CINÉMA

« Élémentaire » – Mon cher Pixar…

Élémentaire © Disney/Pixar
Élémentaire © Disney/Pixar

Réalisateur du discret Le Voyage d’Arlo, Peter Sohn livre cette année son deuxième effort chez Pixar avec Élémentaire. Si le film envoie tous les signaux suggérant la fraîcheur et l’originalité qui ont fait les grandes heures du studio, ce cru 2023 s’avère laborieux et peu inspiré. 

Ces dernières années, la production Pixar s’est divisée selon deux axes, d’après le nouveau patron Pete Docter. Un axe commercial-franchisé, avec des titres comme Cars 3, Les Indestructibles 2 ou encore Buzz L’Éclair, et un axe plus défricheur et original, où l’on trouverait Vice Versa, Soul et Luca. Les premiers, étant généralement d’importantes mannes économiques, permettant de financer sereinement les seconds.

Sur le papier, Élémentaire devrait se situer très clairement sur la deuxième ligne. Ce n’est pas une suite, il peut se résumer par un pitch fort, et porte la promesse d’un film familial offrant une lecture métaphysico-politique profonde. Sa projection en clôture du dernier festival de Cannes achève de le positionner comme un Pixar «  légitime  ». Pourtant, il est difficile de ne pas voir ce dernier opus comme une production bien lisse et balisée. Élémentaire vient brouiller ce clivage commercial/original, voire en faire deux revers d’une même pièce. Sans doute malgré lui, Sohn amène de nombreuses question sur ce qui fait aujourd’hui la singularité de ces films d’animations californiens autrefois prisés du public et de la critique. 

À Element City, les individus incarnent chacun l’un des quatre éléments : eau, terre, vent ou feu. Selon cette diversité s’organise une partition de classe et d’ethnie. Les Aquatiques symbolisent la classe installée et dominante, et les Flamboyants, des immigrés marginalisés vivant dans un ghetto en banlieue. Les deux autres éléments, Terre et Vent, font office de figuration et sont rapidement évacués. Flam, une flamboyante, et Flack, un aquatique, se rencontrent.

Politique en toc

Dès ses premières minutes, où la famille de l’héroïne arrive en ville, le film rejoue frontalement l’iconographie des immigrés arrivant à New-York, au début du siècle précédent. Passant par l’équivalent de Ellis Island, les parents de Flam se voient renommés par un fonctionnaire qui peine à écrire correctement leur nom de famille. La métaphore est limpide, et à de quoi intéresser au premier abord. 

Mais rapidement, la narration abandonne toute lecture politique et structurelle. Élementaire raconte la romance censément impossible entre Flam, qui est, dans le système social du film, une prolétaire racisée, et Flack, un aquatique, qui lui est un bourgeois privilégié. Ce qui devrait être la conflictualité tragique de ce duo, dont les deux moitiés s’annulent l’une l’autre, devient un inconvénient mineur, et une source de gags légers. La rencontre de Flam avec sa belle famille, dans un appartement rempli d’eau, qui pourrait donc l’annihiler, devient un vaudeville maladroit, qui envoie des signaux de violence symbolique, lourdauds et inconséquents. Rien ne blesse, rien n’est grave, et ces enjeux sociaux n’ont aucune influence sur les personnages. 

Les conflits de classe passent à l’arrière plan, les difficultés structurelles s’évanouissent, et le portrait de la ville disparaît. C’est l’histoire beaucoup plus standard de deux individus, qui sont moins opposés par leur classe sociale que par leur tempérament, qui apprendront à s’aimer malgré leurs différences. Est-ce bien honnête de reprocher à un film Pixar de ne pas proposer une lecture critique de la lutte des classes à l’œuvre entre ses héros ? Pas forcément, mais ça le devient quand le film envoie tant d’indices suggérant sans ambiguïté un récit politique.

Des paroles, des paroles, des paroles 

Du début à la fin, Élémentaire décrète quantité de choses – l’intrigue du film est extrêmement touffue et riche en détours, pour une histoire au fond assez convenue – qu’il ne fait jamais advenir à l’écran. Il se décrète être un film politique, qui est finalement la romance standard entre deux individus exceptionnels, qui parviennent à dépasser la structure grâce à leur force et détermination personnelles. Il décrète une inventivité visuelle, découlant de ce concept où des éléments entrant en conflit chimique devraient créer des aberrations originales à l’image, pour la réduire à quelques gags épars, et livrer au bout du compte 1h41 assez monotone, dans sa direction artistique comme sa mise en scène. La qualité technique des animateur·ices de chez Pixar est au rendez-vous, mais est devenue presque un attendu, qui ne suffit pas à se dispenser d’un découpage moins ronronnant. 

Il décrète le drame et le tragique, sans jamais le faire exister. À la manière du court-métrage qui précède la séance, un spin-off de Là-Haut aussi opportuniste qu’obscène, plus le filme tente d’émouvoir, plus il y échoue. Il oublie que les grands Pixar contenaient leur lot de brutalité et d’irréversible, et refusaient les happy-ends faciles.

Enfin, il décrète la beauté. Très régulièrement, Élementaire tente de déclencher des moments de licence poétique : la confection d’une boule de verre soufflée, la découverte d’une fleur rare, la création d’une larme impossible. Autant de séquences qui cherchent l’effet «  wahoo !  », qui restent souvent très artificielles et verrouillées. Aucune ne parvient à dépasser la surface, et à s’approcher de la grâce que pouvait avoir la simple vision d’une baleine dans Le Monde de Nemo

Que reste-t-il ?

Élémentaire charrie tous les codes et promesses de ce que devrait être le bon Pixar, ce qui a créé l’image de marque respectable du studio dans le milieu de l’animation occidentale. Mais tout ceci se déploie ici d’une façon artificielle et industrieuse, qui ne parvient jamais à monter en poésie. La réputation et le moule de la firme semblent avec ce film être devenus des poids paralysants plutôt que le souffle d’une production qui parvenait réellement, autrefois, à émerveiller petits et grands. 

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