Programmé le 14 juillet en première partie de Mathias Malzieu & Daria Nelson, Neniu, seul avec ses machines et ses animations, a enflammé la scène du Théâtre Verdière aux Francofolies de La Rochelle. Rencontre.
Depuis toujours les Francofolies de La Rochelle mettent la lumière sur des artistes émergents singuliers. Neniu est l’un deux. « Homme-orchestre numérique », musicien-dessinateur, auteur-compositeur-chanteur… Autant de termes pour définir un seul artiste dont le son et l’image forment une symbiose parfaite au centre de son projet et racontent ensemble des petites histoires. Quelques heures à peine avant son impressionnant concert, Maze a pu échanger avec lui sur l’importance du live, l’improvisation et l’exploration musicale.
Tu te considères comme musicien-dessinateur ?
C’ est le cas. Dans le projet Neniu et en général dans ma vie je suis réalisateur de films d’animation et musicien. Là j’allie les deux, je réalise tous mes clips et sur scène je suis aussi accompagné de vidéos projetées qui sont liées au son. L’image et le son sont sur le même plan.
Dès le début, tu as mêlé la musique et le dessin ? Tu as commencé en même temps ?
C’était logique parce que je dessinais des choses fixées sur des feuilles et je faisais de la musique. Je voulais un peu lier les deux sauf que la seule manière c’était d’inscrire les dessins dans le temps et donc de faire des dessins animés.
Il y a une épuration dans tes textes. Ils apparaissent comme des mantras répétés… Comment tu écris ?
Ça finit souvent par être épuré car j’écris et je retire aussi beaucoup. J’aime bien les phrases qui peuvent être répétées et qui sont comme des mantras. Le sens va évoluer dans la chanson même si c’est la même phrase. J’aime bien quand je réussis à le faire. J’ essaie d’être honnête et parfois ça suffit et mon propos peut faire quatre lignes. Anecdote marrante, l’année dernière pour mon premier album, j’ai dû déposer tous mes titres et j’ai envoyé un pdf avec les paroles de tout l’album, donc 13 titres… et c’était juste une page. Vu comme ça, ce n’est pas grand-chose alors que c’est un album entier et que ça m’a pris deux ans pour écrire cette page.
Et justement tu es musicien, comment tu sais que ce sont ces phrase qui vont correspondre à telle composition ?
J’écris en même temps que je compose. Je fais tout tout seul. Parfois ça peut partir de n’importe où. Dès qu’il y a une recette il faut arrêter de la faire pour redémarrer et trouver des choses nouvelles. Souvent, je pars d’une mélodie un peu en boucle et j’écris dessus. Je peux être à un concert et avoir une idée ou faire une note vocale sur mon téléphone. Souvent c’est une mélodie qui démarre l’écriture et qui permet après que le texte naisse.
Dans ton projet, il y a une véritable construction visuelle de live. On parlait des dessins projetés mais musicalement, il y a l’aspect très dansant et électro de tes arrangements. Le live c’est fondamental dans le projet Neniu ?
Oui, car dès le début j’ai commencé la musique en faisant de l’improvisation. Au bout d’un moment c’était un peu dur parce que je ne faisais que des concerts en improvisation. Il y a beaucoup d’imprévus. Maintenant, il y a toujours une part d’impro dans mon live mais encadré par les compositions et les chansons que j’ai déjà faites avant. Ensuite, je développe mes morceaux en live. Il y a des loopers, j’utilise plusieurs instruments puis je rajoute la vidéo avec les dessins animés et la 3D. Les morceaux peuvent se développer sur beaucoup plus de temps avec plus de variations. La proposition live est vraiment différente de ce qui s’écoute sur les plateformes.
Et il y a une évolution de cette proposition ? Est-ce que chaque live est complètement différent ?
Oui. Il y a des trous dans mon live exprès pour que j’improvise et ils peuvent durer plus ou moins longtemps. C’est adaptable parce que c’est moi qui décide le temps que durent les morceaux donc en fonction de comment je me sens avec le public du concert, je vais changer des trucs. S’il est un peu tard et que les gens sont un peu foufous et ont envie de danser, je vais monter plus loin alors que s’ils sont plus là pour écouter calmement, je vais mettre l’accent sur d’autres choses.
Et puis c’est une machinerie… il y a un aspect homme-orchestre seul sur scène avec des machines ?
Oui c’est ça. J’ai deux petites tables, un micro de chant, un drum pad qui est une petite batterie électrique, un clavier, un contrôleur pour tous mes effets et un pédalier pour les loops et pour passer les scènes. Tous mes effets sonores sont des effets vidéo. Je suis comme un homme-orchestre numérique qui fait l’image et le son en live.
C’est assez singulier comme projet… tu as sorti ton album en indépendant ? Ça ne doit pas être toujours évident d’assumer cette liberté…
Oui c’est vrai que c’est bizarre. Il y a une part qui est un peu incompréhensible même pour moi parce que c’est très dense. À chaque album il y a une petite cosmogonie qui se met en place avec les dessins, les chansons qui parlent de thèmes qu’il y a dans les dessins animés. À chaque fois, je crée tout un petit monde autour, j’invente des personnages qui vont parler et à qui il va arriver des aventures. C’est à la fois un peu hermétique et en même temps assez riche.
