La Lutte est une fin est le premier court métrage d’Arthur Thomas-Pavlowsky. Reparti de Clermont-Ferrand en février dernier avec le Grand prix du jury de la compétition nationale, son film était de nouveau en compétition au CEFF.
La Lutte est une fin faisait partie de nos coups de cœur de Clermont-Ferrand. Près de six mois plus tard, nous avons pu prolonger l’expérience en rencontrant son réalisateur, Arthur Thomas-Pavlowsky. L’occasion de revenir sur son parcours, ainsi que sur les enjeux propres à la réalisation d’un film sur la boxe. Comment rendre la dimension collective d’un sport trop souvent mis en scène par le cinéma comme uniquement individuel ? Quelles perspectives politiques s’ouvrent par la pratique d’une boxe prolétarienne – celle que promeut le collectif filmé dans La Lutte est une fin, Boxe Massilia ?
La Lutte est une fin est ton premier court métrage. Est-ce que tu peux revenir sur ton parcours professionnel ?
Je suis éducateur spécialisé de formation. J’ai pratiqué quelques années, mais je me suis vite retrouvé confronté aux réalités de ce travail, qui étaient trop dures pour moi. J’ai donc décidé de me réorienter.
J’ai toujours eu cette idée de faire du cinéma documentaire. Et il y a eu une forme d’évidence dans la suite de mon parcours d’éducateur spécialisé. Car j’avais envie de créer et je trouvais que le documentaire offrait un peu cette possibilité de la rencontre que l’on peut retrouver dans le travail social. Mais je voulais pouvoir extérioriser cela, lui donner une forme. Chose qui n’est pas possible dans la pratique d’éducateur spécialisé.
Je me suis donc inscrit en master d’écriture et de réalisation de film documentaire à Marseille.
C’est à ce moment que tu as eu l’idée de filmer le collectif Boxe Massilia ?
L’un des attendus de mon master était d’écrire un projet de film en première année et de le réaliser la seconde. Je devais donc trouver un sujet sur Marseille. Dans le même temps, je voulais trouver un moyen d’apprendre à gérer la violence physique. C’est une envie qui était liée à mon parcours personnel mais aussi à mon travail d’éducateur spécialisé. Je voulais changer mon rapport à la violence. Un rapport dans lequel je me retrouvais figé dans les situations de violence. Un moyen évident qui m’est alors venu en tête était donc d’apprendre la boxe.
On m’a donc conseillé le collectif Boxe Massilia, qui est un collectif ouvertement politisé. Il organisait alors des cours à prix libre dans une MJC. Dès le début, j’ai été marqué par l’ambiance. C’est-à-dire que le public était très hétérogène, dans une salle où il y avait beaucoup trop de monde. J’ai vu tous ces gens qui apprenaient à se battre. Et ça m’a questionné. D’autant qu’ils revendiquent le fait que c’est un apprentissage de la boxe, au moins lors des cours à prix libre, non viriliste – sans pour autant sacrifier le côté compétition. C’est là que naît mon fantasme de film.
Le collectif t’a donné son accord rapidement ?
Oui. J’ai rencontré Jules, l’un des fondateurs du collectif, qui est un syndicaliste de la CGT chômeurs et précaires. Je lui ai dit que je voulais filmer. Il était d’accord. Au même moment, pour lui, il y a l’enjeu de vouloir créer un lien entre le syndicat et le collectif. Donc émerge un double enjeu très dramaturgique : celui de la lutte politique et de la lutte physique. Cela vient soulever plein de questions, notamment sur l’utilisation de la violence dans la lutte syndicale par exemple.
Ensuite, le projet de film n’a pas été retenu en deuxième année de master. Mais finalement, j’ai continué de mon côté et j’ai obtenu un appel à projet du GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques, ndlr) qui m’a permis d’avoir des financements un peu inespérés. Sans ça, on partait en autoproduction.
C’est un sacré enjeu de filmer les corps en mouvement. Tu avais des idées précises de ce que tu voulais rendre visuellement ?
Pas vraiment, du moins dans un premier temps. Je suis vraiment entré dans le sujet par l’envie de questionnement politique. Et j’avais assez peu d’expérience dans le cinéma. Donc j’avais du mal à envisager la forme.
Ce qui a été très enrichissant pour moi, c’est que j’ai travaillé avec Antonin Erat et Agathe Nevière à l’image, qui étaient beaucoup plus sensibles à ces questions de photographie et de lumière. Iels ne m’ont pas laissé le confort d’y aller les mains dans les poches en attendant de voir ce qui pourrait se produire à l’image.
Pour ce qui est des couleurs, je voulais rendre le côté désuet des couleurs pâles du lieu. Il y avait un beau contraste entre cette pâleur et la chaleur des corps en mouvement. On a donc essayé de trouver une couleur un peu atemporelle, avec du grain aussi pour faire se rencontrer le passé et le présent.
Il y avait des écueils à éviter ?
