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Rencontre avec Clavicule : « L’émulation de la scène garage rennaise nous a beaucoup inspiré »

Tantôt noise et tantôt mélodique, Full Of Joy, deuxième album de Clavicule sorti le 10 mars 2023, confirme l’ancrage du groupe sur la scène rock indé française.

Truffés de borborygmes puissants et corrosifs allant du punk au psyché en passant par le trip grungy estampillé 90’s, les dix titres de ce nouvel album abordent des sonorités variées et des thématiques fortes, empreintes d’une liberté sauvage. Maze a pu s’entretenir avec Marius (chant/guitare), Kamil (guitare) et Ian (basse) pour parler de post-garage, de rencontres artistiques déterminantes et de leur collaboration où les influences de chacun composent pour que le tout soit plus que la simple somme de ses parties.

En quelques mots, c’est quoi le projet Clavicule ?

Marius : L’histoire du groupe a commencé mi 2018 je dirais. Ian et moi on s’est rencontré à Châteaubriand où Ian tenait une boutique de disques, il était disquaire. On a échangé sur beaucoup de choses, notamment sur nos goûts musicaux, ça nous a donné envie de faire la musique ensemble.

Ian : J’avais déjà contacté Kamil pour faire un projet. On s’était déjà vus mais ça n’avait pas été concluant, alors que là l’idée d’être trois marchait bien, donc on s’est vite rencontrés.

M : On a pas eu de matière directement. En fait nos premiers morceaux ont été composés directement avec une boîte à rythme, en mode batterie sur YouTube quoi (rires). Et ensuite on a rencontré un premier batteur qui n’est pas resté très longtemps et ensuite en 2019 on a rencontré Alexis, qui n’est pas avec nous aujourd’hui. Ça a donné la mouture du projet qui est encore en place, et voilà ! 

I  : Ce qui était assez fou c’est que dès la première répète, on a composé la première chanson qui est sur l’album Garage Is Dead,  « Asshole ». Ça a été très vite. Dès le début on avait la même envie, on était sur la même longueur d’onde, sur ce qu’on voulait faire et sur la musique qu’on voulait créer. Et ensuite on a composé toutes les autres chansons très très vite. 

Je dois en déduire que vous vous voyez très régulièrement pour composer ?

I : À cette époque-là une fois par semaine !

M : Maintenant, comme on a beaucoup de concerts et qu’on est moins disponibles qu’avant, on se voit un petit peu moins pour composer. Mais on essaye quand même de répéter au moins toutes les deux semaines, voire toutes les semaines quand même.

Comment procédez-vous pour composer ? 

M : Plutôt tous ensemble généralement. L’un de nous ramène une idée et puis on tisse à partir de là. Généralement quand une compo va vite c’est le signe que ça va fonctionner entre nous, on sent que les idées fusent.

I : En général c’est plus un riff guitare qui est à la base d’un morceau. Même si ça arrive que ça soit à la basse, c’est quand même essentiellement la guitare qui amène les idées. Et puis Marius chante en yaourt, donc c’est un peu comme un cinquième instrument !

M : Les paroles viennent vraiment au dernier plan. On se base d’abord sur le yaourt pour écrire les textes. Donc c’est la mélodie qui amène les mots plutôt qu’une envie précise de mettre des mots par rapport à une mélodie, c’est dans ce sens là qu’on fonctionne la plupart du temps.

K : C’est chouette, parce que même Alexis à la batterie, qui n’est pas là ce soir, apporte des idées de mélodies et de construction musicale, alors que souvent les batteurs sont moins présents dans le processus de création mélodique. Je trouve ça super cool qu’on apporte tous un peu notre notre petit grain de sel dans la compo finale. Si nos chansons nous ressemblent à tous les quatre sans jamais vraiment ressembler à l’un d’entre nous c’est principalement grâce à ça. Et c’est assez marrant je trouve. Étant donné qu’on a des goûts musicaux assez différents, c’est vraiment là-dessus qu’on arrive à se rejoindre, et c’est super intéressant.

On peut faire un petit tour d’horizons de vos goûts respectifs ?

I : Moi par exemple, j’adore le garage ou le psyché. Alexis penche beaucoup plus pour le métal, alors que les gars sont un peu plus sur du post-punk en ce moment. La finalité c’est d’arriver à mixer tout ça pour donner un truc qui nous ressemble vraiment à nous quatre.

Et votre identité musicale est-ce que vous trouvez qu’elle a beaucoup évolué depuis le début ? Ou est-ce que vous cherchez à garder une structure constante ? Ça évolue comment à ce niveau là ?

