Avec Vers un avenir radieux, le réalisateur italien Nanni Moretti propose une immersion au cœur de divers schémas sentimentaux, familiaux et artistiques. À travers une mise en scène originale et un personnage central en pleine introspection, cette comédie aux apparences légères est une ode à la quête de sens.
Tout semble sourire à Giovanni. De son point de vue, le sexagénaire partage amour et honnêteté réciproques avec sa femme Paola (Margherita Buy) et sa fille Emma (Valentina Romani). Ses multiples films ont connu un bel accueil et la préparation de son prochain long-métrage est une réussite. En apparence, Giovanni ne doute pas. Son scénario aux allures de conflits intérieurs, relationnels et politiques est percutant et aligné avec sa perception de la réalisation cinématographique. À travers ce personnage qu’il a créé mais qu’il incarne également à l’écran, Nanni Moretti semble ne faire qu’un avec ladite perception. Derrière la recherche de cet avenir radieux, l’on comprend alors qu’il livre en filigrane un hommage à ce qu’il considère comme l’essence du cinéma : l’authenticité.
Vers un avenir… sincère
Alors que Giovanni pense réaliser un film politique, son actrice principale lui soutient que c’est en réalité une histoire d’amour. Quoi qu’il en soit, le scénario pensé par le cinéaste se recoupe dans les thématiques générales du film de Moretti. En 1956, quel choix fera finalement Ennio, intellectuel communiste italien, face à l’arrivée d’un cirque hongrois dans son village ? La troupe est alors plongée dans la tourmente de l’insurrection de Budapest. Moscou a envahi la Hongrie et sème la terreur au sein de la population. Ennio et ses compatriotes doivent se positionner. Comme Giovanni, Ennio ne supporte que très peu le mensonge et ce qu’il considère comme une trahison de ses propres valeurs. Les deux hommes souhaiteraient que tout soit plus simple, plus léger : ils semblent alors découvrir la dureté de la réalité.
Chez Giovanni, ce vœu pieux prend place dans les différents domaines de sa vie qui lui font parfois tort. Il n’apprécie pas les artifices, les faux-semblants, les non-dits. Le cinéaste a parfois le sentiment que ses proches se mettent eux-mêmes des bâtons dans les roues. Le concernant, il lui suffit pourtant de danser, de chanter ou de sautiller pour que sa journée soit égayée.
Nanni, Giovanni.. c’est un double trouble ingénieux et malicieusement mystérieux que propose le réalisateur. Moretti aime le septième art – ainsi que son histoire – et le fait savoir. Les références cinématographiques de tous pays et de toutes époques pleuvent en cascade au fur et à mesure du long-métrage : Lola (Demy, 1961), Apocalypse Now (Coppola, 1979), Hacksaw Ridge (Gibson, 2016), en passant par une tentative d’appel téléphonique à Martin Scorsese.
Appel qui s’interfère d’ailleurs sur un tournage sur lequel Giovanni n’a d’autre rôle que d’être le mari (voire l’ex-mari imminent) de la productrice. Il n’a donc pas sa place dans la moindre prise de décision. Pourtant, il assène au réalisateur à quel point sa manière de faire jouer ses acteurs est en tous points médiocre. Une scène cruciale du long-métrage qui montre les méandres parfois douloureux de la quête d’authenticité. Seul face à l’incompréhension générale qu’il ressent, Giovanni semble se trouver dans une grande solitude.
Idem lorsque Pierre lui parle de Netflix. Réticent à l’idée, Giovanni se laisse tout de même convaincre et honore le rendez-vous fixé aux côtés de Paola. S’ensuit une conversation déconnectée entre les représentants de la plateforme présente dans « 190 pays » (chiffre qui devient le gimmick ironique de la discussion) et le cinéaste. Mentalement – voire artistiquement, Giovanni se trouve à mille lieux de l’intérêt apparemment évident qu’il aurait à signer. Encore une fois, il n’en voit pas le sens, le bien-fondé. Pour lui, cette plateforme mondiale ne fait pas le poids face à son paisible village dans la balance de son bonheur. Et pourquoi son scénario aurait-il besoin de cette fameuse séquence « what the fuck » ?
Le combat d’un homme submergé
La vitesse à laquelle le temps passe donne lieu à de nouvelles réalités qui dépassent le réalisateur. Après avoir consulté un psychologue pendant plusieurs mois dans l’unique but de réussir à parler à Giovanni, sa femme lui annonce qu’elle le quitte. Dès lors, il n’a de cesse de lui répéter à quel point il est convaincu qu’ils ont un avenir ensemble. Seulement, elle ne voit pas de futur avec lui et cela, Giovanni ne l’accepte pas. Du moins, il ne l’admet que tardivement. Idem pour Emma : comment pourrait-elle être heureuse aux côtés d’un homme qui pourrait être son grand-père ? Pourtant, ils rayonnent et leur amour est sincère. C’est d’ailleurs Paola qui, la première, le fait remarquer au réalisateur.
Bientôt, c’est au tour de son producteur Pierre – incarné par Mathieu Almaric, clin d’œil à la co-production franco-italienne – de quitter le projet du film pour de sombres questions financières. Giovanni se retrouve presque seul avec son décor de cirque. Il comprend alors qu’il doit entièrement remodeler son état d’esprit.
Tout au long du film, le chaos psychologique dans lequel se trouve Giovanni s’illustre à travers les choix scénaristiques originaux de Nanni Moretti. Les mises en abyme s’enchaînent. Si elles peuvent porter à confusion dans les premières minutes, elles se changent en une belle immersion au cœur de la pensée du cinéaste dès lors que l’on comprend leur logique. Par exemple, nombreuses sont les scènes où l’ensemble du casting se retrouve dans la même pièce sans raison cohérente apparente. Pourtant, Moretti réussit habilement à accrocher son public et à le faire mordre à l’hameçon. L’on a presque l’impression de participer à la fête, de chanter et de danser avec eux. Pari réussi.
Vers un avenir radieux raconte le cheminement d’un homme en quête de joies simples. Au fur et à mesure de ses réussites et de ses déceptions, il comprend que ce sont elles qui permettent de faire face aux aléas de la vie. Giovanni l’assimile peu à peu : l’amour donné et reçu est précieux. Peu importe la forme qu’il prend. Le cinéma de Nanni Moretti est généreux. À travers son personnage, le réalisateur se livre sans filtre à son public. Son nouveau film est une bouffée d’air frais et une belle surprise de la production cinématographique italienne.