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« Blue Flag »  – Vers la découverte de soi

© Kurokawa éditions

Paru pour la première fois en France en 2019, Blue Flag connaît un nouveau succès dans l’Hexagone. Il narre avec réalisme l’histoire de quatre adolescents qui, l’année de leur terminale, explorent des sentiments ambivalents.

Des sentiments naissants dans la moiteur de l’été, alors que les nuages s’amoncellent et que la pluie menace. Quatre adolescents, deux garçons et deux filles, sont vêtus de leurs éternels uniformes de lycéen. Derrière eux, le bâtiment gris du lycée où se joue le cœur de la vie adolescente. Le décor de Blue Flag est planté. Paru au Japon en 2017, puis en France entre 2019 et 2020 aux éditions Kurokawa, ce manga signé Kaito raconte l’histoire d’un groupe d’amis de Terminale qui, au printemps de leur dernière année de lycée, voient leurs relations changer. Depuis un an, cette série publiée en huit tomes connaît un nouvel essor dans l’Hexagone, à la faveur de critiques plus que positives sur les réseaux sociaux.

D’apparence pourtant, l’intrigue est banale. Taichi Ichinose, un adolescent frêle et complexé, se retrouve dans la même classe que son ami d’enfance Touma Mita, surnommé Tôma. Ce dernier est son opposé. Il est grand, athlétique, populaire et, surtout, il plaît aux filles comme la timide Futaba Kuze, qui pour se rapprocher de lui va solliciter l’aide de Taichi. Si le jeune homme est d’abord réticent voire désagréable avec elle, la meilleure amie de Futaba, Masumi Itachi, ne l’entend pas de cette oreille et compte bien protéger son amie des deux adolescents. Les quatre lycéens vont alors constituer un groupe insolite et explorer différentes émotions. La joie, la colère mais aussi, bien sûr, l’amour.

Vulnérables

Tout pourrait laisser croire à un dénouement classique. Les mangas, surtout ceux dont l’intrigue se déroulent en milieu scolaire, affichent toujours les mêmes codes narratifs bien ancrés. Certains sont mieux écrits que d’autres, aucun ne révolutionne jamais le genre. Si Blue Flag était un manga ordinaire, l’intrigue se serait déroulée ainsi : Futaba tomberait finalement amoureuse du grincheux Taichi et Masumi, sa meilleure amie, céderait au charme du parfait Tôma. Sans révéler la fin l’histoire, disons qu’elle est en vérité, bien plus complexe. Les quatre protagonistes sont loin de correspondre aux clichés ressassées à longueur de mangas. A commencer par les deux garçons, Taichi et Tôma. Le premier ne comprend pas pourquoi son ami d’enfance continue de s’intéresser à lui alors qu’il est le héros du lycée. Surtout que Taichi, à l’inverse, n’a pas grand chose pour jouer en sa faveur. Au delà du fait qu’il est petit et frêle, il est mal à l’aise socialement et n’a que peu de centre d’intérêts, si ce n’est jouer au jeu vidéo avec ses amis.

Pourtant Tôma avec son sourire communicatif et sa gentillesse désarmante, passe son temps à lui courir après et à le fréquenter. L’auteur dévoile deux personnages masculins dotés de sensibilité et de vulnérabilité. Capables de pleurer comme de faire preuve d’amour l’un envers l’autre, ou pour leurs camarades Masumi et Futaba. Deux jeunes garçons qui ont des sentiments et les expriment naturellement. Sans passer par un moment d’action épique, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’ouvrages. C’est rare, voir carrément inexistant dans les Shonen, catégorie de mangas virile et réservée à un public masculin. Cette justesse dans l’écriture des personnages emporte le lecteur.

Homosexualité

Parce que si Blue Flag a tout d’une romance de Shojo (le genre réservé à un public féminin), il aborde des thématiques plus profondes qu’une simple bluette entre adolescents. Le lecteur le comprend dès la fin du tome 1, lors d’une interaction entre Masumi et Tôma à propos de leurs deux meilleurs amis respectifs. Avec subtilité, l’auteur fait comprendre que la belle Masumi, avec ses longs cheveux noir et son charisme naturel, aime sans doute la douce Futaba plus que comme une simple amie… Et que le même scénario est valable pour Tôma envers Taichi.

Le questionnement sur l’homosexualité très bien amené, avec des interrogations et actions de ces deux personnages que personne ne soupçonne de pouvoir aimer leurs amis. Eux à qui tout réussit, eux qui sont les jeunes populaires voués à un bel avenir. On est tristes pour la jeune Masumi qui regarde son amie Futaba se triturer l’esprit pour séduire Tôma pendant qu’elle se force à fréquenter des garçons qui la laissent indifférente. L’hétérosexualité semble ici être la seule possibilité offerte aux jeunes filles. Le Japon, apparaît plus corseté et conservateur que jamais. Seule solution, entrer dans la norme et s’éviter la marginalisation qui accompagne encore trop souvent le coming out.

Les questionnements entre les personnages sont si réalistes, qu’ils impriment l’esprit du lecteur de façon indélébile. Masumi demande ce que cela fait, au complexé Taichi, d’aimer « le genre opposé », alors qu’elle vient de larguer un énième petit copain encombrant. Petit à petit, on espère voir ces quatre adolescents trouver les meilleures réponses à leurs doutes dans cette quête vers l’amour. C’est à regret qu’on les quitte, tant les mangas aussi justes que Blue Flag, reste rares.

Blue Flag de Kaito, édition Kurokawa, 7,65 euros.

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