Indiana Jones et le Cadran de la destinée face à Mission Impossible : Dead Reckoning, partie 1, deux blockbusters qui lancent un mois de juillet chargé en productions hollywoodiennes. Pour un résultat qui passe… ou qui casse.
Indiana Jones et Ethan Hunt, deux personnages mythiques à jamais attachés à la peau de leurs interprètes : Harrison Ford et Tom Cruise. Malgré leur âge (respectivement 80 et 61 ans), ils continuent les rôles d’actions sans mesurer les risques physiques pour nous épater sur le grand écran, ajoutant deux nouveaux volets à des sagas ayant déjà quelques décennies derrière elles. Or, si revoir nos héros préférés au cinéma peut faire chaud au cœur, il vaut parfois mieux s’arrêter sur un bon souvenir plutôt qu’accepter un nouveau rendez-vous.
Deux histoires différentes
Résumons d’abord rapidement les deux films afin de faciliter l’analyse. Indiana Jones et le Cadran de la destinée commence en 1945, avec un flashback. Un jeune Henry Jones cherchant à empêcher les nazis de ramener des artéfacts en Allemagne – leur place étant évidemment aux États-Unis, puisque s’approprier des reliques et artéfacts venant d’autres pays semble évident. Nous découvrons le fameux Cadran de la destinée : il obsède un professeur allemand et sera récupéré par Basil Shaw, collègue et ami d’Indi. S’ensuit un flash-forward de plusieurs années et l’action reprend en 1969. La fille de Basil cherche à récupérer la partie manquante d’un Cadran brisé, objet de sa thèse d’archéologie. Nos héros voyagent alors dans différents pays pour trouver cette seconde moitié, afin de découvrir le véritable pouvoir de cet artéfact, ce avec quelques apparitions d’anciens personnages.
De l’autre côté du ring, Mission Impossible : Dead Reckoning, partie 1 se déroule de nos jours. Une scène d’exposition nous présente ce qui deviendra le principal antagoniste du film : une intelligence artificielle incontrôlable pouvant manipuler la moindre technologie numérique. Ethan Hunt et ses amis (Luther, Benji et Ilsa) se retrouvent tous à la recherche d’une clef, là encore scindée en deux parties. Ils devront naviguer dans un environnement hostile où l’IA met constamment la vérité à mal, tout en évitant les différents groupes qui les pourchassent. Cette enquête nous fait traverser plusieurs pays et rencontrer d’anciens amis ou ennemis, mais aussi de nouveaux.
Deux voyages étonnamment semblables
Du désert aux Alpes autrichiennes en passant par l’Italie, nos deux films d’action se retrouvent dans des décors étonnamment semblables. Le tout se faisant presque en miroir, le train devient ainsi le lieu déclencheur de toute l’action pour Indi, et celui de son dénouement pour Ethan. De plus, l’élément principal des intrigues étant un objet divisé, convoité pour sa puissance, la sensation de voir le résultat d’un concours d’audiovisuel se renforce. Ces quelques éléments semblant imposés parasitent le visionnage de ces films, qui souffrent ainsi d’une comparaison imprimée dans notre esprit.
D’autres éléments s’ajoutent ensuite à cette espèce de corpus scénaristique : les anciens ennemis omniscients refaisant surface, le deuil, les petits secrets du gouvernement etc. Vous l’avez compris, ces deux films sont étrangement semblables sur bien des points, que les courses poursuites et l’idée d’enquête, de recherche d’indices et le voile de mystère ambiant ne font que renforcer. Ils restent tout de même uniques, leurs scénarios partant dans des directions diamétralement opposées. Le passé mystique et fantasmé revient pour hanter Indiana Jones, le futur et la technologie menacent le monde pour Mission Impossible. Cependant, une grande différence qualitative se fait ressentir, aussi bien scénaristiquement que visuellement parlant.
L’importance du rythme
Lorsque Ricciotto Canudo a mis en avant le raisonnement le poussant à définir le cinéma comme le 7ème art, l’ultime synthèse des six qui l’ont précédé, il insiste sur l’importance du rythme, hérité, dans son raisonnement, de la musique. De nos jours, cette notion fait partie intégrante de la conception d’un film : nous utilisons les idées de temps forts, de temps faibles et de contretemps pour mieux comprendre la structure d’un récit.
Comme nous le savons, ce sont des films d’actions qui répondent donc aux codes de ce genre : courses poursuites, combats, explosions. Mais il ne faut pas oublier que ce sont aussi des films d’aventure ou d’espionnage. Ceux-là nécessitent des passages plus lents pour la résolution d’énigmes (antiques ou modernes), voire pour de l’exposition.
En toute logique, les temps forts doivent être entrecoupés par des temps faibles. Les scènes d’actions doivent être suivies par des scènes d’expositions. Mais, si Mission Impossible arrive à gérer cela en utilisant, par exemple, une douce montée en tension laissant respirer les plans avant d’accélérer lors de la scène de l’aéroport, Indiana Jones s’embourbe dans son mélange de genres et préfère enchaîner les courses poursuites, au début du film, puis ralentit jusqu’à la fin, nous laissant dans une longue léthargie où les personnages déduisent chaque chose à partir d’éléments inaccessibles pour le spectateur, comme les notes de Basil Shaw, ou non déductibles par manque de temps : la tablette en cire trouvée au fond de la mer parlera à ceux qui ont vu le film.
Trop vieux pour ces conneries ?