K : Notre musique évolue beaucoup ! On a des goûts qui ont déjà changé par rapport au début, même si on est très contents de ce qu’on a pu composer à cette époque, ce n’est clairement plus ce qu’on cherche à faire aujourd’hui. On a aussi toujours eu plein de nouvelles références avec nos écoutes respectives, ce qui nous mène forcément à d’autres envies en termes de composition, même si on essaye de ne pas trop se cantonner à des styles précis. En tout cas je pense que notre musique a beaucoup évolué, qu’elle évolue encore aujourd’hui et qu’elle continuera d’évoluer, c’est sûr.

M : On a quand même un son qui reste constant, on essaye en tout cas.

I : Il y a aussi une progression dans la maîtrise de notre son. Quand je repense au début du groupe, par exemple, Marius avait juste son groupe multi-effets, alors que maintenant il les maîtrise beaucoup mieux ! On a évolué dans nos pratiques instrumentales, dans notre capacité à connaitre notre son aussi, ce qui nous permet de progresser beaucoup plus techniquement, et d’aborder un spectre beaucoup plus large dans la composition. On arrive à être plus précis dans ce que l’on veut faire quoi.

À partir de quand est-ce que vous commencez à penser la manière dont vos compositions vont vivre sur scène, en live ?

K : Notre musique vit beaucoup en live, c’est toujours comme ça qu’on la voit je pense. On est tous les quatre d’accord là-dessus, dans le sens où on fait surtout de la musique pour pouvoir la jouer en live et la partager avec le public, pour faire vivre les morceaux en direct. Ce qui nous fait kiffer, c’est de jouer ensemble. On aime bien composer aussi un peu chacun de notre côté, mais les mettre ensemble c’est ce qu’il y a de plus fun, de libératoire et d’exutoire dans la musique. Avoir un public, des gens qui dansent devant toi, sentir cette énergie qui est transmise, c’est pour ça qu’on joue.

I : Ce qui nous fait le plus kiffer c’est les moments de concert, d’avoir des gens qui dansent devant toi, de voir les gens heureux. Quand il y a vraiment une alchimie entre le public et nous, comme on a pu l’avoir dernièrement au festival le Foul Weather où le public était vraiment à fond. Il y a eu un échange incroyable, une connexion très forte. C’est ce qui nous fait vraiment vibrer.

M : Même si l’expérience du studio est intéressante aussi, parce qu’on peut y voir davantage le détail de nos projets, c’est vraiment le live qui est très fort. 

Vous êtes un groupe originaire de Rennes, une ville connue pour avoir une scène rock très vivante. Ça a influencé votre relation au live ?

M : Je pense oui, un petit peu au moins, même si aujourd’hui on est plus tous à Rennes. C’est une ville où tu peux clairement aller voir des concerts plusieurs fois par semaines, c’est très cool. En ce moment on joue assez loin, et on fait beaucoup d’heures de camion (rires), mais l’héritage rock rennais est quand même là !

I : Au début de la création du groupe il y avait même une énorme scène garage rennaise qui a beaucoup inspiré et qui nous a donné envie de créer Clavicule. Je me rappelle être allé à un festival à l’Étage où il y avait tous les groupes rennais du moment qui étaient présents pour jouer. C’était juste avant le début de Clavicule, et je pense que voir et vivre toute cette émulation ça nous a vraiment donné envie de monter le projet.

K : On a jamais caché notre lien très fort à Rennes, c’est aussi pour ça qu’on voulait vraiment signer sur un label rennais pour notre premier album. On a fini par bosser avec Beast Records, c’était un truc hyper important pour nous parce que comme disait Ian, on se retrouvait tous les quatre dans les groupes de rock de la scène rennaise des années 2010. Même si tous ces groupes n’existent quasiment plus aujourd’hui je pense qu’il y a toute une génération de musiciens qu’on côtoie maintenant et qui ont un peu connu cette vibe là qui a dix ans maintenant. C’est une énergie qui continue de traverser beaucoup de groupes et d’artistes, donc je  pense que ça a eu un rôle important de manière générale.

I : Je voulais aussi dire que depuis qu’on fait pas mal de concerts on a rencontré beaucoup d’autres groupes rock de la scène française comme Johnny Mafia, Mad Foxes, Johnnie Carwash, ou You Said Strange. Je trouve qu’il y a une scène rock indépendante qui est assez incroyable en ce moment, il y a plein de groupes extraordinaires et ça influence beaucoup notre envie de jouer, de faire partie de toute cette émulation. En tout cas moi c’est quelque chose qui me motive énormément de croiser des groupes super doués, qu’on écoutait même avant de les rencontrer. Cette scène très vivante en France, c’est très motivant.

