Marguerite : le feu est le fruit de la fascination de l’autrice, comédienne, metteuse en scène et activiste d’origine anichinabée Emilie Monnet pour l’histoire de Marguerite Duplessis.
Créé l’an dernier au Canada, Marguerite : le feu débarque dans le prestigieux « In » festival d’Avignon. Marguerite Duplessis est la première femme autochtone à revendiquer ses droits pour tenter de garder sa liberté. Réduite en esclavage, elle entame un procès contre le gouvernement québécois. Après le procès, plus de trace de Marguerite. Elle finit par embarquer dans le bateau pour la Martinique, envoyée en tant qu’esclave. Mais l’histoire de Marguerite ne s’arrête pas là. Cette femme est devenue un symbole, celui de la femme forte qui se bat et se soulève pour ses droits.
Quatre comédiennes se retrouvent sur le plateau, en chœur ou en solo. Elles incarnent le bouillonnement de Marguerite et véhiculent sa mémoire. Une structure en forme de coque de bateau oblique sur laquelle sont projetées des images est en fond de scène. Ce même bateau qui surplombe Marguerite, symbole de son futur injuste mais inévitable. Malgré ça, Marguerite ne se taira pas et continuera à se faire entendre deux siècles auparavant comme aujourd’hui.
Le spectacle s’ouvre sur des gémissements, la salle plongée dans le noir. Le feu commence déjà à se faire ressentir. Quatre femmes arrivent une par une sur scène et se placent sur des troncs coupés, objets supports de leurs ébats. « Agrippe-moi fort par les cheveux pour que dans ma gorge, s’enfonce plus loin ta queue. Disloque ma mâchoire et frappe-moi encore et encore », déclame Emilie Monnet d’une voix suave. Le malaise et l’incompréhension gagnent la salle. Un parallèle maladroit se dresse alors entre pratiques BDSM (bondage, domination, sadisme, soumission, masochisme) et esclavage. Ce premier moment laisse dubitatif. Bien que très bien exécutée, la séquence est incohérente avec ce qui suit.
Résurrection et devoir de mémoire
La question de la mémoire et de son traitement sur scène est au cœur du spectacle. La mémoire se retrouve dans les corps et les voix, passant de danses enragées à des chants transcendants qui traversent le temps. La mémoire se transmet par le son, celui des mots, des essoufflements, des corps qui martèlent le sol et d’enregistrements audios bourdonnants. L’emploi de la langue autochtone traverse alors le temps. L’histoire de Marguerite est dépoussiérée.
Un travail conséquent est fait sur les mots, la diction et le rythme d’élocution. Les mots prononcés, répétés, chuchotés, criés, s’immiscent dans nos têtes. Le nom « Marguerite Duplessis » continuera à faire écho dans la tête des spectateurs. Très souvent, lorsque l’une d’entre elles déclame son texte, le chœur bourdonne des sons, des mots, des plaintes, cris. La complicité des quatre femmes sur ce plateau quasi-vide offre un cadre intimiste à l’Histoire. Un travail de chœur remarquable qui laisse aussi place à la singularité de chacune.
Un pont entre passé et présent s’illustre par les tenues électriques des actrices. Les franges de leurs costumes accompagnent leurs mouvements, appuyant le caractère guerrier de ces femmes. Le plateau presque nu n’induit ni lieu ni temps précis. Ici, passé, présent et futur se mêlent au service de la mémoire. Des rituels de danse et de chant traduisent toute la rage et appellent à l’imaginaire collectif du passé et de la culture autochtone. Ces moments-là sont forts, chargés d’histoire, de rage, d’espoir dans le désespoir.
Un voyage documentaire avant celui du plateau
Emilie Monnet découvre Marguerite Duplessis et son histoire. Fascinée et intriguée, elle se lance dans des recherches approfondies et finit même par entamer un voyage à la Martinique. Avant d’être transplantée sur le plateau, l’histoire de Marguerite a fait l’objet d’une série de podcasts appelée Marguerite : la traversée, enregistrée par la même metteuse en scène. S’en est suivi la réalisation d’un parcours sonore et performatif dans les lieux de mémoire du Vieux-Montréal, Marguerite : la pierre. On peut se questionner sur la nécessité d’un spectacle au plateau. Qu’apporte la forme théâtrale en plus de ces deux projets ? Emilie Monnet tente de répondre à cette question dans Marguerite : le feu.
Ce long travail de documentalisation est indispensable. Cependant, on se retrouve rapidement assailli par toutes ces informations qui se chevauchent et s’enchaînent rapidement. La plupart du temps, ces informations sont relayées avec un ton lancinant et pédagogue qui peut importuner voire ennuyer. Malgré ces passages en longueur, l’incarnation de l’histoire fonctionne grâce à la corporalité et la vocalité remarquables des comédiennes. C’est la petite histoire dans la grande, ce pan oublié voire jamais su qui soulève pourtant un événement majeur de l’Histoire. C’est sûrement là que réside l’une des fonctions du théâtre : celle de donner voix à ceux qui n’en n’ont pas, celle de souligner ce que personne ne met en lumière ou n’a envie de remarquer.
Marguerite : le feu, un spectacle d’Emilie Monnet, au festival d’Avignon jusqu’au 11 juillet. Durée : 1h. Spectacle en français, surtitré en anglais.