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Rencontre avec Sabrina Bellaouel : « Je cherche vraiment à créer des bandes sons de ma vie »

© Marine Keller

En mars sortait l’excellent Al Hadr, nouvel album de l’artiste protéiforme Sabrina Bellaouel. C’est une immense réussite. Rencontre.

Elle navigue entre les styles et ne se met aucune barrière. Sabrina Bellaouel dévoilait il y a deux mois son nouveau disque, Al Hadr. Cette album concept fait le pont entre le r’n’b et l’électro, d’une façon nouvelle et innovante qui ne ressemble qu’à son autrice. On a rencontré l’artiste dans un café du sud de Paris pour parler collaborations, rap et mélange de styles. On a même évoqué Nouvelle École…

Salut Sabrina ! Tu seras à We Love Green dimanche 4 juin mais tu joues en même temps que Crystalmess qui est sur ton dernier album. Est-ce qu’on vous verra ensemble sur scène ?

Il faut venir, hein ? [rires] Je ne sais pas, j’aimerais bien, j’aimerais vraiment qu’elle soit là pour vraiment performer le morceau. Ça serait génial mais je pense que ça demande peut-être une intimité, quelque chose de particulier. C’est un morceau particulier pour moi alors le délivrer comme ça sur un set de festival où on est un peu censé tracer… Je ne sais pas si ça mettrait en valeur le message.

Tu dis que ce morceau est particulier pour toi. Pourquoi ?

Déjà, il est central, il est placé au centre de l’album. Il a une symbolique particulière, c’est un morceau qui raconte vraiment l’essence de Al-Hadr, c’est vraiment résumé en quelques phrases. C’est une espèce de rappel à qui on est, au corps aussi, qu’on est des divinités incarnées et ça met vraiment l’accent sur être responsable et conscient de soi, de son énergie, de faire des choses bien pour soi, pour les autres. Être vraiment consciente de sa présence et de l’impact de l’énergie qu’on peut avoir sur les autres.

En tant qu’humain ?

Oui, peu importe tes origines, tes opinions politiques. On reste des humains et c’est important d’être conscient de son énergie et sa présence, et de pouvoir naviguer. C’est juste conscientiser l’importance de soi, de son énergie et de l’impact qu’on peut avoir ici sur les autres. C’est vraiment tout simple, voilà le message de l’album. « Al Hadr » c’est le moment présent et j’ai réalisé qu’après des années et des années de vécu, d’expérience, on a souvent tendance à être coincée par rapport aux gens, à un souvenir. On est très nostalgique, en tout cas moi. J’ai eu tendance à laisser des parties de moi dans le passé et je suis allée les chercher comme des horcruxes un peu partout. C’est ça les pièces de cet album. Je suis enfin complète et en cohérence avec moi-même. Ça me permet d’avancer plus sereinement parce que je n’ai plus d’horcruxes à récupérer. C’est hyper simple, mais de conscientiser ça, ça a changé ma vie.

C’est un album concept en fait !

Oui, en fait, le titre est arrivé à la fin. J’ai vraiment été comme une exploratrice. Je suis allée chercher des bouts de moi. C’est compliqué d’avoir une vision claire de ce que tu veux et pour moi c’était important de réaliser qu’il fallait que je sois ancrée dans mon présent pour pouvoir construire des choses, parce qu’avant c’était trop chaotique.

Tu préfères que ça se soit fait dans ce sens-là ?

Je n’arrive pas à faire de la musique autrement. C’est comme ça que ça que je fonctionne. C’est les choses qui s’imposent à moi mais elles s’imposent à travers des expériences et ensuite j’en tire la leçon. Il faut la marquer, cette leçon. En général, ça se manifeste par des albums.

J’avais ce sentiment là en l’écoutant, que tu te dévoiles aux yeux du grand public, que ça soit sur la pochette déjà…

Ouais c’est vrai. Il y a un moment où j’ai senti qu’il était prêt, enfin que moi j’étais prête à le délivrer. Parce qu’il englobait plein de facettes de ma personnalité. C’est au moment présent. Demain, je serai quelqu’un d’autre. Je vais explorer d’autres trucs et je trouve que la liberté qui a autour de ça est hyper intéressante, c’est galvanisant.