Est-ce la fin d’Indiana Jones ? Est-ce la fin de Mission Impossible ? Ou bien est-ce la fin de ces sagas avec ces acteurs ? Certes, l’histoire d’Ethan Hunt continue l’année prochaine avec la deuxième partie de ce Dead Reckoning, mais pour Henry Jones, les recherches de trésors peuvent-elles continuer ? Le film n’est pas rentable et montre la triste réalité de l’âge sur les personnages que nous aimons : Indi le chasseur de trésor n’est plus, reste donc Henry, le retraité un peu dépassé. Loin de la forme physique irréprochable du sexagénaire scientologue, Harrison Ford peine à donner un spectacle réjouissant. Le traitement de son personnage ne fait que renforcer cette sensation de personne âgée dépassé par les événements. Bien que le temps ait fait son travail, Indi n’hésiterait pas à tirer sur un nazi.
D’une manière assez intéressante, les deux films fonctionnent presque comme des allégories des acteurs. Ethan Hunt sprinte, saute, se bat, fait des sauts en parachute, et le tout presque sans trucages, révélant toute la fraîcheur d’un acteur ne s’avouant jamais vaincu. Henry Jones fait des courses poursuites à pied, à cheval ou en tuk-tuk sur un fond vert dont la qualité frôle parfois le ridicule. Il se fait aussi rajeunir numériquement, sans doute pour mieux faire passer la pilule de la nostalgie.
Évidemment, nous ne pouvons critiquer un acteur pour ses performances réduites par son âge. Là où l’âge de Tom Cruise n’est pas évoqué, il prouve que rien n’est impossible en atteignant la soixantaine. Harrison Ford, avec ses quatre-vingt ans, se trouve bloqué dans un entre-deux entretenu par le film, misant sur sa vieillesse. La volonté de faire renaître la fougue d’Indiana se retrouve alors bridée par l’impact de l’âge sur ses facultés.
Surenchère quand tu nous tiens
Quand doivent s’arrêter les sagas ? Cette question assez vague mérite d’être posée au regard des (nombreuses) sorties de suites ou prequels s’ajoutant à des sagas que nous pensions déjà finies et complètes : Matrix Resurrections, SOS Fantômes : L’Héritage, Mad Max : Fury Road, Star Wars VII, VIII et IX, Hunger Games : La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur, Alien Convenant, Jurassic World… Et il arrive que ces ajouts soient de belles surprises, c’est le cas pour Fury Road ! Mais il arrive aussi que nous ne comprenions pas l’intérêt de leur existence, à part faire plaisir aux fans qui ne veulent pas d’un point final à une histoire qui a pourtant tout dit (et parfois trop).
Rouvrir ces œuvres pour apporter des addendas, c’est la porte ouverte à la surenchère déjà omniprésente dans les blockbusters Hollywoodiens. C’est cela qui a amené l’échec d’Indiana Jones et le Royaume du crâne de Cristal : la·e spectateur·ice ne cherche pas l’action et le spectaculaire. Les spectateur·ices allant voir Indiana Jones ne veulent pas que des batailles et autres rixes : plutôt l’aventure, l’enquête en elle-même. C’est en cela que le film devient intéressant après les trois courses poursuites, malgré le manque de participation du spectateur qui se voit complètement dépassé par les traductions de codes et de grec ancien. Oui, Indi frappait des nazis et se faisait courser dans des mines sur des wagons. Mais, Indi déjouait aussi brillamment des pièges et utilisait la ruse contre ses adversaires.
De son côté, Mission Impossible est bien plus porté vers l’action, les cascades et les jeux de déguisement. La surenchère faisant partie de la formule dès le deuxième film, et étant toujours mise en avant dans la promotion des opus.
Repenser Hollywood
Alors au final, que tirer de cette analyse ? L’échec de l’un et la réussite de l’autre sont-ils dûs à l’âge des acteurs, aux réalisateurs, aux scénaristes ? En réalité, ce n’est pas la faute d’un individu, mais d’un système entier qui ne cesse de fonctionner de la même manière depuis bien quarante ans. Lorsque des univers de fiction quittent les mains de leurs créateurs de base (Steven Spielberg et George Lucas dans le cas d’Indiana Jones) et que d’autres prennent les rênes en main, une sorte de formule généralisée s’applique : la surenchère de l’action avant tout. Les spécificités qui rendaient unique les œuvres diminuent peu à peu à chaque nouvel opus et deviennent alors des sortes de pastiches bourrés d’actions.
À cela s’ajoute l’effet nostalgique du « revival » des anciennes sagas proposant une suite vingt ans après. Cet effet à double tranchant fait l’effet d’une claque où revoir Harrison Ford jeune puis octogénaire rappelle le temps qui passe.
Mais pouvons-nous, en tant que spectateurs, changer ce système ? Lui qui semble tourner en boucle et nous prendre pour des poissons rouges oubliant tout, sauf les grandes lignes des sagas qui ont fait naître les héros et héroïnes les plus emblématiques de la pop culture ? Vous connaissez déjà la réponse : il faut changer son mode de consommation de productions audiovisuelles. Jouer avec les lois du marché est la seule façon de faire comprendre aux productions que le public ne veut plus voir ces suites. La curiosité et l’espoir est ce qui nourrit ces productions qui cherchent une rentrée facile d’argent, alors n’y allez plus. Il vaut mieux se souvenir en bien d’Indiana Jones, d’Ellen Ripley ou de Leïa Ortega que les revoir sous des formes caricaturales.