LITTÉRATURE

« Petite bande » – Une main tendue

© Charles Pennequin

Petite bande est un livre-objet pensé par Charles Pennequin qui entremêle une poésie anatomique et philosophique à des dessins écriturés. Gravitant autour du motif de la main, ces élucubrations évoquent l’écriture, la mort et le visage.

«  Le vivant s’expérimente depuis les doigts  ». Texte-gesticulé, Petite bande interroge l’espace du livre et de la page dans un ouvrage mêlant textes poétiques et éléments plastiques. Renouvellant sans cesse formes et agencements, l’auteur évoque les mots, les morts, les mains et celles et ceux qui écrivent.  

 Les écrivains sont des personnes qui se crispent. Chaque personne finit par se crisper, les écrivains aussi. Chaque écrivain croit avoir trouvé la bonne formule, mais au final il ne trouve que la formule de sa crispation. Une belle crispation cependant. Une tension magnifique. Un style. 

Petite bande, Charles Pennequin

Celui qui confie écrire depuis qu’il est né, a d’abord travaillé dans la gendarmerie avant de se consacrer pleinement à la poésie. Au début des années 1990, Charles Pennequin fait une rencontre décisive et déterminante, celle du poète Christian Prigent, et découvre les revues de poésie contemporaine. Il aime être caractérisé comme écrivain-performeur et se définit comme un être « qui gesticule dans ses phrases, ses poèmes, avec tout son corps, sa voix, qui fait des poèmes sonores mais aussi visuels, qui court en parlant, écrit en direct, improvise dans sa voiture et dessine en public » (entretien pour Télérama). Beaucoup de ses textes prennent leur origine dans des performances improvisées où il utilise un mégaphone ou dans des enregistrements qu’il réalise au dictaphone. 

Le corps du poème

À la recherche d’un «  écrire-bien  », Charles Pennequin passe à l’essoreuse à salade le langage creux pour lui ôter ses scories et retrouver quelque chose de neuf dans le rond mot. Alors, il fait émerger des phrases qui hésitent, qui tournent autour de quelque chose à dire. Il évoque la mort, les morts, qui viennent du bout des pieds jusqu’au bout des mains de l’écrivain et de l’écrivaine. 

Petite bande de Charles Pennequin © Marie Viguier

Inspiré de la poésie sonore des années 1950, Charles Pennequin donne à la langue une sonorité et un rythme. Il pense l’écriture depuis le va et vient de la respiration c’est-à-dire du souffle qui donne l’air nécessaire aux mots pour s’extirper de la bouche : « Pour espérer retrouver la pensée il faut faire le chemin de la respiration ». Cette musicalité est palpable dans l’alternance entre césure et reprise de la phrase, de la ligne, de la page. Il faut chercher-trouver la bonne cadence.

Maniant l’art de la dialectique, il explore ce qui fait contradiction et circule dans l’entre-deux. Vie/mort, ombre/lumière, parole/écriture. Du corps, il dit que c’est l’écriture qui en a un contrairement à l’écrivain.e qui n’en a pas. L’écriture c’est physique ! C’est comme avoir un point de côté. Alors, ne surtout pas défaire la parole du corps – de la bouche pour la dire, de la main pour l’écrire  : «  la pensée n’arrive pas c’est le geste qui arrive le geste prend la pensée qui arrive le geste pense en lui  ».

Dans des poèmes en colonnes, des passages soliloqués, de courts récits ou des retranscriptions de dialogue, il interroge la nullité, l’inessentiel, les formes, le trop-plein d’images, la télévision, les phrases vides, le pourquoi du comment de l’écriture. Il reprend et répète des mots, plusieurs fois, cherchant un sens. Radote. Le mot trépigne sur lui-même et vrille. 

Fait-main

«  Comment dessiner de l’écrit. Comment faire monter dans l’écrit un dessin. Un dessin de l’écrit. Le dessin se fait ici par l’écrit.  » Charles Pennequin ne fait pas de distinguo entre textes et dessins. Ils tissent les uns aux autres dans des «  dessins écriturés  ».

Petite bande de Charles Pennequin © Marie Viguier

Les fonds, quand ils ne sont pas page blanche, sont papiers millimétrés, feuille de facturation, cahier d’écolier. À leur surface, un savant collage entre lettres et lignes. Écritures manuscrites, tapées à l’ordinateur ou à la machine à écrire. Blocs de textes serrés sans ponctuation. Phrases espacées par des interlignes larges. Fragments sans début ni fin. 

Les dessins font naître des formes avec des mots ou bien ce sont les mots qui, se déployant, tracent des figures. Gribouillages. Lettres illisibles. Lignes géométriques. Autant d’enregistrements sismographiques des sursauts du monde. Des mains parcourent le livre, mains négatives, originelles et soustractives, mains détourées comme un tracé enfantin.  Des profils de visages, délicats, traversent les pages de haut en bas, on devine les yeux, le nez, la bouche, comme des crêtes de montagnes. 

Bel objet, Petite bande est une bande passante qui réunit en son sein la joyeuse troupe des signifiants et des signifiés. Nos mains sous-pèsent les phrases embrassées dans des lignes sinueuses et soudain le poids des mots se fait sentir. Nous voilà emporté.e.s dans ce que Charles Pennequin nomme l’«  écriventure  ». 

Petite bande de Charles Pennequin, P.O.L, 29,90euros.

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