Et même musicalement, tu as parcouru du chemin !

Alors, qu’est-ce t’en penses ?

Celui-ci est mon préféré. J’en ai parlé à tous mes ami·es dès la sortie ! Mon morceau préféré c’est « Period Point Blank ». C’est le morceau le plus électro, quel a été le cheminement pour aller vers l’électro ?

J’ai toujours aimé l’électro, j’en ai franchement toujours écouté, mais je me sentais pas, c’est venu avec la production. C’est venu avec le fait que je commence à tâtonner un peu avec Logic. J’ai toujours eu cette curiosité de la musique répétitive, de la recherche de textures et j’espérais montrer vachement avec ma voix. J’avais envie de danser, j’avais juste envie de danser sur des tracks. J’étais motivée par l’envie de bouger et de faire de la musique que j’avais envie d’entendre, d’écouter. J’ai toujours créé des morceaux assez lents, avec beaucoup d’ambient et le fait de changer de BPM c’est aussi un reflet de ma vie, elle est beaucoup plus active, vers l’extérieur. Je voyage beaucoup plus et ça a un gros impact aussi sur ma vision de la musique et ce que j’ai envie d’entendre. Je cherche vraiment à créer des bandes sons de ma vie. Quand on me dit album concept, pour moi, c’est ça le concept principal, c’est de créer, de la musique qui t’accompagne. Ça t’influence aussi sur ton énergie. Quand tu fais de la musique rapide tu as envie d’être dans un cycle rapide. C’est ce qui me fait vraiment vibrer quand moi je fais de la musique.

Tu as produit toute seule ?

Ça a été de la coproduction. Les maquettes c’est moi et j’ai collaboré avec un super gars qui s’appelle Basile3. Il est chez Infiné et il fait beaucoup de musique électronique. Il est fan de r’n’b, j’étais fan de musique électronique et surtout de la sienne et on s’est dit viens on essaye des trucs. On s’est posé en studio, on a fait pas mal d’échanges et on s’est retrouvé en arrangement ensemble. Il y avait une vision commune. Il est hyper surprenant ce gars. C’est un poisson donc la musique c’est son langage et il a un truc de profondeur. Parfois moi je suis bloquée à l’esthétique et lui a un truc de profondeur qui fait qu’il y a un ressenti différent. Moi, je vois des fresques, je vois des images, je vois des couleurs et lui, il voit des mouvements. C’est hyper différent.

Comment ça s’est fait cette signature avec Infiné ?

Ils me connaissaient, ils avaient entendu parler de moi, ils sont venus me voir en concert à l’international il y a un bon moment, j’allais jouer mon EP illusion. On a discuté, ils ne savaient pas que je produisais. J’étais encore aux balbutiements de la production. Ils avaient déjà entendu un potentiel pour eux qui était intéressant, c’est-à-dire le mariage du r’n’b et de la musique électronique. Ils ont trouvé ça intéressant et on a poussé le truc. Moi, je tâtonnais encore. J’avais pas forcément confiance en mes capacités de produire des choses vraiment de A à Z. Ils m’ont poussé à le faire. Il y a We Need To Be Ennemies qui est sorti et ça m’a donné la légitimité.

