CINÉMA

(Re)Voir – « Rois & Reine » : Symétrie centrale

Rois & Reine (2004) - Arnaud Desplechin © Why Not Productions
© Why Not Productions

Très important pour son auteur lors de sa sortie en 2004, Rois & Reine reste un film modèle d’équilibre des tons. Alternant drame et comédie, Arnaud Desplechin transcende le champ-contrechamp narratif grâce à une association d’influences étonnamment heureuse.

Nora (Emmanuelle Devos) se marie pour la deuxième fois. Son fils, Élias (Valentin Lelong-Darmon), fruit d’une première union, ne s’entend pas avec son compagnon que le jeune garçon trouve froid et distant. Elle se met alors en tête de le confier à Ismaël (Mathieu Amalric), l’homme qui a partagé sa vie après la mort de son premier mari. Seulement, Ismaël est hospitalisé en soins psychiatriques. Il se débat déjà contre ses dettes et son mal-être. Rois & Reine est un concentré d’absence de bonheur existentiel.

Dyptique

Deux personnages, deux genres. La première scène reprend celle de Diamants sur Canapé (1961). Caractérisation express, Nora est la représentation du glamour classique et hollywoodien. On entrevoit aussi l’orgueil et le sentiment de supériorité par l’assurance de sa démarche. Le personnage d’Emmanuelle Devos incarne la femme moderne et indépendante telle qu’on la percevait au début des années 2000. Desplechin est tout aussi efficace pour Ismaël. Ce dernier est visité par deux infirmiers dont on comprend rapidement la mission : amener Ismaël à l’hôpital psychiatrique. Le ton est radicalement différent, le découpage reste rapide pour servir la comédie. À travers Mathieu Amalric, le personnage prend de l’épaisseur. Il clame à qui veut bien l’entendre que tout va bien, mais sa manière de perdre le contrôle dans ses explications traduit exactement le contraire.

Ismaël est ouvertement malade. Le quiproquo de l’hospitalisation par erreur sert pour le ton comique notamment par son avocat drogué et incompétent, Me Mamanne, (Hippolyte Girardot). Desplechin utilise le bien-fondé de cette hospitalisation pour à la fois montrer la maladie d’Ismaël et sa détresse.

Rois & Reine (2004) – Arnaud Desplechin © Why Not Productions

Desplechin choisit deux archétypes différents, deux caricatures qu’il va modifier, changer et modeler pour leurs donner du liant. Nora et Ismaël sont des personnes médiocres. Non complètement vils, ni totalement plats. Mais médians. Si Nora est le cliché exacerbé de la figure féminine de mélodrame, en fait les deux le sont. Mus par les émotions, emportés par leur instinct parfois à leur dépens, Nora et Ismaël frappent par l’authenticité de leur humanité.

Melancholia

L’affiche de Rois & Reine est programmatique. L’entièreté du film se fonde sur le principe du « split screen ». Le procédé technique est rare, mais le principe est narratif. Une scène de Nora succède à Ismaël. Sorte de miroir, de symétrie centrale autour d’Élias. La figure de l’infini est omniprésente dans l’histoire. Aucun des personnages n’est complet.

Le vide de Nora est à la fois révélé par le scénario, mais aussi par l’insatisfaction du personnage vis-à-vis des réponses qui lui sont présentées. Cet orgueil est dénoncé par son père dans la plus belle séquence du film. Alors que Nora s’était occupé de son père mourant qu’elle adorait, ce dernier lui laisse des pages assassines à sa mort. Pour une dernière invocation, Maurice Garrel récite le récit de la haine de son personnage envers sa fille. Elle qui fut sa préférée, sa monstruosité a finit par lui apparaître petit à petit. Cependant, on réalise aussi que ce sont des paroles d’un homme en fin de vie. L’effet n’est pas tant humoristique ou pathétique. Homme de lettre, sa prose est assassine, mais contient des sous-entendus non résolus.

Ironiquement, Nora est une figure de style d’un trouble psychiatrique. Son besoin inassouvi d’attention peut évoquer l’addiction en général. Incapable de trouver le contentement malgré un entourage en apparence solide. Ce piédestal est mis à bas au cours du film. Mais malgré un rapport plus apaisé avec elle-même à la fin du film, aucune cause de son isolement n’est décidée.

Rois & Reine bénéficie de sa structure bipolaire. Comme une machine à mouvement perpétuel, la forme rejoint le fond. Du « slapstick » américain à l’influence bergmanienne, le constat est le même ; le malheur est une maladie chronique.

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