Pourquoi “Clavicule” ?

M : Qu’est ce qu’on va donner comme réponse cette fois-ci (rires). Non, en vrai, on voulait trouver un nom en un mot, un peu court, dont on se rappellerai facilement. La vraie raison c’est qu’on s’est retrouvés dans un bar un jour pour chercher un nom pour le groupe. Sur un mur il y avait un poster d’anatomie, qui nous a donné plein d’idées de noms ! On a fait toute une liste et celui qu’on a retenu c’était clavicule, voilà (rires).

Est-ce que vous pouvez m’expliquer un peu d’où vient votre identité graphique ? Les visuels de vos deux albums sont très particuliers, la pochette de Garage Is Dead par exemple semble être une référence au Kraken, ou plus largement à l’univers d’H.P Lovecraft.

I : Alors ça c’est vraiment l’héritage du festival Lévitation à Angers, où j’ai découvert le travail d’Arrache Toi Un Œil. J’y allais beaucoup avant la création du groupe. Dès le début de Clavicule j’ai parlé très rapidement aux personnes de ce collectif. Ce qui est marrant c’est que l’équipe d’Arrache Toi Un Œil a aussi créé un festival qui s’appelle Frisson Acidulé, et on s‘était un peu inspiré de la typo de ce festival, et donc du travail d’Arrache Toi Un Œil, pour faire notre premier logo.

Ça a été une influence dès les prémices du groupe, on a vite voulu bosser avec eux. Puis ce qui était fou c’était que pour le premier comme pour le deuxième album, on avait imaginé un truc, qu’on avait vaguement dessiné. Dès les premiers essais et les premiers envois graphiques qu’Emy Rojas, (la moitié du duo qu’elle forme avec Gaspard Le Quiniou chez Arrache Toi Un Œil, ndlr) a pu nous faire, on était hyper emballés ! Il y a vraiment pas eu beaucoup de modifications à faire, ses propositions étaient tout de suite en accord avec ce qu’on avait tous en tête.  Ça a été très très fluide à chaque fois au niveau de la créa. 

K : C’est vrai qu’on lui avait vraiment lâché des espèce de vieux croquis tout moches (rires). Mes dessins étaient un peu dégueus et elle a vraiment su capter le truc, comme disait Ian c’était vraiment hyper naturel. En fait, dès la première esquisse pour les deux visuels on était en mode «  Ouah, ça déchire trop  ». En termes de couleurs et de contrastes aussi elle a tout de suite su quoi faire. C’est vraiment quelqu’un de très talentueux. Tout son travail, et plus largement celui du collectif est vraiment super. C’est quelque chose d’arriver à transmettre et à faire passer les bonnes idées, c’était super cool de bosser artistiquement avec elle sur ce projet-là. 

I : D’ailleurs tous les autres groupes ou évènements avec qui ils bossent sont aussi des projets que l’on aime ! Ils ont bossé pour le Pointu Festival par exemple, ou avec le Lévitation, la Route du Rock… Ce qui fait qu’ils ont vraiment compris ce qu’on attendait je pense. 

Cover de l’album Full Of Joy – Clavicule © Emy-Arrache-Toi-Un-Œil

Où est-ce que vous placez le post-garage sur la scène musical d’aujourd’hui ? 

I : Mmh… C’est un peu un terme qu’on a inventé nous-même alors c’est un peu compliqué de répondre (rires).

K : Je pense qu’il y a d’autres groupes qui l’utilisent quand même, nous on l’a utilisé parce qu’on avait énormément d’influences différentes et on savait pas du tout dans quelle catégorie se mettre. Vu qu’on a toujours été estampillés comme groupe de garage, on s’est dit qu’on allait faire du post-garage maintenant.

I : Et surtout c’était un garage qui était plus enrichi qu’un garage basique, on voulait y mettre toutes nos influences, punk, grunge, psyché, voire même du métal. On trouvait que ça pourrait supposer une version plus «  évoluée  » que le garage classique auquel on pense généralement. 

M : On met un peu «  post  » derrière tout ce qu’on veut dès qu’on cherche à véhiculer une idée de changement, c’est un peu la recette facile. Mais la place du style, je pense qu’il y a moins de garage maintenant.

K : Je pense que du pur garage, il y en a plus tant que ça. Y’a du garage-punk, du garage-psyché, mais du vrai garage, du pur garage à l’ancienne, c’est plus rare.

