Paysages partagés regroupe sept formes performatives proposées par sept artistes différents autour du paysage et de la nature dans le cadre du projet « Performing Landscapes ».
Paysages partagés oscille entre reconnexion avec la nature et hyperconnexion technologique. Les deux réalités de ce monde, celle qui existe de manière intrinsèque et celle que l’on a construite, se retrouvent en une seule. Cette liaison est troublante car elle peut paraître paradoxale. Elle est à la fois un moyen de critiquer le progrès technologique et de montrer que ces deux phénomènes peuvent coexister.
Il est 15h, nous attendons de pouvoir rentrer dans le car pour Pujaut. L’expérience commence déjà, les deux cars sont remplis et nous voilà partis pour sept heures. La lecture de la carte d’orientation détaillant de manière évasive le déroulé nous fait passer le temps dans le bus. Arrivés là-bas, nous avons quelques minutes de marche qui nous font prendre de la hauteur pour arriver au site. Toutes les créations de ce spectacle tournent autour d’un seul mot d’ordre : le Land Art, forme d’art qui entend renouer avec la nature en travaillant avec et au sein de celle-ci. Présenté comme une randonnée, Paysages partagés se situe en réalité dans une zone très limitée. Bien que les paysages soient somptueux, la restriction spatiale et sa longue durée rendent parfois le moment étouffant. Durant la performance, aucun dispositif ne fait advenir des présences de chair et d’os. L’expérience est perturbante. Le rapport entre les spectateurs et la salle s’efface complètement. L’artiste se retire au profit du lien entre les spectateurs et la nature.
La théorie contre la pratique
Il arrive que, durant cette journée, nous nous demandions ce que nous faisons ici. On ne peut pas ne pas soupçonner à cette performance d’être hypocrite, de créer trop de distance entre le projet et sa réalisation. Tout au long de ces sept heures, nous transportons casque et plaid. Paysages partagés chamboule les codes classiques du théâtre. Ici, il se définit comme une expérience collective avant tout. Mais le collectif reste limité même si le souhait du collectif se ressent. L’individualisme que représentent les casques audio remet en cause l’aspect de groupe.
Le Land Art sort des lieux clos dans une logique d’accessibilité à toustes et non plus à une certaine bourgeoisie. Projet ambitieux et risqué, c’est un plaisir de voir ce genre de dispositif innovant dans le « In ». Mais sa programation et son prix remettent en cause cette accessibilité.
Nous débutons cet itinéraire par un dispositif proposé par Sefan Kaegi. Il consiste en une écoute d’une discussion entre plusieurs personnes, un enfant, deux hommes et deux femmes à l’abri des arbres. Iels sont dans une fôret et parlent de vie, de mort, de nature. Tous les sons nous arrivent aux oreilles. L’utilisation d’effets sonores stéréo renforce l’aspect immersif. « Ca fait quoi de rester avec ces gens pendant 6h ? », nous murmure le petit garçon. Nous allons le découvrir.

Ces sept heures d’escapade sont ponctuées de numéros musicaux issus de UNLESS d’Ari Benjamin Meyers. Un ensemble de cuivres éparpillés et dissimulés dans la végétation. Les musicien·nes portent des combinaisons grises discrètes. Iels jouent des notes étonnantes tout en étant en harmonie avec l’ambiance. Begum Erciyas et Daniel Kötter nous présente une expérience d’accaparation du territoire à l’aide de casques de réalité virtuelle. Une fois posés sur la tête, les autres s’eclipsent mais le paysage reste. En silence, nous décolons et l’espace se transforme. On a le sentiment qu’il nous le possédons dans son intégralité. C’est une expérience personnelle en prenant de la hauteur qui questionne notre place dans l’espace.
Des créations plus classiques
Emilie Rousset propose une pièce courte à travers un verger. Trois artistes-interprètes nous parlent d’agriculture. Malgré quelques passages comiques, il y a certaines longueurs composées de mots trop techniques déblatérés trop vite pour qu’on en saisissent le sens. Le collectif espagnol El Conde de Torrefiel nous place face à notre propre responsabilité de ce qui se passe au niveau environnemental. Dans un dispositif ingénieux, celui d’un écran sur lequel défile un texte poétique d’une grande intelligence. Un gros bourdonnement qui sort des enceintes nous fait trembler. C’est la Nature qui nous parle. Chiara Bersani et Marco d’Agostin nous proposent d’allier corps et paysages lors d’un pique-nique un peu particulier. La voix off de cette création nous invite à porter attention au paysage. S’en suit un numéro poétique et dans la lenteur des corps entre deux danseurs, l’un en situation d’handicap, l’autre non.
Sofia Dias & Vítor Roriz proposent ici un audio guide séparant deux groupes qui pousse les participant·es au contact. Par ce biais-là, les spectateurs explorent l’appréhension de l’autre, sa rencontre avec la nature. Des sourires complices s’échangent, des regards d’incompréhension mais aussi de surprise. Le spectacle réside ici en nous et ne pourrait exister sans le public qui est finalement acteur. L’expérience est très intéressante et les indications, qui pourraient paraître arbitraires, sont finalement d’une grande douceur et permettent de balayer toute timidité.
Paysages partagés, une pièce présentée au festival d’Avignon du 7 au 16 juillet. Durée : 7h. Prix : 10-40euros.