Les deux featurings sur ton album sont Crystalmess et Bonnie Banane. On dirait presque que tu veux réconcilier ces 2 styles, l’électro et la pop…

Bonnie Banane, tout le monde le sait, c’est une de mes meilleures amies, c’est ma sœur. J’ai énormément d’admiration pour elle. Pareil pour Cristal. J’avais envie de créer un pont intéressant avec Boni, non seulement parce que c’est Boni, mais en plus sur cette forme musicale là. C’est un morceau beaucoup plus lent, c’est un univers un peu Twin Peaks enfin, on a essayé. C’est un slow, c’est un arrêt dans le temps. Elle est moi on se regarde et on dit au revoir à qui on était. Cette chanson est précieuse. En plus c’est la fin, elle clôt l’album. Pour le morceau avec Crystalmess, il est en plein milieu, c’est une sorte de pont qui est une sorte de jonction entre une première partie de l’album et une deuxième. J’ai tellement d’admiration pour ces femmes-là que c’est un honneur pour moi de les avoir sur mon album ! Le fait qu’elles aient accepté je trouve ça beau, en termes de symbolique et dans l’artistique, dans le musical, c’est important de faire des collaborations comme ça. Le fait que ce soit des femmes. Crystalmess est tellement riche, dans sa personnalité, dans ces productions, je ne l’ai pas invitée en tant que DJ, c’est elle. C’est une femme qui avait quelque chose. C’était important de mettre en lumière son discours, c’est pour ça qu’il n’y a que des chœurs derrière. J’ai essayé de lui présenter un environnement où elle peut prendre la parole et délivrer son message pour toucher un maximum de personnes.

Tu la connais depuis longtemps Bonnie Banane ?

Ouais, depuis 2011. On avait des amis en commun, on devait se voir à Paris mais on n’a pas pu. On s’est retrouvé à Londres, elle m’a envoyé un message et on s’est rencontré sous un pont. Je sais pas ce qu’elle y faisait, elle était coincée là. On a discuté. Elle était fan d’un morceau que j’avais fait avec Jimmy Whoo qui s’appelle On My Fancy Bed. Elle m’a dit qu’elle écoutait énormément ce son et elle venait de sortir Rapt, son EP incroyable. C’était un coup de foudre ! On s’est dit qu’un jour on collaborerai ensemble et voilà !

Son dernier EP S.O.S est vraiment très jungle et électro, ce qui change de ce qu’elle fait d’habitude…

Je pense qu’on se retrouve là-dessus : il n’y a pas de limite dans la musique ! T’écoutes un truc et il y a une une chimie qui se passe à l’intérieur de toi. C’est comme ça que ça se passe aussi je pense dans son cheminement à elle, c’est qu’elle a envie de se surprendre. Ne pas être tout le temps catégorisé dans un style. C’est ce qui fait partie de sa magnifique cette évolution. C’est pour ça qu’elle m’intéresse toujours, tous les jours. Et que je suis pressée d’écouter ce qu’elle va faire après, ça crée une sorte d’engouement, même auprès de ses amis.

Côté influence, quand j’ai écouté ton dernier album, j’ai tout de suite pensé à 070 Shake. Je trouve qu’il y a cette même énergie à la fois soul et électro. Revendiques-tu des influences outre-Atlantique ?

Quand je compose j’essaie d’écouter le moins de musique possible pour justement pas être trop influencée et créer ma propre bulle, mes propres couleurs. C’est important. Mais j’écoute de la musique outre atlantique depuis que je suis petite et forcément je pense qu’il y a des bouts de couleurs et de textures, de vibe. Même les paroles ! Mais pour cet album, j’ai beaucoup écouté Steve Reich parce que c’est New York. C’est New York et aussi parce que ça appelle à du visuel. Ça fait marcher mon imagination d’une façon différente. Quand j’écoute de la soul, je suis connectée à Dieu, je ne vois rien d’autre. Le r’n’b c’est un truc de love pour moi, ça me fait penser à mes relations, ça me fait donne envie de lover ! Le hip-hop, ça me donne c’est un truc, une énergie presque agressive. Et en fait, quand je compose j’ai plus d’idées de visuel, c’est des balades vraiment dans mon imagination. J’avais besoin d’être stimulée dans mon imagination afin de pouvoir créer la musique. Et je pense que Steve Reich, ça m’a vachement donné ça.

Est-ce que ça te manque de faire du rap, du hip-hop et d’être dans ces milieux là ?