M : Mais c’est bien que les styles évoluent en même temps !

Est-ce qu’à l’image du collectif Arrache Toi Un Œil il y a beaucoup d’autres artistes qui gravitent autour du projet Clavicule ?

M : Et bien oui, il y a Dimitri Dupire de la Double Boîte Studio qui a fait nos deux albums, qui les a enregistrés, mixés et masterisés. Il est avec nous depuis le début.

M : Sinon il y a Cath, notre attachée de presse qu’on a depuis le début, et on a des nouveaux tourneurs depuis l’année dernière. Ils s’appellent Premier Jour et sont basés sur Lyon. On a des labels aussi, notamment Beast Records au début du projet. Le but de ce label c’est d’être un tremplin, une passerelle vers d’autres labels un peu plus gros. C’est un label indépendant rennais. Depuis le deuxième album on est sur deux autres labels, A Tant Rêvé Du Roi qui est à Pau, et puis Le Cèpe Records qui est sur Paris.

I : On a aussi Valentin Béru, notre ingénieur son qui nous suit partout et qui travaille avec nous depuis un an et demi maintenant. C’est vraiment le cinquième membre de l’équipe. Il participe beaucoup à l’homogénéité et à la réussite des concerts.

K : Il a taillé un son super qualitatif en concert, on est vraiment contents de bosser avec lui dès qu’on peut. On sait que quand il est là, le son va être cool, et quand le son est cool les gens kiffent plus, et ça se sent dans le public.

Votre dernier album en date, Full of Joy,  est-ce que vous pouvez me le pitcher ? 

I : D’abord c’est un album qui a mis du temps à se construire parce qu’il a été composé en période de Covid. Il s’est passé presque trois ans entre les premières compos et les dernières. Au niveau du spectre temporel il a été beaucoup plus large que Garage Is Dead par exemple, qui a été composé en moins d’un an.

M : Je pense que la chronologie de l’album est très relative à la période. On a rapidement commencé à composer le deuxième album après avoir bouclé l’enregistrement du premier. Donc Full of Joy contient de nombreux styles assez différents, mais les morceaux vont plutôt bien ensemble sans qu’ils aient nécessairement un lien direct entre eux.

L’avant-dernier titre «  Queen Blizzard & The Sitar Guitar » est une référence quasiment satirique à King Gizzard & the Lizard Wizard.

K : On avait aussi envie de faire quelques morceaux un peu plus second degré, notamment celui-ci, qui raconte l’histoire d’une reine dans son palais de glace qui n’arrive pas à jouer de la guitare parce qu’elle a tout le temps froid aux doigts. Du coup elle attend le réchauffement climatique pour que son palais fonde et pour pouvoir enfin toucher sa sitar. On s’est dit que ça ressemblait un peu à du King Gizzard, c’est Alexis qui a trouvé le nom de ce titre qui partait complètement d’une blague, et qui au final est une belle référence à un groupe qu’on aime tous les quatre, parce qu’il y en pas tant que ça ! C’était chouette d’avoir un petit hommage à ce groupe qui peut nous réunir. Ces mecs-là ont fait tellement de choses dans leur carrière très courte mais très dense. C’était un petit clin d’œil.

I : On aime bien faire des petites blagues dans les noms d’albums aussi, par exemple dans le premier album il y a le morceau «  CAB », et dans le deuxième il y a «  INET » et quand on les relie bah… (rires)

M : C’était par rapport au cabinet du psy. Les deux chansons sont un peu déprimantes, notamment INET qui parle de la dépression et du long travail à fournir pour en guérir. On peut pas en vouloir aux gens s’ils n’ont pas rapproché les deux morceaux, il faut le savoir !

C’est quoi la suite pour vous, vos prochains objectifs ?

K : C’est de jouer l’album ! Faire des concerts, des belles dates…

I : On a de belles dates qui arrivent cette année, et on a tous hâte de les jouer, que ce soit le Pont du Rock ou le Black Bass Festival.

M : Hâte aussi de peaufiner le live. On commence à bien le maîtriser, donc on est content. Quand ça devient automatique de jouer c’est toujours plus agréable que d’être un peu en stress au début, quand on avait pas encore beaucoup joué les morceaux en live. Maintenant que ça roule bien, le but c’est de faire un maximum de concerts devant un maximum de personnes.

I : On a notre première tournée à l’étranger aussi en Espagne fin septembre/début octobre, et c’est une expérience qu’on a hâte de vivre. C’est complètement autre chose de partir autant de temps loin de chez nous !  

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