CINÉMA

(Re)voir – « Raining in the Mountain » : La montagne magique

Raining in the Mountain (1979) © Lo & Hu Company Productions Ltd.
© Lo & Hu Company Productions Ltd.

Révélé avec L’Hirondelle d’Or en 1966, puis consacré grâce à la récompense cannoise de A Touch of Zen, King Hu est considéré comme l’un des porte-étendards du wu xia pian, le film de sabre chinois. En 1979, il sort Raining in the Mountain, disponible sur Arte.tv jusqu’au 13 août 2023 — de même qu’All the King’s Men, réalisé en 1983.

La Chine, sous la dynastie Ming (soit, environ, le XVème siècle). Sentant sa mort approcher, le bonze supérieur du monastère bouddhiste des Trois Joyaux prépare sa succession. Il invite trois prestigieux invités — un riche marchand, un général et un sage — pour recevoir leurs conseils. Alors que chacun essaye de placer son candidat pour prendre le pouvoir, tout le monde veut secrètement dérober un parchemin à la valeur inestimable.

Les jardins suspendus

Situé quelque part entre le wu xia pian, la fable politique et le film d’espionnage et de braquage, Raining in the Mountain est un film plutôt inclassable qui se déroule dans un lieu insolite. Il s’agit de ce monastère au cœur d’un massif rocailleux constitué de montagnes, de collines, de falaises et de cours d’eau. Pour y arriver, on arpente en silence ces terrains accidentés, baignés de soleil et d’une légère brume et qui portent en eux une grande part de l’onirisme du film. L’établissement sacré est labyrinthique et coloré, à la fois hors du monde et du temps. Il regorge de cachettes et de recoins dans lesquels les personnages s’épient, s’écoutent, et que King Hu filme avec une grâce et une limpidité inouïes.

Lors des scènes d’infiltration – notamment la première, magistrale – Hu fait preuve d’une maîtrise absolue de l’espace filmé et du rythme de son récit. Le cinéaste prend à son avantage la variété de perspectives qu’offre le décor et pense toujours parfaitement son cadre. Par exemple, en un seul plan, sans coupure ni mouvement de caméra, un personnage se faufile dans une porte dérobée pour échapper aux regards d’autres protagonistes qui s’apprêtent à passer ; une fois ceux-ci disparus, la cachette se libère et la quête continue.

Appuyé par la très belle musique faite de percussions de Ng Tai Kong, Hu réalise – et c’est lui-même qui monte le film  – une superbe scène de suspense. Le but de la scène n’est pas explicité, et la dilatation du temps laisse également le spectateur spéculer sur le sens de cette course. Dans cette mission commando où la discrétion est de mise, il laisse à voir toutes les subtilités du jeu de chats et de souris qui se déroule sous nos yeux.

Raining in the Mountain (1979) © Lo & Hu Company Productions Ltd.

Éloge du mouvement

Dans Raining in the Mountain, les arts martiaux, propres du wu xia pian, existent par petites touches. C’est que King Hu semble aller au bout des idées que l’on apercevait dans ses précédents films. Depuis L’Hirondelle d’Or, il s’est petit à petit éloigné du matérialisme brutal qui était en vogue chez des cinéastes comme Chang Cheh. L’art martial, chez King Hu, est empreint de spiritualité. Les scènes de bagarres sont d’ailleurs autant éparses que tardives dans Raining in the Mountain.

Gracieuses et esthétiques, celles-ci ramènent les corps qui s’affrontent dans leurs aspects les plus légers, aériens, voire surnaturels. L’aspect chorégraphique des combats chez Hu provient de l’appétence de celui-ci pour l’opéra pékinois. Il y a de l’épure dans la façon dont les corps se déplacent, s’affrontent et interagissent entre eux, mais aussi dans ces visages souvent peu expressifs.

En contre-point, le montage de King Hu se veut être le moteur des scènes d’affrontement. Les sauts majestueux des acteurs et actrices sont ainsi fragmentés d’une multitude de plans très rapides dont les mouvements internes créent une opposition visuelle dans les collures. Du reste, ce montage ultra lisible rend justice à l’hallucinante virtuosité des belligérants. En résulte une sensation de foudroyante vitesse d’exécution, et un impact émotionnel fort sur le spectateur.

All the King’s Men (1983) © Lo & Hu Company Productions Ltd.

Les fous du roi

Dans Raining in the Mountain, il est question de la lutte entre différents moines pour convaincre le bonze supérieur de les désigner comme successeur. Mais il s’agit aussi et surtout d’un affrontement qui oppose les différents clans que le film introduit durant sa première heure — le sage, la voleuse et leur complice d’une part, les militaires d’autre part, ainsi qu’un prisonnier, le tout arbitré par le marchand. Mensonges, duplicités et complots se jouent dans les interstices du lieu sacré, dont la pureté et la quiétude ne sont qu’apparentes.

La lutte pour le pouvoir, les jeux d’influence et les intrigues sont également les thèmes de All the King’s Men. Réalisée en 1983, cette farce politique aux accents shakespeariens se déroule à la fin de la dynastie Zhou (soit le Xème siècle). À la cour de l’Empereur, un médecin profite de la faiblesse et de la maladie du souverain pour l’empoisonner lentement mais sûrement. Le premier ministre voit clairement les manigances du docteur et fait chercher un talentueux praticien pour sauver l’Empereur.

On croise dans ce ballet d’intrigues divers personnages hauts en couleur. À l’épicentre se trouve bien sûr l’Empereur dont les accès de folie se multiplient, le rendent bien souvent imprévisible et surtout inapte à gouverner. En plus des ministres et autres militaires pétris d’ambitions, il y a ce peintre rêveur et dilettante ; ce voleur, qui affirme s’être rangé mais n’a rien perdu de son talent ; et bien sûr ce médecin manipulateur.

L’absurdité et le laconisme de la résolution viennent balayer d’un sec revers de la main toutes les pistes que le film avait avancées, et parachèvent l’ironie cruelle et sombre de cette histoire.

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