Non, parce que je suis toujours là-dedans. C’est mon entourage, tous mes amis avec lesquels j’ai commencé la musique font ça, ce style-là. Mon âme est appelée à faire autre chose en ce moment. Ça ne veut pas dire que je n’en écoute pas. Il y a un temps pour tout, là je suis en mode exploratrice. Ça va peut-être revenir, mais avec une rencontre, un producteur ou même une envie personnelle.

Tu travailles déjà sur le prochain album ?

Oui, je m’ennuie très très vite ! [rires] J’ai écouté mon album une fois quand il est sorti, j’ai fait l’écoute avec mes amis et ça y, je suis sur autre chose.

Il prend quelle direction ce nouvel album ?

Je ne peux pas te dire ! Tu sais pourquoi je ne peux pas ? Parce que je ne sais même pas moi-même. Il y a des pièces très soul, très gospel. Il y a ce qui m’a aidé à former qui je suis. Je viens du gospel en fait à la base. Je pense qu’il y a cet appel-là.

Ça ne te frustre pas de devoir le jouer sur scène ?

Ce qui est trop bien, c’est que je travaille avec une meuf incroyable qui s’appelle Kiala Ogawa, qui est ma pianiste, elle m’accompagne en live et on a réarrangé les morceaux. J’ai aussi une ingé son incroyable, Elsa Groslot, qui est de Bruxelles. Elle balance des effets et grâce à tout ça je redécouvre les morceaux en live.

Dimanche à We Love Green tu as 40 minutes ?

Oui on a réarrangé le set pour le festival, pour faire bouger les gens. Je joue dans l’après-midi et je suis contente, j’aime bien, j’ai toujours aimé. Je kifferai que les gens fassent des petites siestes, qu’ils dansent, errent. C’est pour ça qu’on adapte les sets chaque fois.

As-tu suivi les flammes ?

Pas du tout. En ce moment je regarde Nouvelle école, je suis en plein dedans. La production est meilleure que sur la saison 1. Ils veulent qu’il se passe des trucs différents, c’est cool qu’ils soient allés en Martinique. Il y a une grosse scène rap là-bas. J’aime beaucoup Méryl, je kiffe qu’elle soit là. Elle a privilégié le talent au fait de ramener des femmes. Je suis comme elle, je ne veux pas privilégier une femme parce que c’est une femme. Les choix de Niska, on peut en discuter. Parce que la rappeuse qui a été recalée, Nayra, elle déchire donc je sais pas ce qu’il s’est passé.

Est-ce qu’il y a un artiste avec qui tu aimerais collaborer ?

ASAP Rocky. Il est balance comme moi donc il n’y a pas de limite. Je pense que c’est un personnage intéressant dans la musique parce que il est très ouvert d’esprit. Il aime la musique, il y a de la batterie, des textures. Je pense qu’il est curieux dans la musique et il a une esthétique qui me plaît vraiment beaucoup. j’adore sa manière de rapper, j’adore ce qu’il dit. Il est stylé. Merci Riri [rires] ! C’est un mec aligné, il est responsable, il sait ce qu’il a envie de délivrer, il sait ou mettre son énergie. C’est un gars libre. Donc c’est un peu ce à quoi j’aspire dans la vie. Ce serait une collaboration incroyable pour moi. Shallah ! Je pense que ça va. J’ai pas mal rêvé de de lui et de son entourage… Je ne sais pas c’est bizarre, peut-être Dieu veut me connecter, je sais pas mais ce serait génial !

Quel est ton dernier coup de cœur musical ?

Il y a une meuf qui s’appelle Julia Nunes. Elle est incroyable et c’est vraiment incroyable. Elle doit avoir 1000 followers. En fait, je l’ai shazamé dans une série qui s’appelle Gina et Georgia. C’est une série américaine qui traite de la mixité d’un couple et du fait de grandir donc une ville de blancs aux États-Unis et d’une relation mère-fille. Le morceau est passé et il m’a retourné. Il y a un délire un peu froid et chaud en dire. Un peu de Canada ? Et elle a une voix incroyable. Elle rassemble toutes mes parties, toutes les parties de moi-même.

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