est plus facile d’accès, même à l’autre bout du monde. Comment vous situez-vous sur le sujet ?
J’ai moi-même brûlé du kérosène à outrance pour aller rencontrer d’autres chefs et d’autres cultures, tout en promouvant une cuisine régionale et identitaire. Il y a un paradoxe. Désormais, la cuisine est la tête d’affiche de la responsabilité. L’intérêt du festival Omnivore ici est de montrer que l’on peut s’inspirer gastronomiquement parlant sans forcément aller à l’autre bout du monde. C’est possible aujourd’hui en partie parce que les esprits ont bougé. Le digital aide et il y a une ouverture à la sensibilisation et à la prise de conscience sur la provenance des aliments. La polysémie culturelle peut simplement se trouver à l’échelle d’une région. Après le COVID, beaucoup de personnes ont quitté les villes pour la campagne. Cela a permis l’émergence de lieux gastronomiques fantastiques hors des centres urbains.
Le fait de prôner la cuisine jeune, était-ce un choix évident pour vous ?
Cela m’a semblé vital à l’époque. Je me suis dit que si on ne créait pas un festival de ce type, on allait perdre une génération. On allait laisser au second plan toute une panoplie de jeunes talents. Des jeunes cuisiniers qui auraient pourtant toute leur place sur le devant de la scène culinaire.
C’est important de régénérer. Il faut toujours rebattre les cartes et ne pas seulement se préoccuper de ce qui est déjà installé. L’entre-soi est dangereux et bloque surtout une relève qui pourrait créer une dynamique d’entraide et d’inspiration entre deux générations. Je suis pour qu’Omnivore soit un accélérateur de notoriété pour la cuisine jeune et actuelle. C’est comme ça que nous aurons un tissu de restauration à l’échelle de la France qui sera à nouveau très développé.
Je suis pour qu’Omnivore soit un accélérateur de notoriété pour la cuisine jeune et actuelle.
Luc Dubanchet
Quelle sera la prochaine étape pour les éditions suivantes ?
Tout d’abord pérenniser les belles choses que nous avons faites durant ces vingt ans. Un festival est en perpétuelle transformation, on l’optimise au maximum, il gagne en maturité. Et célébrer dignement ce que nous avons construit en mettant à l’honneur celles et ceux qui ont fait du festival Omnivore ce que l’on peut voir aujourd’hui ! Nous sommes, encore maintenant, le seul festival de ce type. Il s’agit donc de le consolider, de le réaffirmer, et de l’étendre davantage. Ce sont de belles scènes, avec beaucoup de partage, un regard ouvert sur la gastronomie, et cela vaut le coup de s’ancrer encore plus.
Et puis faire la fête pour les vingt ans aussi !