Le GREC m’a poussé à affirmer un point de vue. Car il existe déjà mille films de boxe. Il fallait que je me pose la question de savoir ce que j’allais apporter par mon film.
La boxe est tellement cinématographique que le risque c’est de tomber dans quelque chose de très suivi – et qui est très beau – mais qui ne tient pas un film. Il n’y a pas d’évolution possible. Donc l’idée c’était de voir ce que le collectif mettait en place, et de réussir à le filmer. Il y avait l’idée des individus qui nourrissent le collectif et inversement.
Des choses étaient très évidentes, comme la fin. Je voulais finir par un combat collectif. C’était un enjeu de montage très difficile, d’ailleurs. Pour ce qui est de filmer les corps, je voulais que dans un premier temps on voie l’occupation de la Bourse du travail par les corps. Qu’on voie l’investissement collectif dans l’espace. Donc d’abord des plans fixes dans lesquels les corps bougent.
Je voulais rendre tout ça par la forme. C’est pourquoi il y a une évolution du plan fixe à la caméra à l’épaule. On est parti·es à la recherche de l’apprentissage du mouvement, par la répétition. Et par la suite, on s’est rapproché·es des corps.
L’un des enjeux principaux de La Lutte est une fin, c’est aussi le principe d’auto-organisation du collectif. Ce qui fait que ton film est un film de boxe, mais qui s’éloigne du récit très libéral d’épanouissement individuel par la pratique de la boxe. Comment y es-tu parvenu ?
Il y a quelque chose de d’abord très évident, c’est que c’est ce que défend le collectif. Boxe Massilia est très critique du monde de la boxe actuel qui a une pratique du sport capitaliste. Eux sont communistes. Ce que je trouvais beau, c’est qu’ils ont vraiment cette idée de dire « On nous a volé notre pratique. Mais on va s’organiser pour réapprendre les fondements, ensemble, du sport ». Ce qui est super fort, c’est que ça ne se limite pas à la pratique sportive. Il y a tout un fond théorique et l’organisation de galas de soutien aussi. Tout ça est de l’ordre de l’espoir, en fait.
Ensuite, on m’a poussé à faire un film de personnage. C’est vrai que Maho crève l’écran. Mais j’ai toujours eu cette idée du collectif, et je ne voulais justement pas tomber dans la singularisation. Car j’ai rencontré Maho par le collectif, et lui me parlait du collectif aussi. Donc je voulais essayer de trouver un moyen de raconter cette histoire par le fait que ces individus sont en résistance et ont du pouvoir parce qu’ils sont en collectif.
Tout l’enjeu du montage a donc été de faire vivre des individus dans du collectif. Je voulais partager le savoir que m’ont transmis Maho et les autres sur la boxe et son histoire. C’est un sport assez révolutionnaire, je crois. Et c’est vrai que dans le cinéma, il a souvent été utilisé à des fins dramaturgiques mais comme un truc de développement personnel. C’est toujours la figure du pauvre qui va finir par, je schématise, se renforcer par son apprentissage de la pauvreté et qui va s’en sortir – mais tout seul ! Il y a parfois quelque chose d’assez charitable et qui dit « Ah la force du pauvre qui s’en sort, c’est génial ». Et qui dit aussi que dans cette société, si tu es pauvre, si tu te bats bien tu pourras t’en sortir. Eux prennent le contre-pied de tout ça.
D’ailleurs le générique de fin se déroule sur une scène de cours de boxe en extérieur, marquant une rupture avec le huis-clos du reste du film...
Le film n’a pas toujours été un huis-clos. Mais au final quand le collectif a commencé à s’entraîner dans la Bourse du travail, le huis-clos s’est imposé et m’a permis de me cadrer et de ne pas partir dans tous les sens.
Jusqu’aux derniers jours de montage, ce plan d’entraînement extérieur n’existait pas dans le film. Je voulais vraiment terminer par le combat collectif. Une idée pas très originale : je ne voulais pas terminer par l’individu. Et puis une amie réalisatrice avec plus d’expérience nous aidé·es. Elle a mis ce plan à la fin. Ça a décalé la fin que j’avais, qui était un peu trop didactique. Là, il me semble que ça donne une autre idée : c’est à cet endroit que ça se joue. À la fin, c’est bien dans ces espaces publics extérieurs qu’il faut reprendre de la puissance. Et ça rejoint ce que dit Maho à ce propos.
Qu’envisages-tu pour la suite ? Qu’est-ce que le grand prix de Clermont a changé pour toi ?
Le prix change tout, pour être honnête ! Déjà, la sélection à Clermont permet une grosse visibilité. Mais avec le prix, du jour au lendemain des festivals ont appelé pour avoir le film, ainsi que des producteurs. Ça donne aussi la légitimé de passer au deuxième film. Donc là, je suis sur l’écriture d’un documentaire sur une institution dans laquelle j’ai travaillé en tant que travailleur social.
La Lutte est une fin est disponible gratuitement sur France.tv jusqu’au 14/09/2023.