En terme de marketing, ce n’est pas le plus évident. Après ce n’est pas ce que je recherche. Je suis déjà trop content de faire de la musique parce que j’ai besoin d’en faire pour m’exprimer. Si on m’écoute c’est fou mais je ne suis pas dans la démarche de faire en sorte que ce soit compréhensible non plus. Je veux faire de la pop mais en réalité, j’explore.
Tu parles d’exploration… Tu considères que tu fais de la recherche musicale ?
Oui je passe beaucoup de temps à faire du son et pas que de la musique. C’est-à-dire à trouver des petits bruits marrants, enregistrer des trucs, chiner des instruments et des jouets dans des brocantes. Et parfois, je fais des morceaux où la base est très simple et je pose les paroles et en général ça ne me va pas trop, il faut qu’il y ait de l’exploration au sein du morceau et qu’il se passe quelque chose par les instruments ou la voix qui soit de l’ordre d’une nouveauté pour moi. Les morceaux que je sors ce sont ceux que moi j’aime bien. Et pour ça, il faut qu’il y ait de l’exploration dedans pour prendre du plaisir à les faire et à les écouter derrière.
Neniu c’est un projet solo, mais est-ce que tu fais aussi des collaborations ou est-ce que tu aimerais en faire ?
J’en fait déjà beaucoup. J’ai un lieu de résidence dans la région Centre où j’ai transformé une bergerie en studio et une autre partie en atelier. Là bas, j’organise des workshops de musique. On crée des groupes éphémères et on fait des tournées. Mais ça s’inscrit dans un autre circuit. Mon projet Neniu, c’est la partie visible de l’iceberg. Il y a beaucoup de projets collectifs dans ma vie, sauf que c’est moins visible parce que c’est dans des petits festivals ou des lieux associatifs et qu’ils n’ont pas la même vocation pop que ce que je fais en tant que Neniu.
C’est important pour toi d’avoir les deux ?
L’art est fondamentalement politique. Il y a des lieux où on peut dire des choses et des lieux où on ne peut pas. Dans mon projet Neniu, j’ai un peu décidé d’écrire des chansons qui soient le plus universel et le plus honnête possible. Ce sont mes deux lignes directrices. Mais il faut aussi d’autres lieux pour des choses plus radicales et plus expérimentales. J’alterne entre les deux et c’est un choix conscient de faire avancer les deux en parallèle.
Le titre de ton album Moulin est assez intriguant… c’est quoi ce moulin ?
Ce moulin, c’est marrant, je le croisais quand j’étais au lycée. J’avais une heure de bus. J’habitais à la campagne et à un moment le bus s’arrêtait à Bonny-sur-Loire, dans la région Centre. Dans un jardin il y avait une espèce de grande éolienne. C’était une hélice qui faisait tourner un petit bonhomme comme si c’était lui qui faisait tourner l’hélice. Toute ma scolarité, je rêvassais devant. En revenant un peu m’installer dans le coin, je suis repassé devant. L’aspect philosophique m’a frappé. Il a l’impression que c’est lui qui fait tourner l’hélice sauf que c’est le vent qui la fait tourner. Et lui le sens de sa vie c’est ça mais finalement c’est un mensonge qu’il s’est créé pour croire qu’il sert à quelque chose.
Dans la fiction que j’ai inventé, il se prend un éclair et se décroche de l’hélice. Il tombe au sol et voit l’hélice qui continue à tourner sans lui. Il faut qu’il redonne du sens à sa vie. En tant qu’humain, on l’impression que le monde a besoin de nous.
On a un rapport « extractionniste » au monde où on intervient beaucoup et de manière nocive. On a l’impression qu’on a le droit de le faire parce que ça nous est dû comme avec ce pétrole et ce béton que l’on met sur les sols ou toutes ces méga-bassines que l’on crée par exemple… Finalement, on est des micro-poussières et il faut que l’on redescende du moulin et que l’on voit que le monde tourne sans nous. Si jamais on disparaît, la vie ne disparaît pas. Il y a un décentrement à faire.
C’est ça le moulin, il tourne sans nous. Et c’est l’histoire de l’album Moulin. Je parle de décentrement, d’amour du vivant, de symbiose, de comment vivre ensemble au sens large, pas uniquement entre humains. Et c’est peut-être un peu opaque ces cosmogonies, je le dis parce que moi je les conceptualise dans ma tête mais dans l’album c’est plus abstrait.
Et c’est quoi la suite de ton projet ?
J’ai sorti Moulin l’année dernière et puis là un petit EP de trois titres qui s’appelle 3 chansons. Et maintenant, je prépare un nouvel EP avec des nouveaux clips, une tournée en octobre et un live acoustique de quelques chansons aussi que j’ai enregistré et que je suis en train de mixer. Et voilà après des dates, ma vie habituelle, faire de la musique et sortir des morceaux !